Mouvement étudiant : Eté laborieux pour une rentrée pas comme les autres !

Mouvement étudiant : Eté laborieux pour une rentrée pas comme les autres !

La dernière fois que les étudiants se mobilisaient en plein mois d’août remonte à une quarantaine d’années, au temps du CVU et des campagnes de volontariat au profit de la révolution agraire. Mais cela est une autre histoire ! Une époque lointaine et bien révolue, et qui ne dit pas grand-chose, voire rien du tout, aux jeunes étudiants d’aujourd’hui, qui s’investissent corps et âme dans le Hirak populaire.

Quelles perspectives pour l’avenir immédiat d’un mouvement d’essence à la fois citoyenne et intellectuelle, tiraillé par des dissensions internes et soumis aux convoitises de chapelles externes ?
Dans l’histoire du mouvement étudiant algérien, le destin de cette communauté a de tout temps croisé celui du peuple dont elle est issue, dans des rencontres souvent douloureuses. Fer de lance des luttes d’avant-garde, les étudiants ont payé un lourd tribu à chacun de leurs engagements. De mai 1956, de l’implication dans la révolution des étudiants de l’UGEMA, où des dizaines d’étudiants de l’époque l’ont payé de leurs vies. Des luttes syndicales et politiques de l’UNEA historique (1963-1971) jusqu’à son démembrement, les étudiants ont payé le prix lourd de la répression et des geôles. Des Comités d’étudiants des années 1980, porteurs de revendications démocratiques et identitaires, qui ont valu la prison à bon nombre d’entres les les plus combatifs. Des événements d’octobre 88 à ceux de juin 2001 et jusqu’aux grèves de 2011, et aux protestations des étudiants en médecine de 2018, le mouvement autonome des étudiants a toujours subi les contrecoups de la politique répressive du système en place.
Même aujourd’hui, l’émergence d’un Hirak estudiantin ne s’est pas faite sans douleurs. A Alger, les principaux animateurs de la marche de contestation du mardi ont presque tous été arrêtés au moins une fois, fichés, interrogés, parfois brutalisés et les marches des étudiants réprimées en de nombreuses occasions.
Contre toute attente, ces jeunes étudiants vont surprendre aussi bien le Hirak populaire que les services de sécurité et les institutions gouvernementales, par la persévérance de leur engagement et leur hargne. Souvenez-vous de cette décision prise par l’ancien ministre de l’Enseignement supérieur, Hadjar, d’avancer la date des vacances de printemps, d’essayer de fermer les restau U et de suspendre le transport, pour casser cette dynamique naissante… Le mouvement estudiantin s’installe dans la durée au point où l’écueil des vacances d’été est vite contourné et renforcé par une mobilisation jamais égalée des citoyens au profit de la marche du mardi. Désormais, les voilures de ce mouvement sont portées par des vents généreux et des idées nobles.

Tentatives de récupération…
Cible de nombreuses tentatives de manipulation et de caporalisation, le Hirak estudiantin, grâce notamment à une organisation horizontale, a jusqu’ici, plus ou moins réussi à garder une certaine autonomie qui a permis au mouvement de perdurer. L’émergence de nombreux pôles et comités autonomes a eu pour effet de multiplier les centres de proposition et d’action. La légitimité se mesurait désormais au prorata de la représentativité.
A côté de la vaine entreprise de noyautage du Hirak estudiantin par la mouvance «badissiste» qui se revendique du «novembrisme», – un concept hybrique reposant sur un mythe historique -, mise en place depuis le mois de mars dernier, et les tentatives d’intimidation à l’égard des principaux animateurs du mouvement, la dernière tentation fut sans conteste le projet machiavélique de mettre sur pied une conférence «fantôche» des étudiants, en plein mois d’août, alors que la totalité des étudiants sur les plus d’un million que compte la communauté sont en vacances ! Dans le pire des scénarios, une grossière manipulation, synchronisée avec le timing d’un panel récemment renforcé par des personnalités universitaires enseignantes notamment – que certaines indiscrétions pointent du doigt – et dans le meilleur des cas, une fuite en avant de ses initiateurs.
Si l’un des deux organisateurs annoncés, le pôle des étudiants algériens bénéficie d’une certaine crédibilité auprès des étudiants, même si d’aucuns lui reprochent son caractère élitiste, le pôle ne regroupant que des écoles, il n’en est pas de même pour le second, le forum des étudiants qui, quasiment inconnu, ne compte sur sa page facebook que 176 adhérents, contre plus de quinze mille pour le Hirak Etudiant Algérien et plus de huit mille pour le Pôle. Véritable coup de Trafalgar si elle avait eu lieu, l’annulation pour cause d’absence d’autorisation de la wilaya d’Alger serait un prétexte fallacieux pour bon nombre d’étudiants au fait des tractations qui ont eu lieu 48 heures avant la tenue programmée de la réunion. Pour Aïssa : «C’est l’opposition et la levée de boucliers de nombreux comités d’étudiants, dont ceux du Hirak du mardi, qui ont fait reculer les organisateurs de la conférence», désormais renvoyée aux calendes grecques.
Le samedi 17 août, la conférence n’aura pas lieu, mais c’est à un véritable «coup de Jarnac», au sens originel de l’expression, coup habile et inattendu, auquel nous assistons. Pas tout à fait inattendu, puisque annoncé dès jeudi sur Facebook, mais auquel beaucoup n’ont pas accordé l’importance revêtue.
La cinquantaine d’étudiants qui ont investi la conférence d’installation des sages du panel a eu un effet galvanisateur aussi bien sur les étudiants que sur les citoyens lambda, malgré un black-out systématique des médias lourds notamment, dont certains ont osé la diffamation en accusant une association de jeunesse d’être derrière l’action «coup de poing». Pour certains décideurs, il est impensable d’avouer qu’il s’agit-là d’une action d’étudiants réfléchie. Quant au jeune étudiant Samy, il n’a pas fini de subir sur les réseaux sociaux des attaques en règles. La rançon de la gloire ? Plutôt celle de l’affront qui passe mal…

… Et défi d’organisation
L’action des étudiants de ce samedi a incontestablement boosté le moral des troupes. Ce mardi risque d’être davantage mobilisateur. La contestation estudiantine est désormais montée de plusieurs crans. C’est la première fois que le Hirak opère une sorte de corps-à-corps avec le panel. Sans effusion. Mais avec beaucoup d’énergie et de conviction. Qu’importe si la frilosité des uns et des autres a quelque peu minimisé l’événement. Samy est désormais une icône du mouvement étudiant et ses camarades de véritables héros aux yeux de leurs pairs et du Hirak.
Mais au-delà de ce que d’aucuns nommeraient un «happening», il y a la réalité du mouvement et les défis auxquels il sera confronté dans les jours, voire les semaines à venir. Des défis auxquels il faudrait apporter des éléments de réponses probants, s’agissant particulièrement de la nécessité vitale d’organiser et de structurer le mouvement étudiant avec l’objectif de parvenir, non pas à une énième organisation estudiantine qui, objectivement, ne semble pas être à l’ordre du jour, mais, comme le proposent certains étudiants, «à des coordinations de comités par région, puis à l’aboutissement d’un conseil national des coordinations sur la base de revendications minimales, suffisamment consensuelles pour rassembler les étudiants, à la fois autour de revendications socio-pédagogiques et démocratiques, mais aussi de sortie de crise». Une feuille de route des étudiants, oui ! Mais avec leur assentiment.
On annonce un septembre chaud. Explosif. Le Hirak populaire et le Hirak estudiantin ont rendez-vous avec l’histoire. Celle de l’Algérie. De son avenir et celui de ses enfants.
Dans le cheminement du mouvement estudiantin algérien, il n’existe malheureusement pas de contiuum à même de valoriser les expériences passées. Chaque phase de la vie du mouvement étudiant a gardé son histoire, ses valeurs, son savoir-faire et ses expériences pour elle-même. Les historiens ont peu ou prou investi et défriché cette question. Et le peu d’études sur la question reste inaccessible, voire presque ésotérique. Il est peut-être temps d’y remédier avec un Hirak qui opère selon un ou des cycles d’accélération temporelle avec des bonds historiques qualitatifs tels, qu’une expérience de la dimension d’une révolution populaire peut accumuler en six mois l’équivalent cognitif de prise de conscience, de maturité politique et de savoir-faire de vingt ans d’apprentissage linéaire. Les étudiants et le Hirak sont-ils prêts à opérer ses bonds ? Tout porte à le croire désormais.