Des garages et des caves sont transformés en centres d’accueil. Pis encore, des appartements étroits sont exploités comme des crèches. Peu importe, l’essentiel c’est de monter son affaire.
De nos jours, elles sont indispensables. Les crèches ou les centres d’accueil de la petite enfance sont très sollicités. Avec l’évolution des mentalités et l’implication de plus en plus de la femme dans la vie active, les crèches ne chôment pas. Bien au contraire, c’est un créneau porteur et qui reste rentable au fil du temps. «Chaque année, la demande est de plus en plus forte», affirme Karima, responsable d’une crèche à Hussein Dey. Pour trouver une place disponible, il faut s’inscrire bien avant la rentrée. Les crèches sont devenues comme les écoles. Les inscriptions sont ouvertes dès le mois d’avril. Devant le manque de structures publiques, le privé a accaparé le marché. Sur une dizaine de structures d’accueil on trouve une seule qui appartient au public dans les différentes communes de la capitale. En dehors, elles sont presque rares, pour ne pas dire introuvables. L’Etat n’a pas suffisamment investi dans ce créneau. Face à cela, le privé a monopolisé le terrain. Les crèches poussent comme des champignons ces dernières années. Il n’y a pas un quartier où on ne trouve pas au minimum deux structures. Or, malgré la multiplication des crèches privées un peu partout, il n’en demeure pas moins que ces structures souffrent de surcharge. «C’est très rare de trouver une structure qui limite sa capacité d’accueil», regrette une responsable des oeuvres sociales au niveau de la wilaya d’Alger tout en relevant que des enfants sont entassés dans des petites salles qui ne dépassent pas les 7mètres carrés. L’essentiel, c’est de faire rentrer de l’argent.
Des tarifs exorbitants pour de simples prestations
La maternelle est une phase indispensable pour l’évolution de l’enfant. Si dans les pays développés, son accès est gratuit pour préparer l’enfant à s’intégrer dans la société et à assimiler des connaissances, en Algérie il reste facultatif et très cher. Les crèches imposent des tarifs élevés, pour ne pas dire exorbitants. La moins chère est à 7 000 DA. Certaines se mettent au même titre que les écoles privées affichant des tarifs qui avoisinent les 16 000DA et parfois même plus. Les frais d’inscription, l’assurance, les frais des manuels sont autant de charges imposées aux parents dès le départ. Etant dans l’obligation, les parents qui travaillent n’ont pas d’autres choix. «Je casque la moitié de mon salaire pour payer la crèche», affirme Samia, une enseignante au primaire qui n’est pas satisfaite de la prestation. «Les enfants ne mangent pas bien à la crèche et n’ont pas assez d’espace pour jouer», relève-t-elle. Alors qu’un enfant a besoin de beaucoup plus d’espace pour s’épanouir et se dépenser, ces crèches qui sont à la base, des maisons d’habitation, ne disposent pas toutes de cour et de jardin. Pis encore, il n’y a pas que ça. Le personnel d’encadrement n’est pas qualifié pour s’occuper des enfants en bas âge. Souvent, les parents se plaignent du comportement des maîtresses. «Ma fille a été traumatisée par une maîtresse.»
Des garages et des caves transformés en crèches
Tous les moyens sont bons. Les crèches sont devenues une affaire purement commerciale. Devant la demande croissante sur ce genre d’établissement, tous les moyens s’avèrent bon. Des garages et des caves sont transformés en un centre d’accueil. Pis encore, des appartements étroits sont exploités comme des crèches. Peu importe, l’essentiel c’est de monter son affaire. Le respect des normes réglementaires est leur dernier souci. «On a retrouvé plus d’une cinquantaine d’enfants entassés dans un F3, aménagé en une crèche», raconte une responsable des oeuvres sociales au niveau de l’APC de Réghaïa. Cette dame est toujours sous le choc. «C’est inconcevable ce qui se passe, on prend des enfants pour un troupeau de bétail», a-t-elle affirmé. Notre interlocutrice parle en connaissance de cause. «Nous avons mené récemment une enquête sur les crèches qui activent au niveau de la commune de Réghaïa et nous avons constaté que peu d’établissements respectent les normes d’hygiène et les conditions d’accueil de la petite enfance», témoigne-t-elle. Sur les 15 crèches disponibles, cinq n’ont pas d’agrément pour la simple raison, explique-t-elle, que les infrastructures ne répondent pas aux normes réglementaires. Absence d’aération, manque de commodités et d’hygiène, surcharge des sections, une alimentation déséquilibrée, personnel non-qualifié, absence de médecin, sont autant de problèmes soulevés au niveau des crèches. Devant le laisser-aller et les passe-droits, des dizaines de crèches fonctionnent au noir sans se soucier des sanctions. «Nous avons donné, à plusieurs reprises, l’ordre de fermeture à des crèches, mais elles sont toujours en activité», déplore un fonctionnaire au niveau de la commune de Kouba.
Fini le laisser-aller
Il sonne la fin de l’anarchie. L’octroi d’agrément pour l’ouverture de jardins d’enfants dans des locaux à usage d’habitation sera bientôt interdit. Ce quitus sera soumis à de strictes conditions obligeant les nouveaux propriétaires à se conformer à un cahier des charges très strict. Devant les dépassements relevés au niveau des nombreuses crèches et centres d’accueil, les pouvoirs publics veulent mettre le holà. «Le département de la solidarité et de la famille prévoit de revoir la révision du cadre réglementaire régissant l’activité des établissements et centres d’accueil de la petite enfance (crèches et jardins d’enfants)», a précisé la ministre dans son allocution d’ouverture des festivités célébrant le Journée internationale de l’enfance. Un décret exécutif de wilaya interdisant de façon définitive l’octroi d’agréments pour l’ouverture de jardins d’enfants dans des appartements à Alger est en cours de finalisation par les ser-vices de la wilaya d’Alger, a indiqué la présidente de la commission des affaires sociales à l’Assemblée populaire de wilaya d’Alger. Cette mesure vise à réglementer l’activité et assurer la protection de la santé physique et psychologique des enfants, outre la prise en charge des normes d’enseignement et de divertissement au profit de cette catégorie. Les responsables de la wilaya suivent ce dossier afin d’assurer des espaces pour la création de jardins d’enfants respectant les normes, notamment en matière de prestations fournies, de superficie et d’encadrement», a souligné la même responsable. Les visites de terrain effectuées au niveau d’Alger ont permis de découvrir des établissements exerçant leur activité dans des appartements F3, a-t-elle fait savoir, ajoutant que «c’est là une chose inconcevable. Ce sont des établissements qui ne répondent pas aux normes auxquelles est soumis ce genre d’établissements éducatifs». L’année dernière, une enquête a montré que sur 560 jardins d’enfants répartis sur les différentes circonscriptions administratives de la wilaya d’Alger, 300 exercent leur activité avec un agrément tandis que 260 autres exercent illégalement et sans agrément, presque la moitié.
Les nourrices imposent le diktat
C’est une option qui paraît mieux que la crèche. Confier son bébé à une nourrice semble être l’une des solutions idoines au départ. Or, le constat est tiré dans l’immédiat. «Au bout de quelques mois, on voit les conséquences, l’enfant ne s’épanouit pas et on est toujours surpris par son désengagement», soutient Amina, cadre dans une entreprise publique, qui a eu une mauvaise expérience. Cette mère de trois enfants n’arrive pas à oublier son cauchemar. «Ma fille a failli devenir autiste, fort heureusement que je me suis rendue compte avant que ça ne soit trop tard», nous confie-t-elle avec mélancolie. «La nourrice a enfermé ma fille dans une chambre et toute la journée elle restait collée devant la télé avec la série Toyor El Djana», explique-t-elle la gorge nouée. Cette jeune maman a juré de ne plus avoir affaire à des nourrices. «Je préfère mettre mon enfant dans une crèche, même bébé que de le confier à une nourrice qui se donne tout le temps à ses tâches ménagères et enferme des enfants dans une chambre», a-t-elle soutenu. En plus des tarifs élevés qui varient entre 6 000 DA et 9 000 DA, les nourrices se permettent de tout faire avec les enfants. Elles les trimballent dans les marchés, dans les magasins et même pour se livrer à d’autres activités. Alors qu’il est strictement interdit, les nourrices travaillent au noir et ne sont soumises à aucun contrôle. «Ma fille me parle comme une adulte parfois, elle me balance des choses et c’est à travers ça que j’ai découvert que la nourrice travaillait comme femme de ménage», confie en colère Fella qui travaille comme infirmière. Des histoires qui démontrent sérieusement les risques auxquels sont exposés les enfants. «J’ai été choqué de découvrir que la nourrice gardait plus de 10 enfants en bas âge à la maison et qu’elle confiait à son mari, un malade chronique, pour aller récupérer à midi des enfants scolarisés», témoigne Amine, père d’un bébé de neuf mois qui a fini par pousser sa femme à quitter son travail.
«J’ai abandonné ma carrière pour m’occuper de mes enfants»
Si pour les enfants en bas âge, le problème semble être réglé avec les crèches et les nourrices, ce n’est pas le cas pour les enfants dont l’âge dépasse les 7 ans. Devant l’absence des structures de garde, certains couples dont les parents habitent loin se privent même des vacances. «Je prends mon congé à tour de rôle avec mon mari pour pouvoir garder nos enfants durant les deux mois de scolarité», affirme Narjess, secrétaire de direction. Comme c’est le cas de milliers de femmes actives, la fin de l’année scolaire n’est pas du tout un soulagement pour elle. C’est le début du calvaire. Les parents qui travaillent ne savent plus où donner de la tête. «Quand les vacances approchent, c’est la galère au sens propre du mot», avoue Hayet, une femme active et mère de deux enfants. «Certes, pour quelques jours, on peut se débrouiller comme on peut, mais pour deux mois de vacances scolaires, c’est presque impossible», concède-t-elle. Arrêt pour maladie, congé sans solde et mise en disponibilité sont entre autres les formules auxquelles ont recours les parents et particulièrement les mamans pour veiller sur leurs enfants. Elles sont cadres, diplômées et même médecins. De nombreuses femmes ont décidé de lâcher leur carrière professionnelle pour s’occuper de leurs enfants. «Je n’en pouvais plus de résister à cette situation», se plaint Nacira qui occupait un poste bien rémunéré dans une entreprise étrangère. Malgré le salaire et les avantages, cette mère a fini par lâcher son boulot. «On travaillait jusqu’à des heures tardives de la journée, au point que je ne voyais plus mes enfants grandir», se plaint-elle. Saliha, sous-directrice dans une entreprise de communication et mère de trois enfants s’estime heureuse. «J’ai la chance d’habiter pas loin de mes parents, ce qui me permet d’assurer pleinement mes responsabilités au travail et d’évoluer dans ma carrière professionnelle tout en étant rassurée sur mes enfants», atteste-t-elle.