Dans une intervention à In Investig’Action, reprise par le journal électronique Algeriepatriotique, le militant et journaliste belge tutoie avec véhémence les responsables politiques de son pays au lendemain des attentats de Bruxelles.
Nous vous livrons in extenso les quatre vérités qu’il assène non seument aux autorités belges mais au monde entier.
Comme tant de Bruxellois, j’ai passé des heures à vérifier où se trouvaient mes proches.
Qui, par malchance, aurait pu se trouver dans ce métro maudit, que j’emprunte moi aussi chaque fois que je me rends au bureau d’Investig’Action ? Qui, par malchance, aurait pu se trouver près du Starbucks de l’aéroport, où j’ai l’habitude de prendre un thé en attendant le vol ? Recherches d’autant plus angoissantes que le réseau était évidemment saturé. Bref, comme tant de Bruxellois, j’ai vécu, un jour, ce que vivent depuis des années les Irakiens, les Libyens, les Syriens et, avant eux, les Algériens. Pour être allé plusieurs fois sur des sites bombardés par les Occidentaux, je sais à quoi ressemblent ces morceaux de corps disloqués que plus jamais personne ne pourra embrasser. J’ai vu là-bas la douleur de ceux qu’on prive à tout jamais de leur mari, de leur femme, de leur enfant.
Comme tant de Bruxellois, j’ai pleuré et j’avais envie de frapper les criminels qui s’en sont ainsi pris à tant d’innocents. Mais on ne naît pas criminel, on le devient. Et la question la plus importante est : comment en sont-ils arrivés là ? Nier à ce point la valeur de la vie de tant d’innocents ! Les faire souffrir et terroriser au lieu de se battre – avec ces innocents – contre l’injustice qui nous frappe tous ? Qui a intoxiqué ces jeunes ? Qui leur a montré l’exemple de la violence ? Qui les a plongés dans le désespoir ? Et, surtout, qui les a armés ? Criminels, oui, mais ne sont-ils pas aussi victimes quelque part, même si ce terme peut choquer.
Alors, quand j’ai entendu notre Premier ministre Charles Michel déclarer en conférence de presse que les Belges avaient besoin de s’unir, et qu’il évitait soigneusement la question centrale, comment en est-on arrivé là, qui sont les responsables ?, alors, je me suis mis en colère contre cet homme hypocrite qui nous propose simplement de continuer comme avant. Alors que la question des gens, c’est justement : comment éviter que ça recommence bientôt ? Quelle politique appliquer pour mettre fin à cet engrenage infernal ?
Vous croyez vraiment que la surveillance et la répression empêcheront de nouveaux attentats ? Certains, oui, mais pas tous ; c’est impossible. Pour cela, il faut changer de politique. Votre politique.
Einstein disait : «On ne résout pas un problème avec les modes de pensée qui l’ont engendré». En effet, on n’empêchera pas le terrorisme tant qu’on n’aura pas débattu sur ses causes profondes. Afin de mettre en place une vraie prévention.
Monsieur le Premier ministre Charles Michel, je ne vous remercie pas. Car vous avez refusé de poser les questions importantes : les Al-Saoud et le Qatar ont-ils financé les terroristes ? Oui, les rapports des services américains le disent. Les États-unis ont-ils créé Al-Qaïda ? Oui, Hillary Clinton l’a reconnu. La CIA a-t-elle organisé un camp d’entraînement en Jordanie ? Oui, le célèbre journaliste américain Hersh l’a prouvé. Fabius a-t-il encouragé le terrorisme en déclarant qu’«Al-Qaïda fait du bon boulot» ? Oui, regardez sa vidéo de Marrakech, décembre 2012.
Et, d’une façon générale, les États-Unis ont-ils utilisé le terrorisme dit islamiste depuis Ben Laden en Afghanistan en 79 jusqu’à la Syrie aujourd’hui, en passant par la Bosnie, le Kosovo, le Caucase, l’Algérie, l’Irak, la Libye et d’autres pays encore ? Ne faut-il pas créer d’urgence une commission d’enquête sur les liens États-Unis-terrorisme et sur les dessous stratégiques de tous ces drames ? Vous et l’Europe, allez-vous continuer de suivre Washington comme un petit chien ? Vous vous félicitez comme un petit garçon quand Obama vous téléphone. Mais pourquoi ne dénoncez-vous pas son hypocrisie derrière ces guerres ? Monsieur Michel, quand je pense à toutes ces souffrances qui auraient pu être évitées, je ne vous remercie pas.
Il est vrai que vous n’êtes pas le seul à pratiquer la langue de bois.
Monsieur le ministre des Affaires étrangères Didier Reynders, je ne vous remercie pas non plus. Vous avez déclaré hier que les terroristes s’en prennent à «notre mode de vie». Exactement les paroles de George W. Bush, le 11 septembre, avant d’attaquer l’Irak et l’Afghanistan sous des prétextes mensongers. Monsieur Reynders, pourquoi n’avez-vous pas rappelé votre déclaration d’avril 2013 vantant «ces jeunes (à qui) on construira peut-être un monument comme héros d’une révolution» ?
Pourquoi, quand je vous ai invité en juin 2013, à participer à un débat «Jeunes en Syrie, comment les empêcher de partir ?», avez-vous refusé ? Cela ne vous préoccupait pas ? Vous trouviez que pour «changer le régime» comme vous dites, tous les moyens étaient bons, même le terrorisme ? Vous n’avez pas pensé qu’encouragés à commettre ces actes là-bas, certains reviendraient faire pareil ici ? Monsieur Reynders, je ne vous remercie pas.
Madame Milquet, je ne vous remercie pas non plus. Vous étiez ministre de l’Intérieur à cette époque. Vous avez aussi refusé de participer à ce débat, malgré notre insistance, et en changeant sans cesse de prétexte ! Depuis, vous vous taisez. Gênée d’avoir fait la sourde oreille face aux cris de détresse des mamans angoissées de voir que leurs gosses – c’étaient vraiment des gosses de 16, 17, 18 ans – partaient là-bas vers l’enfer sans que la Belgique fasse rien pour les retenir ? Vous n’avez pas de remords en voyant la suite ? Madame Milquet, je ne vous remercie pas.
N’est-il pas temps d’ouvrir un grand débat sur les conséquences de la politique internationale menée par la Belgique depuis des années ?
1. L’Europe doit-elle continuer à suivre les États-Unis et leur politique qui met le Moyen-Orient à feu et à sang ?
2. La Belgique doit-elle continuer à soutenir la violence d’Israël, en refusant de faire respecter le droit international et en traitant d’«antisémites» les jeunes qui veulent soutenir les droits des Palestiniens ?
3. La Belgique doit-elle continuer à se prosterner devant les pétrodollars des Al-Saoud (volés aux peuples arabes au lieu d’utiliser l’argent du pétrole et du gaz pour combattre la pauvreté comme en Amérique latine) alors que tout le monde sait que ces mêmes Al-Saoud financent l’intoxication des jeunes esprits par une version empoisonnée et falsifiée de l’islam ?
4. Comment justifier le refus du droit d’asile aux victimes de «nos» guerres en Irak, en Syrie, en Afghanistan ?
5. Quand ouvrira-t-on enfin le dossier de l’intervention «humanitaire» en Libye, où l’Otan s’est alliée à Al-Qaïda pour renverser Kadhafi, en violant la Charte de l’ONU qui interdit ce genre de pratiques ? Avec la conséquence qu’on voit aujourd’hui : la Libye transformée en foyer du terrorisme international.
N’est-il pas temps d’ouvrir en même temps un grand débat sur les conséquences de la politique sociale, ou plutôt antisociale, menée par les gouvernements belges depuis des années ?
1. Pouvez-vous rogner sans cesse les budgets scolaires ? Fabriquant des écoles-parkings où les profs manquent de formation adéquate et de moyens pour faire face à tant de questions complexes sur le monde d’aujourd’hui ?
2. Pouvez-vous rogner sans cesse les budgets des prisons et de la réinsertion ? Avec pour conséquence que de petits délinquants deviennent de grands délinquants irrécupérables ?
3. Pouvez-vous rogner sans cesse les budgets des médias audiovisuels de service public ? Avec pour conséquence que les journalistes n’ont plus le temps d’approfondir les sujets (confidences reçues de l’intérieur de la RTBF) et sont condamnés au règne du copié-collé et du fast info, poussant ainsi les jeunes rendus méfiants vers les théories du complot ou, pire encore, vers les prêcheurs fanatiques et les recruteurs sans scrupule ?
4. Pouvez-vous continuer à faire des cadeaux aux banques et aux multinationales qui ne paient quasi plus d’impôts et reporter votre déficit notamment vers les communes, dont les responsables sont privés des moyens nécessaires pour aider les jeunes ? N’est-ce pas ainsi que vous produisez des communes du désespoir comme Molenbeek ? (Mais pas seulement, il y a aussi Vilvorde, Verviers, Anvers et n’oublions quand même pas que les «eurojihadistes» proviennent de nombreux pays européens).
5. Faut-il, alors, être surpris que tant de jeunes soient tombés entre les griffes de recruteurs professionnels ? D’autant plus que lorsqu’on les signalait à la police, pas toujours, mais bien souvent parents et éducateurs s’entendaient répondre : «Mais qu’ils partent seulement en Syrie, ce qu’on ne veut pas, c’est qu’ils reviennent ici !»
6. Avez-vous vraiment le droit de vous dire surpris par les attentats de Paris et de Bruxelles, alors que la sonnette d’alarme est tirée depuis des années et que vous tous avez refusé d’écouter les donneurs d’alerte ?
Hier (le jour des attentats de Bruxelles, NDLR), chaque parent a tremblé pour ses enfants. Aujourd’hui, chacun s’interroge sur l’éducation qu’il faut leur donner face à ce monde de plus en plus violent. Allons-nous pouvoir leur offrir une vraie éducation et un avenir ? Demain, quelle ville sera frappée ? La montée de la haine et de la peur, ciblant les musulmans, fait le jeu de l’extrême droite. C’est ça que vous voulez ?
Concluons. Les attentats, ce n’est pas une fatalité, c’est le résultat d’une politique. Menée à Washington. Puis à Londres et Paris. Bruxelles suivant servilement. Messieurs les dirigeants, vous êtes donc co-responsables. Avons-nous le droit d’en débattre – en «démocratie» –, ou bien allez-vous encore user de pressions pour que les médias se taisent ?
Michel Collon In Investig’Action