Reporters : Le tribunal de Baïnem vient d’acquitter cinq porteurs de drapeau berbère, alors que celui de Sidi M’hamed a condamné, la veille, 27 détenus pour les mêmes chefs d’inculpation. Peut-on parler de paradoxe ?
Mourad Gagaoua : Tout d’abord, je tiens à saluer et féliciter le courage du juge du tribunal de Baïnem qui a acquitté les mis en cause, poursuivis pour un délit fictif pour lequel les lois en vigueur ne prévoient aucune sanction ou peine. C’est une décision et une date historique qui seront retenues dans l’histoire de l’Algérie indépendante et de l’Algérie post 22 février. Le juge de Baïnem entre dans l’histoire par la grande porte. Cela n’empêche pas de relever toutefois une contradiction flagrante qui n’élève pas la justice algérienne. Ces deux verdicts contradictoires des juges des deux juridictions de l’Algérois nous laissent penser que le juge de Sidi M’hamed a la conviction personnelle et politique que l’exhibition de l’emblème amazigh peut porter atteinte à l’unité nationale, tandis que celui de Baïnem nourrit d’autres convictions. Au-delà, le juge qui a acquitté les porteurs du drapeau berbère a appliqué de manière ferme les lois de la République qui n’incriminent pas l’exhibition d’un étendard culturel et identitaire.
Pensez-vous que cet acquittement atténuera les critiques à l’égard de l’appareil judiciaire ?
L’acquittement prononcé aujourd’hui n’absout pas l’appareil judiciaire de ses errements et dérapages, du moment que le parquet de Sidi M’hamed a condamné des détenus pour des faits qui ne constituent pas une violation des lois en vigueur. Bien au contraire, c’est le juge qui a enfreint les lois de la République car aucune clause n’interdit le port d’un drapeau identitaire. Au contraire, la Constitution de mars 2016 stipule la promotion de la langue et de la culture amazighe. Ajoutons à cela, le juge de Sidi M’hamed semble ne pas faire la différence entre le drapeau national, qui réfère à la nation algérienne, à un territoire défini et souverain, avec l’étendard amazigh qui réfère à l’amazighité de l’Algérie, à une identité millénaire dont la défense et la promotion devraient être un objectif commun à tous les Algériens. Ce paradoxe de prononcer des verdicts différents pour des faits similaires et pour les mêmes griefs suscite des interrogations et prouve que l’appareil judiciaire est déstabilisé. Il y a visiblement deux catégories de magistrats. Ce qu’il faut savoir, c’est que les magistrats et avocats sont impuissants pour arracher à eux seuls l’indépendance de l’appareil judiciaire.
Le procès de 12 détenus et 9 autres placés sous contrôle judiciaire s’ouvrira le 18 du mois en cours. Êtes-vous optimiste au vu de tous ces éléments ?
Le juge près le Parquet de Sidi M’hamed s’est retrouvé devant l’obligation de repousser le procès de 21 personnes des 42 qui devaient passer devant le prétoire le même jour à lundi prochain. Les 21 personnes confronteront le même juge qui a condamné leurs codétenus et compatriotes pour les mêmes faits.
En tant que juriste ne comptez-vous pas saisir le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) dans ces affaires des détenus d’opinions…
On n’a pas encore épuisé toutes les procédures juridiques pour passer à un acte pareil. Mais, je condamne le silence coupable et complice des institutions de l’Etat, notamment celui du Conseil national des droits de l’Homme qui est resté de marbre devant des dépassements graves, tels les arrestations arbitraires et la fermeture de la capitale aux autres Algériens. On n’a entendu aucune réaction, aucune interpellation ou écrit condamnant ces dérives. Il faut savoir que les détenus sont prêts à sacrifier leur liberté pour l’Algérie qui est au-dessus de tout. Si leur maintien en prison doit régler la crise, ils sont prêts à y rester. C’est le cas de Hakim Addad qui, en apprenant la condamnation des porteurs de drapeau berbère, a appelé au maintien de la mobilisation en insistant sur la primauté du Hirak sur la liberté des personnes.
Meriem Kaci