Analysant les enjeux de «la bataille de France» et le rôle qu’elle a joué dans l’enclenchement des négociations pour l’indépendance de l’Algérie, Moh Clichy replace le 17 octobre dans la place qui lui convient.
Dans une conférence qu’il a donnée hier à l’Institut de formation professionnelle Abdelhak-Benhamouda de Boumerdès, Mohammed Ghafir, dit Moh Clichy, est longuement revenu sur la manifestation pacifique du 17 octobre 1961 à Paris, sa genèse, ses enjeux et ses objectifs. «La marche pacifique du 17 octobre 1961 a déstabilisé le général de Gaulle et l’a poussé à engager des négociations avec le Gpra non plus sur la seule partie nord du pays, mais sur l’intégralité du territoire algérien», a-t-il affirmé d’emblée pour donner une idée générale sur l’importance stratégique et la symbolique forte de l’événement. Surfant sur les jours les mois et les années, Mohamed Ghafir a rappelé que «la bataille de France» a été engagée le 25 août 1958 et que «le 17 octobre 1961 n’en est que l’aboutissement logique.» «Quand les gens entendent parler des massacres du 17 octobre 1961 à Paris, ils pensent qu’il s’agit d’une simple marche pacifique qui a tourné au vinaigre sous l’impulsion de Papon. Ce serait faire erreur grave que d’enfermer cette date qui représente une étape dans la bataille de France, dans une logique conjoncturelle.
La marche du 17 octobre est une suite de ce que nous avons entamé plusieurs presque trois ans auparavant», a-t-il dit en affirmant que cette manifestation constitue la dernière bataille de l’Algérie révolutionnaire et elle a été gagnée puisqu’elle a poussé De Gaulle, qui subissait des pressions de toutes parts, à reconsidérer sa position vis-à-vis de ce qu’il appelait l’Algérie française et entrer en négociation avec le FLN. «A l’issue du congrès de la Soummam, il a été décidé de créer la Fédération de France du FLN. En 1957, Abane nous a envoyé une instruction pour nous demander de nous préparer à engager un second front armé en France au moment opportun. La décision de transporter la guerre sur le sol de l’ennemi était donc décidée au congrès de la Soummam et tous les membres du Comité de coordination et d’exécution y souscrivaient», a-t-il rappelé. De plus, a-t-il ajouté, «après la grève de huit jours qui a occasionné l’arrestation de Larbi Ben M’hidi et le départ des quatre autres en Tunisie et au Maroc, il a été décidé de transporter le guerre sur le sol de l’ennemi pour mettre la France sous pression et la pousser à des négociations». «Le 25 août 1958, à 00heure, nous avons entamé la bataille de France.
C’était l’ouverture officielle du second front armé du FLN. Les instructions étaient intransigeantes quant aux cibles à attaquer: les cibles militaires et économiques. Les raffineries étaient une cible privilégiée en raison de l’importance stratégique qu’elles représentaient pour la France. Nous avons aussi ciblé des ponts, des usines, etc. En guise de représailles, les Français ont imposé un couvre-feu pour les Algériens, mais nous ne l’avons pas respecté suivant les instructions des responsables. Nos actions armées se sont poursuivies et ont poussé le général de Gaulle à parler, en 1960, d’autodétermination du peuple algérien. Mais nous avons continué à mener des actions armées, ce qui a poussé les autorités françaises à reconduire le couvre-feu. C’est ainsi que la décision d’organiser une marche pacifique le 17 octobre 1961 à Paris, à partir de 20h00, a été prise. La foule qui s’était rassemblée à Paris a déstabilisé De Gaulle. C’est la dernière bataille du FLN et elle a été décisive», a-t-il conclu.
Pour rappel, le 17 octobre 1961 est la date d’une manifestation qui a rassemblé plus de 40.000 Algériens à Paris à l’appel de la Fédération de France du FLN dans l’objectif de pousser De Gaulle à négocier l’indépendance de l’Algérie dans l’intégralité de son territoire et qui a été réprimée dans le sang par la police de Maurice Papon. Cette manifestation, couronnant ce que Linda Amiri appelle «la bataille de France», est considérée par nombre d’observateurs internationaux comme étant une stratégie unique en matière de lutte révolutionnaire dans le monde. «C’est la première fois dans l’histoire des peuples qui luttent pour leur indépendance que le colonisé porte la guerre sur le sol du colonisateur», observe, dans ce sens, l’illustre général vietnamien Giap.