Nomination d’un nouvel Exécutif : Quel avenir pour le gouvernement Bedoui ?

Nomination d’un nouvel Exécutif : Quel avenir pour le gouvernement Bedoui ?

Par K. Remouche

Le Premier ministre Noureddine Bedoui vient de constituer son gouvernement conformément à la feuille de route du chef de l’Etat Abdelaziz Bouteflika. La nomination de cette nouvelle équipe intervient dans une situation très confuse et à l’issue incertaine.

D’une part, le mouvement populaire rejette ce nouvel Exécutif parce que tous ses membres représentent, selon lui, le système que les manifestants s’acharnent à faire tomber pacifiquement. D’autre part, le chef d’état-major de l’ANP, le général Gaïd Salah, lui, propose l’application des articles 7, 8 et 102. Ce qui suppose, d’après ces dispositions de la Constitution, le départ du président de la République avant la fin légale de son mandat et le choix d’un Exécutif approuvé par le peuple.

Ce scénario semble avoir des chances de se réaliser, du moins selon les informations de certaines chaînes privées, qui annoncent depuis plus de soixante-douze heures la démission imminente du chef de l’Etat et la réunion du Conseil constitutionnel pour constater son incapacité à diriger le pays. Mais rien n’est sûr en ce début du mois d’avril et la multiplication de fake news, ces derniers jours, incite à la réserve et à la prudence tant que des informations vérifiées et vérifiables demeurent indisponibles.

Néanmoins, si la première feuille de route est appliquée en cas de départ précipité du président de la République, le gouvernement Bedoui aura une durée de vie de 3 mois à l’issue de laquelle sera tenue l’élection d’un nouveau chef d’Etat.

La principale mission de cette nouvelle équipe exécutive, avec l’installation de Abdelkader Bensalah comme premier magistrat du pays par intérim, est de pallier la vacance du pouvoir jusqu’à l’investiture d’un nouveau président de la République. Ce gouvernement aura alors la charge de gérer les affaires courantes. Quatre départements ministériels auront toutefois des tâches plus lourdes que la simple mission de gérer les affaires courantes. Le nouveau ministre des Finances, Mohamed Loukal, qui occupait le poste de gouverneur de la Banque d’Algérie, aura fort à faire pour tenter d’empêcher une nouvelle dérive du dinar et une éventuelle fuite massive de capitaux.

Le ministre de l’Energie dans la nouvelle équipe gouvernementale, Mohamed Arkab, est appelé à jouer le rôle de pompier pour éviter que ce secteur névralgique – il s’agit d’hydrocarbures – ne connaisse des mouvements sociaux susceptibles de gripper la machine de production et d’aggraver la situation financière du pays. Le nouveau ministre de la Justice, Slimane Brahimi, devra donner un cadre légal à la campagne mains propres et envoyer des gages à la rue, qui soupçonne de corruption l’ensemble du personnel dirigeant. La plus compliquée des missions actuellement est toutefois celle du nouveau ministre de l’Intérieur, Salaheddine Dahmoune.

Dans le contexte de forte effervescence actuelle, il aura à démontrer sa capacité à anticiper tout mouvement de foule porteur de risque pour la sécurité des personnes et des biens, cela même si les manifestations populaires restent jusqu’à présent – et il faut s’en réjouir – remarquablement pacifiques.

Le vice-ministre de la Défense et chef d’état-major, le général de corps d’armée Gaïd Salah, aura également la mission délicate de veiller au caractère pacifique du « hirak » et une issue pacifique et rapide de cette crise institutionnelle.

Dans l’éventualité du maintien du chef de l’Etat à son poste jusqu’au terme de son mandat, dans 26 jours, le nouveau gouvernement Bedoui ne tiendra que quelques semaines, peut-être un ou deux mois, mais pas davantage, compte tenu du poids des évènements et de l’accélération qu’ils connaissent depuis la journée de dimanche : interpellation de Ali Haddad, l’ex-président du FCE aux frontières avec la Tunisie et son interdiction comme d’autres grands patrons de quitter le territoire national, l’interdiction aux avions privés de décoller, enfin, le lancement de ce qui s’apparente à une opération «mains propres» qui ne dit pas son nom.

Cette ambiance laisse croire à l’existence d’un rapport de force entre la présidence et l’Armée, placée entre la pression de la rue et le souci de ménager une porte de sortie. Si cela s’avère être une réalité, la nouvelle équipe exécutive, conduite par le Premier ministre Noureddine Bedoui, n’aura pas le temps de s’occuper des dossiers cruciaux et de poursuivre la gestion courante de ceux qui le sont moins ou supposés comme tels. Ce serait une affaire de jours peut-être, avant que le pays ne bascule dans une toute autre configuration qui dépendra de l’issue du rapport de forces pouvoir-contestation populaire. On pourrait alors se diriger vers une séquence de transition en douceur caractérisée par la constitution d’un gouvernement choisi par le peuple ou d’un comité national composé de «sages», des personnalités crédibles, indépendantes, intègres et compétentes chargées de gérer les affaires du pays, pendant un délai à définir, jusqu’à l’organisation d’élections présidentielles.

Quant à l’autre alternative, mieux vaut ne pas y penser tant elle est porteuse de périls : sans accords ni compromis, la fragmentation du champ politique et institutionnel pourrait entraîner le pays dans des dérives que personne ne souhaite.