En 1962, Mostaganem était dotée d’un théâtre. En 1966 les gestionnaires de la ville décident de le raser avec promesse de le reconstruire. Ils avaient leur raison. Deux générations de Mostaganémois ont vécu dans leur constance avec leur théâtre sans Théâtre. Ils ont cru précéder l’événement en créant et abritant le premier festival d’Algérie, celui du théâtre dit « amateur » pour une compréhension non pas artistique ou culturelle mais conjoncturelle.
Un festival de théâtre sans Théâtre. Festival de théâtre semi SDF. Candides mais velléitaires qu’ils sont, ils ont vu de nouveau périr dans la mémoire des dirigeants successifs de cette ville millénaire, le projet du « Théâtre de verdure » ou « Théâtre en plein air » prévu sur la site entre le fort de l’est et Sidi Abdelkader. Enfin, en 2014, de nouveau un Théâtre pour Mostaganem. 48 années, ce n’est pas bref mais c’est ce que dure un projet reflétant la vocation théatrale de Mostaganem. Mostaganem retrouve son Théâtre ou plutôt « un Théâtre ». Ce « Théâtre » a été baptisé avec une simplicité faisant dans la bienveillance et l’ignorance du cheminement théâtral caractérisant cette ville. Il est vrai que le nom que porte le Théâtre de Mostaganem serait celui d’un homme que nous connaissons, que nous respectons pour ses engagements sociaux et sa modestie qu’il plaçait au service de la ville, notre ville. Cet homme aurait écrit vers les années quarante une parodie de pièce mais que personne de nos jours n’a vu ou lu. Sa carrure et la rareté du verbe le plaçaient dans le respect et la prérogative. De cette époque tout mostaganémois était source de sketch ou de parodie. Une époque où en avance sur leur génération sont nés de grands hommes de théâtre comme le dramaturge algérien Abdelkader Ould Abderrahmane dit Kaki ou l’homme de lettre, Chercheur dramaturge et écrivain Abdelkader Benaissa.
De cette époque sont nés de grands hommes de théâtre. Ils étaient loin de savoir qu’un jour, ils donneront professionnellement sa noblesse, sa création et sa beauté au théâtre algérien tant en Algérie qu’à l’étranger. Ces hommes de théâtre ont contribué à la création du TNA (Théâtre National Algérien) et porteront dans leur cœur l’histoire du théâtre à Mostaganem et par là l’histoire du Théâtre algérien. La mémoire nous rappellera qu’à Cet Homme, une équipe d’hommes épris de théâtre a proposé, eu égard au droit d’ainesse dont il jouissait, de conduire l’initiative prise par elle, de renouer avec le théâtre et faire jouer des troupes de théâtre à Mostaganem. C’était fin 1966 suite à cette journée d études sur l’art dramatique organisée par les SMA du groupe El Falah, dans le local (face au stade Barthou) de la jeunesse et des sports. Lors de cette journée Ghali Boudraf, avec l’adhésion de ce même Mostfa Ben Abdelhalim, usa de sa subtilité convaincante pour la convergence vers l’ouverture d’un espace culturel privilégié consacré à la création artistique théâtrale, accessible à toute participation non professionnelle. Mais d’autres noms de Mostaganem, les Ould Abderrahmane Kaki, Belmokadem Abdelkader, Benaissa Abdelkader, Bensaid Mekki, Hadj Hachelaf, Mohamed Tahar et d’autres, hommes avérés de cultures et de l’exercice du théâtre ont marqué le théâtre et la culture auxquels ils ont consacré leur vie. C’était leur vie. Parmi eux furent les vrais initiateurs et promoteurs du fameux festival. Deux noms ont émergé sur le plan national et international. L’un dans la dramaturgie complète, de son écriture à sa réalisation, l’homme essayiste et auteur dramaturge de plus de dix sept pièces de théâtre, Abdelkader Ould Abderrahmane. L’autre dans l’art de la scène, là où il a su avec brio prêté sa vocation et son physique à d’innombrables rôles aussi bien au théâtre qu’au cinéma. Sa vraie vocation se consolide juste au lendemain de notre indépendance pour se hisser naturellement, sous la maitrise de Kaki, au noyau appelé à fonder la troupe du TNA (Théâtre National Algérien).
Ce comédien inoxydable du Théâtre National, poussait jusqu’au bout de la perfection, la technique du comédien comme savait le faire l’autodidacte ayant grandi orphelin. Ce comédien était Abdelkader Belmokadem. L’Art théâtral de Belmokadem était le prolongement de son art d’éducateur qu’il était. Des centaines de Mostaganémois aujourd’hui, pères et grands pères, louveteaux qu’ils étaient se rappellent de leur Chef de Meute au sein des SMA du groupe El Falah de Mostaganem. Dans le huitième art Belmokadem a su hisser son art au niveau de l’envergure transnationale. Que c’est triste que les velléitaires de Mostaganem ne retiennent de lui que, tout juste, cet image de l’enfant de Tigditt. Kaki me disait un jour « J’admets l’ignorance tout en la refusant. Mais l’inculture est pire ; elle pollue notre geste parce qu’elle est le corollaire de l’inaptitude.». Le Nom de Kaki est au fronton non pas d’un Théâtre mais de la maison de la culture de Mostaganem. Hélas l’avènement de cette maison de la culture a précédé celui du Théâtre. L’intelligence aurait prescrit dans le cas d’espèce une débaptisation corrective. D’autres algériens baptiseront les futurs Théâtres de leurs villes au nom de Kaki. Mais le deuxième, Abdelkader Belmokadem . Cet Homme de théâtre est un enfant de Tigditt. C’est lui qui a incarné au TNA avec brio le rôle de Sganarelle de Molière sous la Direction de Mostafa Kateb. C’est lui qui a créé et incarné le personnage « El Guerrab » dans cette pièce aux 252 effets lumière de Kaki, qui a accompagné le retour des cendres de l’Emir Abdelkader de Damas vers Alger, rôle et pièce qui ont propulsé le théâtre national algérien au premier rang du théâtre arabe.
Les telévisions et journaux arabes ont consacré des pages entières à ce comédien Belmokadem en mission commandée du TNA. Porter le théâtre algérien aux quatres coins du Monde Arabe. Qui en Algérie n’a pas fredonné au moins une fois le refrain d’ « El Maa » ? C’était lui. Il en inspira ses compagnons lors de leur répétition de « El Guerrab oua Essalihine ». Il restera inimitable. C’est cette pièce « El Guerrab oua Essalihine » qui fut juste après sa première représentation, expulsée manu militari de Casablanca par l’autorité du Maroc avec retour à l’envoyeur d’Alger. Cette pièce de plus de deux heures trente de spectacle posait avec une beauté digne des grands théâtres universels, le problème du Maraboutisme et de l’assujettissement. Merci Kaki. Les planches des Théâtres de Tunis, du Caire, de Damas, de Paris, d’Afrique, de Rome et d’autres villes dans le monde attesteront de la maitrise de l’art de la scène par Belmokadem et ses compagnons. Ces publics d’ailleurs de ce bas monde ignoraient que le comédien évoluant devant eux venait de l’école du théâtre de Tigditt. Merci Kaki, tu as permis l’épanouissement d’une vocation chez cet Homme. Tous les hommes et femmes de théâtre d’Algérie et du Maghreb (professionnels et non professionnels) auraient vu un hommage rendu à Belmokadem si le Théâtre de sa ville natale, Mostaganem, était baptisé « Théatre Belmokadem » Les archives du TNA et du Ministère de la Culture attesteront que Belmokadem était loin d’ètre un intrus dans l’histoire du théâtre algérien mais Belmokadem était bel et bien un grand comédien que le TNA ait connu. Quelque soient les contraintes du métier de comédien au TNA cet homme n’a jamais rompu ses attaches avec sa ville Mostaganem. Il a été dans les années 1970 vice président de l’APC de Mostaganem. C’est dire combien cet homme a voué sa vie à la société civile. Cet homme fut par ailleurs un des cinq vrais fondateurs du festival de Mostaganem. Il fut, avec deux autres compagnons l’un de ceux qui ont arraché la première subvention au ministère de la culture en faveur du festival (en 1968) Son parcours et sa distinction dans le monde du théâtre national algérien resteront à jamais inaliénables. Sa troupe initiale sous la direction de Kaki a marqué la réception inaugurale du TNA avec les félicitations singulières de Che Guevara (invité de l’Algérie). Belmokadem était considéré en son temps comme l’un des plus grands comédiens d’Algérie de son époque par Tayeb Seddiki (alors Directeur du théâtre de Casablanca). Dans l’anonymat total Belmokadem est décédé dans son Bled d’origine, Mostaganem, avec mission de comédien du Théâtre National Algérien pleinement accomplie. Le théâtre à Mostaganem a son histoire. Dans cette Histoire il y a ceux qui ont subi le théâtre, il y a ceux qui ont accompagné le théâtre et il ya ceux qui ont fait le théâtre. Contribuer à fonder un festival n’est pas homme de théâtre. N’offensons pas cette Histoire. Ne portons pas atteinte à sa mémoire. Mettons des critères avant de baptiser un Théâtre. Invitons la société civile à l’impératif de se ressourcer dans l’histoire culturelle de sa ville quand l’opportunité d’une décision de baptiser se présente. Rien n’est tard. Une débaptisation est possible. Elle reste la force des grands. Kaki me disait « j’ai le droit de ne pas être d’accord avec ce que j’étais hier »
Mohamed MEFLAH