Mustapha Hadji : Le match Algérie-Maroc m’a laissé sur ma faim

Mustapha Hadji : Le match Algérie-Maroc m’a laissé sur ma faim

C’est un Mustapha Hadji très affûté et aussi svelte que lorsqu’il évoluait dans les plus grands clubs européens que nous avons rencontré cet après-midi (ndlr, hier à 14h) à Paris.

Un Mustapha Hadji qui n’a pas pris une ride malgré ses presque 40 ans et qui nous a montré, lors de ce mini-entretien, qu’il est toujours très au fait de l’actualité footballistique de son pays, le Maroc.

Le Ballon d’Or Africain 1998, que les fans des Lions de l’Atlas, du football maghrébin et du beau jeu en général considèrent comme l’un des plus grands artistes du football marocain et africain, a accepté de parler sans tabou du match Algérie-Maroc d’Annaba, du match retour qui aura lieu le 4 juin prochain, de l’équipe nationale du Maroc et bien sûr de revenir sur les grands moments de sa riche carrière.

– Mustapha, vous n’avez pas changé, on dirait que le temps n’a aucune prise sur vous. Quel est votre secret ?

– Il n’y a pas de secret, il faut juste continuer à pratiquer le sport et surtout avoir une bonne hygiène de vie. Moi, je suis passionné de sport, donc, je n’ai pas à me forcer et je fais attention à ma ligne.

– Vous étiez la figure de proue de la première génération de joueurs africains et maghrébins en France à choisir votre pays d’origine plutôt que votre pays d’accueil. Votre choix a-t-il nui à votre carrière ?

– Honnêtement non, je ne le pense pas. Je pense que lorsqu’on a du talent et que l’on travaille, quel que soit le drapeau de sa sélection nationale on fait son trou. J’ai eu la chance d’évoluer dans de grands clubs du football mondial, qui jouaient tous quasiment le haut du tableau lorsque je m’y trouvais, comme le Deportivo La Corogne par exemple ou le Sporting Portugal sans parler de mes débuts à Nancy, mon club formateur et mon passage en Premier League anglaise. Je crois qu’il faut choisir sa sélection nationale en fonction de son patriotisme et de ce que son cœur lui dicte. J’ai choisi le Maroc, car cela m’a toujours paru évident. Je ne me suis jamais imaginé avec un autre maillot.

– En France, vous avez été le premier grand espoir du football français à opter pour son pays d’origine, le Maroc, cela n’a pas dû être facile ?

– C’est vrai que ça a été un peu difficile, à l’époque, une sélection espoir en équipe de France vous barrait la porte des A et il n’y avait pas de «date FIFA» contrairement à aujourd’hui. Alors, lorsqu’on choisissait une autre sélection que la France, c’était très mal vu et aller jouer un match avec sa sélection pouvait être assimilé à un «abandon de poste», si on se base sur le code du travail. Grâce à Dieu, j’ai toujours pu rejoindre les Lions de l’Atlas sans problème même si au début, il y avait quelques grincements de dents.

– Pensez-vous que c’est plus facile pour la génération qui vous a suivi, celle de votre frère Youssouf et les générations de footballeurs africains d’Europe qui arriveront dans le futur ?

– Bien sûr que cela est plus facile, aujourd’hui la loi FIFA protège les internationaux et il y a une loi qui permet aux Africains ayant joué pour les sélections espoirs de leur pays d’accueil ou de naissance d’obtenir une dérogation pour jouer pour leur pays d’origine. Aujourd’hui, le joueur ne se concentre que sur son choix du cœur et a même droit à l’erreur puisqu’il est autorisé à changer de pays.

– Qu’avez-vous pensé du match Algérie Maroc d’Annaba ?

– Le match Algérie-Maroc m’a laissé sur ma faim .Honnêtement, j’ai été déçu par ce match. J’ai été déçu par le jeu produit. Tout le monde était trop tendu, ça a joué très dur sur l’homme alors que sur le terrain et dans les deux équipes, il y avait pas mal d’artistes du ballon rond. J’aurais préféré un match plus dans notre style maghrébin, un match d’artistes, basé sur la technique et non pas un match physique.

C’est vrai que c’est un gros derby, avec un grand enjeu, il ne faut pas se leurrer, mais Algérie-Maroc n’a jamais été Algérie-Egypte, l’enjeu est d’abord sportif et se règle sur le terrain. Les Algérie-Maroc ont toujours été de beaux matchs entre frères, pas seulement voisins mais frères et le demeureront à vie incha Allah. Concernant le match proprement dit, les Algériens voulaient les trois points et ils les ont eus. Maintenant, tous les compteurs sont remis à zéro, tout le monde a son destin entre ses mains et le plus costaud passera.

– Justement, parlons du match retour, vous, qui aviez inauguré, il y a peu le magnifique stade de Marrakech, n’auriez-vous pas préféré que ce bijou d’architecture serve d’écrin à Maroc-Algérie ?

– C’est vrai que le stade de Marrakech est magnifique, mais le problème c’est qu’il ne peut contenir que 45 000 places, contrairement à celui de Casablanca, qui, lui, peut en contenir 90 000. Le match Maroc-Algérie étant un grand évènement, la Fédération marocaine a souhaité contenter le maximum de supporters marocains, même si, vu l’engouement chez nous autour de ce match, il y aura quand même beaucoup de déçus. En plus, le public de Casablanca étant très chaud, il y aura une ambiance sensiblement semblable à celle du match aller.

– A la seule différence, c’est que le public marocain est connu pour être plus dur et plus exigeant envers sa sélection nationale par rapport au public algérien. Comment l’expliquez-vous ?

La seule explication qui me vient à l’esprit, c’est que le public marocain, au fil des années, a été «habitué» ces 30 dernières années à avoir une équipe nationale marocaine qui gagne certes, mais qui gagne en produisant du très bon football. Que ce soit la génération des années 1980 que celle des années 1990. Le football étant un sport de cycle, comme la Tunisie, l’Egypte et l’Algérie avant nous, depuis quelques années, le Maroc traverse une petite période «sans» et est dans une période de doute, malgré les joueurs de qualité qui composent le groupe et ne produit pas du beau jeu. Cela suffit à mécontenter les supporters marocains. Mais rassurez-vous, le 4 juin prochain, tout le peuple sera derrière les Lions de l’Atlas.

– Le Maroc, version 2012, a une génération de folie avec des joueurs évoluant ou convoité, par les plus grands clubs. Qu’est-ce qui ne va pas, selon vous ?

C’est vrai que lorsqu’on voit sur le papier Kharja à l’Inter, Chamakh à Arsenal, Taarabt convoité par le Real, El-Arabi par la Juventus, etc. On se rend compte que ce groupe est très homogène dans toutes les lignes et de très haut niveau.

Je pense que c’est un problème de confiance. L’équipe, qui sort d’éliminatoires de la CAN et de la Coupe du monde 2010 cauchemardesques, est encore fragile et convalescente psychologiquement. En plus, le groupe est très jeune et manque d’expérience collective internationale et africaine. Il a besoin d’être entouré et mis en confiance. Un groupe comme le groupe actuel du Maroc a besoin d’encouragements et de suivi de la part du staff en plus des séances d’entraînement traditionnelles. Il faut que cette sélection de grands joueurs devienne un groupe.

– Un peu comme l’équipe d’Algérie en 2008 avec Rabah Saâdane ?

– C’est exactement ça. Ce groupe a besoin d’être entouré, aiguillé et a besoin d’un match référence et je vous garantis qu’après, il deviendra inarrêtable.

– Merci Mustapha de nous avoir donné un peu de votre temps, la dynastie Hadji n’est pas seulement douée pour le football, mais est aussi constituée de jeunes hommes toujours disponibles, courtois et abordables et qui, malgré la célébrité, sont toujours disponibles pour la communauté maghrébine. Alors que vous avez pris votre retraite il ya quelques années, vous en êtes déjà à la troisième ou quatrième photo depuis le début de notre entretien, cela prouve que vous êtes très apprécié du public qui ne vous a pas oublié…

– Il n’y a aucun problème. Vous savez, qu’il s’agisse de mon frère Youssouf ou de moi-même, nous savons qu’avant d’être des joueurs, nous sommes des êtres humains avant tout. Le football ne dure qu’un temps, mais l’image que les gens ont de vous dure éternellement. Je voudrais saluer tous les Algériens et les Marocains qui liront cet interview et je souhaite que le Maroc-Algérie du 4 juin prochain se déroule dans un fair-play total et que nous ferons la fête avec nos frères algériens comme ils l’ont fait avec nous à Annaba lors du match aller.

M. B.