Dans cet entretien, l’expert financier Mourad El Besseghi s’exprime sur des sujets d’actualité du secteur. En premier lieu, il s’agit de la dernière mission du FMI en Algérie, estimant que bien que ce dernier ait apprécié les contours du nouveau modèle de croissance de l’économie défini pour l’horizon temporel 2030, la résilience de l’économie algérienne aux perturbations et chocs en provenance de l’environnement externe a des limites.
Au sujet de l’inflation, M. El Besseghi considère qu’il est indéniable que les effets de la LF 2017, notamment l’augmentation de deux points sur la TVA, a engendré une hausse systématique sur l’ensemble des produits. Il prévoit également que si le niveau des cours du brut persiste et que les ressources extérieures continuent à diminuer du fait du déficit de la balance commerciale, la dévaluation du dinar sera inéluctable d’ici à fin 2017.
Reporters : Une mission de consultation du Fonds monétaire internationale a été effectuée en mars dernier dans notre pays. Cette visite a suscité bien des interrogations … Quelle lecture en faites-vous ?
Mourad El Besseghi : C’est l’article IV des statuts du Fonds monétaire international (FMI) qui lui permet d’exercer une surveillance sur les politiques de change de ses 189 Etats membres. En pratique, cette surveillance comprend une mission annuelle, au cours de laquelle diverses questions financières et économiques sont examinées. La situation macroéconomique, les finances publiques, la politique monétaire, les réformes structurelles, l’état du secteur bancaire et financier, les taux de change, etc. sont passés en revue pour identifier les zones à risques et situer les contraintes qui freineraient la croissance économique. A cette occasion, des échanges de vues avec les principales autorités économiques et financières du pays ont lieu, y compris avec d’autres parties prenantes, tels que les syndicats, la société civile et des personnalités. A l’issue de ces consultations, des conclusions préliminaires sont tirées par la délégation du FMI avant d’être soumises au conseil d’administration de cette institution de Bretton Woods. Il s’agit d’avis ou d’opinions qui sont ensuite transmis aux autorités nationales.
Il est évident que vis-à-vis de cette institution, l’Algérie n’est plus dans la position débitrice des années quatre-vingt-dix, avec le fameux Plan d’ajustement structurel (PAS) et son lot de conditionnalités pour le rééchelonnement de la dette. Bien des choses ont changé, entre autres la souscription de cinq milliards de dollars en droit de tirage spéciaux (DTS) dans le cadre de la contribution de l’Algérie aux actions de la communauté internationale, pour juguler les effets diffus de la crise économique et financière mondiale.
Le chef de mission du FMI en Algérie, Jean François Dauphin, a déclaré que « l’économie (algérienne) a été globalement résiliente par rapport au choc pétrolier. Néanmoins, les équilibres des finances publiques et des comptes extérieurs ont subi de plein fouet ce choc »…
Nul doute que la chute des cours du pétrole a mis l’Algérie face à des risques majeurs, d’autant qu’aucun élément tangible ne permet de prédire une perspective de reprise des prix. Il n’y a qu’à voir les récentes turbulences sur le marché spot pour se rendre compte que trop de facteurs entrent en jeu dans la fixation des prix du brut rendant toutes prévisions trop aléatoires pour bâtir sérieusement une politique économique. Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue qu’à terme, cette ressource est épuisable et donc la recherche d’autres sources de financement est la seule voie salvatrice.
Les différents gouvernements qui se sont succédé ont tous clamé haut et fort que pour rendre l’économie moins dépendante des hydrocarbures, il était impératif de rechercher la diversification de l’économie pour générer d’autres ressources de remplacement. Pour ce faire, le recours au secteur privé, créateur de richesses, était inéluctable. Or, force est de constater que ce discours politique très présent lorsque la conjoncture est morose, s’estompe rapidement lorsque l’aisance financière relative s’installe.
En fait, il n’y a jamais eu de politique économique claire et durable capable de faire exploser les capacités du secteur privé. Les réformes qui vont dans ce sens sont déclinées pour être remises en cause rapidement. Les mesures d’encouragement de ce secteur sont suivies de contre-mesures. Cette absence de stabilité rend difficile toute forme d’adaptation de l’économie à une conjoncture de baisse des cours du pétrole.
Certes, la délégation du FMI a apprécié les contours du nouveau modèle de croissance de l’économie défini pour l’horizon temporel 2030, qui est fondé sur une nouvelle politique budgétaire, une amélioration de la fiscalité ordinaire, le privilège accordé à l’investissement productif à forte valeur ajoutée. Ce modèle servira comme outil de stabilisation de ces politiques et dont l’objectif est d’aboutir, en bout de cycle, à une croissance économique forte et durable. Il permettra de maintenir des niveaux soutenables en matière d’équilibres des finances publiques. Dans son communiqué de presse, la délégation a relevé que l’Algérie a pris des décisions pour s’adapter au choc pétrolier et réduire le déficit budgétaire de 15,1 % du PIB en 2016 à 13,7 % en 2017 et le maintien de cette tendance baissière jusqu’en 2021.
En effet, il ne faut pas sacrifier l’effort de croissance et de développement au motif qu’il y a des zones interdites dans lesquelles il faut éviter de s’y aventurer. Le recours conjoncturel au déficit budgétaire n’est pas toujours un signe de faiblesse, tout comme le recours à l’endettement externe ne devrait pas être diabolisé, en particulier lorsqu’il est destiné au financement des investissements comme les infrastructures de base. En termes d’ouverture de l’économie aux investissements étrangers, il y a un passage obligé qui passe par l’amélioration du climat des affaires, l’accès facile au foncier et les facilitations bancaires et de crédit. Ceci ne constituant que le minimum, mais il faudra ajouter l’amélioration du marché du travail et l’exploitation du potentiel de jeunes issus du système éducatif.
Jusque-là, l’économie algérienne a été relativement résiliente au choc pétrolier qui a été amorti grâce principalement aux disponibilités externes. Cette capacité à perdurer et à maintenir une certaine croissance est surtout le résultat des ressources accumulées depuis quelques années. Mais il n’y a aucun doute que si les prix du brut étaient maintenus au niveau actuel durablement sans que toutes ces réformes d’adaptation ne soient engagées de manière cohérente et simultanée, la croissance serait fortement compromise. La résilience de l’économie algérienne aux perturbations et chocs en provenance de l’environnement externe a des limites.
En Algérie, l’évolution des prix à la consommation en rythme annuel s’est située à 7% jusqu’à fin février 2017, selon l’Office national des statistiques (ONS). Le taux d’inflation a atteint donc un seuil inquiétant, dépassant ainsi les prévisions du gouvernement qui avait tablé sur un taux de 4% dans la loi des finances 2017. Qu’en pensez-vous ?
L’indice des prix à la consommation du mois de février a été de 7% accusant un léger repli de 1% par rapport à janvier 2017. Selon l’ONS, cette baisse est surtout observée sur les prix des produits alimentaires. Notre pays a rarement atteint ce niveau sauf dans le début des années quatre-vingt-dix suite à la forte dévaluation du dinar par rapport aux principales devises. Il y a également, l’impact des différentes annonces de mesures de restriction sur les importations avec la mise en place des licences sur bon nombre de produits qui ont contribué à générer des pratiques spéculatives.
D’autant que sur ce plan, la communication officielle a été défaillante, avec des tergiversations (cas des véhicules), des avancées et des reculs (cas des pommes et des bananes, etc.), des retournements de situation (produits frais et d’épicerie). Ce qui a créé un vent de panique et des comportements irrationnels des consommateurs. Mais l’effet de la spéculation sur les prix devrait se dissiper, un tant soit peu, grâce au lissage de la demande, laissant la place à plus de sérénité sur le marché.
On parle aussi de la baisse du dinar qui a entraîné une hausse généralisée des prix à la consommation et qui pèse sur le pouvoir d’achat des Algériens.
Bien que la valeur du dinar a connu une forte baisse depuis 2014 face aux principales monnaies étrangères (dollar et euro), on ne peut imputer la hausse généralisée des prix à la consommation observée ces derniers temps sur les marchés à une quelconque dévaluation de la monnaie locale. Les mesures prises par la Banque d’Algérie pour limiter les émissions de monnaie et les actions engagées pour éponger la masse monétaire en circulation en dehors de la sphère économique réelle, ont contribué à stabiliser la valeur du dinar.
Cependant, si le niveau des cours du brut persiste et que les ressources extérieures continuent à diminuer du fait du déficit de la balance commerciale, la dévaluation du dinar sera inéluctable d’ici fin 2017.
Autre élément relevé d’ailleurs par le représentant du FMI dans sa déclaration à la presse, celui du poids des subventions et des transferts sociaux qui ont atteints 1 630 milliards de dinars dans la LF 2017, correspondant à 21% du budget de fonctionnement de l’Etat. Il est important, qu’ils doivent être mieux ciblés pour que l’ajustement qui doit s’opérer soit plus juste et plus équitable. En effet, les subventions non ciblées et les transferts sociaux mal répartis ne servent qu’à écraser artificiellement le taux d’inflation. La panacée idoine serait de dynamiser la production locale dans des segments à forte valeur ajoutée, de renforcer les sources de création de richesses en l’occurrence les entreprise économiques et en particulier les PME.