Il y a 30 ans, l’Algérie perdait l’un des hommes les plus intègres de son histoire, un pilier fondamentale de la révolution et un homme de principe sans égal : Mohamed Boudiaf.
Tayeb El Watani fut le dernier souffle d’espoir pouvant redonner vie à tout un peuple noyé depuis bien trop longtemps dans la peur et les bains de sang engendrés par la guerre civile.
Il a été abattu lâchement à Annaba alors qu’il prononçait un discours. Devant la foule et sans savoir que c’était la dernière fois qu’il s’adresserait à son peuple, les derniers mots qu’il prononça résonnent encore aujourd’hui dans la mémoire de tout un pays, qui, depuis, essaye tant bien que mal de trouver son chemin vers la liberté.
L’émergence d’un leader
Mohamed Boudiaf nait le 23 juin 1919 à M’sila, là où il grandit et fait ses études avant de devenir fonctionnaire dans l’administration.
Après 1945, avec les massacres de Sétif, il s’engage dans les mouvements nationalistes algériens et adhère au Parti du peuple algérien (PPA), puis participe à la création de l’Organisation spéciale (OS), la branche armée secrète du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD).
En 1950, l’OS est démantelée par la police française, et avec les autres membres dirigeants de l’organisation, il est jugé et condamné par contumace à cause de ses activités militantes et politiques. En 1952, il est muté par le MTLD en France où il milite au sein de la communauté immigrée algérienne.
Il rentre en Algérie en mars 1954 et crée, avec huit autres militants, qui deviendront par la suite, les « chefs historiques du FLN », le Comité révolutionnaire d’unité et d’action (CRUA) dont il est élu président, avec pour objectif l’indépendance de l’Algérie par la lutte armée. Mais après l’échec du CRUA, il réintègre, comme coordonnateur général, le « groupe des 22 », qui organise la préparation de la lutte armée désormais plus que certaine.
En août 1956, à l’issue du Congrès de La Soummam, il devient membre du Conseil national de la révolution algérienne (CNRA). Il est arrêté, le 22 octobre de la même année, avec la présence d’autres leaders du FLN, par l’armée coloniale à la suite du détournement de l’avion civil marocain qui se dirigeait vers la Tunisie. Il dirige alors, depuis les tréfonds de sa cellule de prison, la fédération de France du FLN avant d’être nommé en 1958 ministre d’État du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), puis vice-Président en 1961. Il est ensuite libéré le 18 mars 1962 après les accords d’Évian.
Quand un héros se fait séquestrer
En juillet 1962, au lendemain de l’indépendance, Boudiaf rentre en désaccord avec Ben Bella, soutenu par le commandement de l’Armée de libération nationale (ALN) de l’extérieur, qui crée un bureau politique du FLN pour remplacer le GPRA. Le 20 septembre 1962, alors que le bureau politique constitue la première assemblée nationale du nouveau pays émergeant, en opposition, Mohamed Boudiaf fonde son propre parti, le Parti de la révolution socialiste (PRS).
Le 23 juin 1963, il est arrêté sur le pont d’Hydra, puis séquestré dans le sud algérien où il entame une grève de la faim avec ses compagnons de cellule. Il sera détenu avec 3 autres prisonniers dont Mohand Akli Benyounes durant plusieurs semaines avant d’être transféré vers Saida puis à Sidi Bel Abbes. Il refusa par la suite une offre d’exil en Suisse avant de prendre position contre la nouvelle constitution et la politique du régime mis en place. Condamné à mort en 1964 par le pouvoir de Ben Bella, il quitte l’Algérie en rejoignant la France puis le Maroc.
De là, il œuvre activement au sein de son parti et anime à partir de 1972 entre la France et le Maroc des conférences où il expose son projet politique pour son pays. Son livre, Où va l’Algérie, livre un témoignage lucide sur l’après indépendance et la prise du pouvoir par les militaires, tout en résumant ses propositions politiques.
En 1979, suite à la mort de Houari Boumedienne, il se retire de la vie politique et dissout le PRS pour se consacrer exclusivement à ses activités professionnelles en dirigeant à Kenitra au Maroc une briqueterie.
L’espoir assassiné
Le 16 janvier 1992, dès la démission du président Chadli Bendjedid, Boudiaf revient en Algérie. Alors que le FIS, emporte une large majorité au 1er tour des élections législatives, Chadli Bendjedid, après avoir dissout l’Assemblée nationale et laissé un vide constitutionnel, démissionne et le commandement militaire annule les élections.
Mohamed Boudiaf est rappelé en Algérie pour prendre, en charge provisoire, les pouvoirs de chef de l’État. Par son long exil, loin de sa terre mère à laquelle il avait tant donné, son profil était celui de l’homme politique parfait pouvant redresser le pays, et cela vu sa non-implication dans les tribulations du régime algérien.
Souhaitant une Algérie démocratique tournée vers la modernité, il espérait mettre fin à la corruption qui rongeait l’État ; mais Mohamed Boudiaf est malheureusement assassiné cinq mois plus tard, le 29 juin 1992, au cours d’une conférence des cadres qu’il tenait dans la ville d’Annaba.
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