Ces jours de transition entre l’été et l’automne sont la meilleure période pour constater la rupture entre la gestion des villageois et celle des élus.
Il n’y a pas si longtemps, au début du mois de septembre de chaque année, les villages s’animaient chaque week-end. Les volontariats se multipliaient dans toutes les localités pour les travaux d’aménagement des routes, des places publiques et autres lieux, comme les fontaines. Les villageois accomplissaient chaque année ces travaux pour se prémunir des torrents que causent généralement les premières pluies d’automne.
Aujourd’hui, après plusieurs décennies de gestion des collectivités par des assemblées locales généralement élues par les populations, ces travaux ne sont effectués ni par les villageois ni par les services de la voirie communale. Il semblerait que les élus ont échoué dans leur mission de remplacer les anciennes structures traditionnelles villageoises plus aptes à gérer le quotidien des villageois que ces assemblées modernes qui ont d’autres chats à fouetter.
En fait, ces jours de transition entre l’été et l’automne, sont la meilleurs période pour constater la rupture entre la gestion traditionnelle des villageois et la gestion moderne des élus. Etant justement la période, nous en avons profité pour nous enquérir sur le terrain, à travers les villages.
C’est la désolation à travers les villages. Une virée surtout du côté nord de la wilaya donne l’impression que la vie se clochardise. Les villages ne sont plus propres. Les routes sont jonchées de déchets ménagers et autres bouteilles- déchets. «C’est une grande décharge. Le village étouffe et les villageois ne bougent plus. Nous sommes envahis par les débarras» s’écrie un villageois du côté du littoral. Les bouteilles de boissons alcoolisées jonchent les routes, de même pour les emballages de produits de consommation divers. «On croirait que ce sont juste les Kabyles qui boivent à force de voir ces détrituts enlaidir nous routes. Tous les peuples boivent et utilisent ces emballages mais n’ont jamais causé autant de tort à leurs pays», se désole un jeune de la région de Boghni. «Ça fait des années que les villageois ne se réunissent plus pour des volontariats. Chacun s’occupe de ses petits soucis quotidiens. Alors tu vois, personne ne peut prendre en charge les problèmes des autres. Même pas la mairie. C’est l’égoïsme qui règne en maître absolu», ajoute un autre jeune étudiant. «Chacun peut voir de visu l’état de clochardisation des villages. Beaucoup croulent sous les poubelles», se désole un autre jeune de la commune de Mizrana.
Les villages se transforment en grandes poubelles
Le passage de la gestion ancienne des villages assurée par les villageois à une gestion moderne assurée par les élus ne s’est pas produit. C’est l’échec cuisant. Pourtant, d’aucuns auront observé que l’arrivée des assemblées élues avec leur armada de matériel roulant de la voirie n’a pas eu l’effet escompté sur l’environnement à travers les villages. Pis encore, l’apparition de ces moyens et assemblées modernes a eu un effet paralysant pour les villageois. Les anciens modes de gestion qui prenaient en charge le volet voirie ont disparu. «Oui, je trouve que c’est tout à fait normal que les anciens réflexes disparaissent. Les élus, lors de chaque élection, promettent de prendre en charge ce volet et de rendre les villages plus propres.
C’est pourquoi les villageois ont abandonné leurs réflexes de prise en charge de ces travaux à chaque fin de saison estivale», explique doctement Ali, étudiant et ancien président du comité de village. A Boudjima, bon exemple de mauvaise gestion en la matière, les villageois ont tenté à maintes reprises de s’organiser pour effectuer ces travaux, mais certains élus les ont dissuadés par le biais de leurs relais dans les villages. Craignant de perdre quelques voix aux prochaines élections, ces derniers promettent chaque année de procéder à ces travaux par les moyens des services communaux de la voirie, les villageois ont toujours affronté les torrents des premières pluies d’automne qui débordent. «L’intérêt personnel et politique prime sur l’intérêt commun. Les élus n’aiment pas voir les villageois travailler par eux-mêmes. Alors, ils envoient leurs relais saborder toute tentative d’organisation», explique un autre villageois.
Pour qui travaillent certains élus?
Ces derniers temps, à travers certains villages, les citoyens commencent à agir individuellement. Des initiatives personnelles apparaissent par-ci par-là pour con-trer cette paralysie. «Je m’en fous des villageois et des élus. Je vais ouvrir les voies bouchées tout seul. Celui qui veut faire comme moi qu’il me rejoigne. Je n’appelle personne à venir», explique Saïd volontaire sorti tout seul faire les travaux sur la route qui désenclave son village. «Je vous assure que certains élus actionnent leurs relais dans notre village pour saborder l’organisation de notre comité. Ils ne veulent pas qu’on s’organise pour faire les travaux par nous-mêmes. Et ils ne les feront pas eux aussi. On va souffrir encore. A présent, j’ai compris leur stratégie: ils paralysent tout par leurs relais jusqu’à l’approche des élections locales. Alors, ils les envoient avec ordre de mission de réanimer les comités qu’ils vont utiliser dans leur campagne électorale», explique un autre jeune rencontré sur la route, en train d’ouvrir un pont bouché.