Dans cet entretien, la ministre de l’éducation nationale se dit entièrement dans l’état d’esprit de la réforme. Elle affirme également vouloir faire ressurgir de l’école algérienne cette énergie « peut-être en hibernation » par notamment la formation et la mise à niveau « des compétences qui sont insuffisamment acquises malgré plusieurs années passées dans l’école »
Madame la ministre, dès votre arrivée au secteur, vous avez engagé un chantier qui repose sur trois leviers que sont la refonte pédagogique, la professionnalisation et la bonne gouvernance. Peut-on savoir quel type d’école vous voulez développer ? Quelles sont les valeurs qu’elle doit véhiculer ?
Je suis entièrement dans l’état d’esprit de la réforme telle qu’elle a été initiée et préconisée par la commission de réforme de l’école, instituée par le président de la République, et adoptée en 2003. Cette commission a produit une vision d’ensemble du système d’éducation et de formation.
Cette école, dont je me sens redevable, a été concrétisée avec la loi d’orientation sur l’éducation élaborée en 2008. Un certain nombre de textes ont été mis en œuvre. Notre point de départ, ce sont les acquis de l’école. J’arrive en 2014, mais l’Algérie a fonctionné depuis 1962.
Mais il y a aujourd’hui des nouveaux défis qui ont été pris en charge par la réforme.
Le premier, c’est le parachèvement du processus de démocratisation de l’enseignement. Même si nous sommes à plus de 98% en termes de taux de scolarisation, il faut impérativement qu’on aille chercher les 2% restants. Il faut aussi que tous les enfants terminent le cycle obligatoire. Or, on constate qu’il y a de la déperdition. Même si la scolarité obligatoire est de 9 ans, il y a des enfants qui abandonnent le système scolaire. Nous allons en parler avec l’Unicef qui a mené une enquête sur cette question.
Quand on dit qu’il faut parachever la démocratisation de l’enseignement, il s’agit pour nous de prendre en ligne de compte l’enseignement préscolaire. La loi d’orientation dit qu’il faut le développer de manière à ce qu’il puisse prendre ses marques. Le ministère a pris les mesures nécessaires pour sa généralisation. Nous avons même fixé une date butoir, 2017. Nous sommes en train de consentir des efforts gigantesques pour être au rendez-vous.
Le préscolaire prépare la rentrée à l’école et permettra à tous les enfants de bénéficier des mêmes chances de réussite aussi bien dans les établissements scolaires publics que privés. C’est ce type d’enseignement qui nous permettra de mettre à niveau tous les enfants qui viennent des milieux culturels différents.
Il faut absolument que les principes qui sont contenus dans la loi d’orientation soient appliqués. Il faut qu’on puisse renforcer la maîtrise des compétences dans les langages fondamentaux. J’arrive à un moment où on est en train de faire des évaluations. Il y a eu une évaluation lancée en 2014 portant sur le cycle obligatoire. La seconde, lancée l’année précédente, porte sur l’évaluation du cycle secondaire général et technique.
Et la dernière est centrée sur le redéploiement du système éducatif à partir d’indicateurs de qualité portés par la gouvernance, la professionnalisation des personnes par la formation. Et puis, il y a eu la grande conférence qui a fait le point sur la réforme. Cette rencontre avait pour objectif de prendre en charge les dysfonctionnements diagnostiqués et leurs mises en adéquation. Elle nous a donné les grandes lignes de ce qu’il faut prendre en charge. Nous sommes en train de donner un contenu concret à tous ces changements.
Vous affirmez souvent que l’école n’est pas sinistrée mais « vit un malaise ». Maintenez-vous toujours cette position ?
Si je ne suis pas allée jusqu’à dire que l’école est sinistrée mais qu’elle vit un malaise profond, c’est parce que je pense qu’il y a une énergie peut-être en hibernation, peut-être confinée pour certains dans des classes. Je peux vous assurer qu’il y a des éléments, notamment dans les ressources humaines, qui sont fortement engagés et qui donnent de leur temps. C’est pourquoi, je ne me suis pas autorisée à parler en termes de sinistrose mais de malaise. Les différentes évaluations que nous avons faites nous ont permis d’identifier les sources de ce malaise. Elles se situent d’abord au niveau des compétences qui sont insuffisamment acquises malgré plusieurs années passées dans l’école. On a constaté également qu’il y a une insuffisance et un mal-être par rapport à soi.
C’est pour cela que parmi les solutions qui ont été dégagées figurent la nécessité et l’urgence de chercher comment, à travers les programmes, mettre l’accent sur les valeurs, et dans ces valeurs mettre l’accent sur le patrimoine historique de notre société. Quelqu’un qui est fier de lui-même, de son histoire et de ce qu’il est aujourd’hui, est un gage d’ouverture sur l’avenir et une garantie d’avoir quelqu’un d’ouvert à l’autre.
Comment comptez-vous dépasser ce malaise ?
Ce malaise, on le dépasse premièrement en réaménageant les programmes qu’on appelle de deuxième génération. Et dans les programmes, il faut surtout chercher comment accorder une place importante à la production écrite et orale nationale.
On a une chance fabuleuse d’avoir une production nationale dans les trois langues, arabe, tamazight et française. La consigne et le travail qui est en train d’être mené consistent à donner, au niveau des programmes et manuels scolaires, une grande place aux auteurs algériens qui produisent en ces trois langues. Il s’agit là du premier élément. Le second, c’est celui de la formation et la nécessité d’y mettre l’accent. Le constat nous a démontré qu’il y a des programmes mais très peu de formations. Pour y remédier, on a ciblé les inspecteurs qui vont s’occuper des enseignants.
On a donné la priorité à l’école primaire. Mais cela reste insuffisant. Raison pour laquelle on a décidé d’organiser des sessions de formations au profit des chefs d’établissement et des directeurs d’éducation. Nous sommes en train d’organiser des rencontres particulières. La première a été tenue au mois d’août 2015 avec l’organisation d’une série de rencontres avec 21 wilayas. Durant quatre jours, nous avons fait travailler les directeurs d’éducation avec les inspecteurs et les enseignants pour dégager les projets qu’ils veulent mettre en place en termes de service public au niveau de leurs wilayas respectives. Chaque wilaya est sortie avec un projet majeur qui se décline sur plusieurs propositions. Il y a ceux qui mettent l’accent sur les langages fondamentaux, ceux qui insistent sur le préscolaire soutenant que c’est là où le bât blesse. Pour d’autres, il s’agit de développer les activités parascolaires pour les mettre au service du scolaire. Nous sommes en train de suivre ces projets et de veiller à leur application. C’est de cette façon qu’on compte sortir de ce malaise.
Sauf qu’à l’université, le niveau des nouveaux bacheliers est décrié par les professeurs ?
Quelle est la valeur du bac algérien aujourd’hui ?
Si on vous demande d’attribuer une note à cet examen…
Faut-il donc agir sur le système d’évaluation ?
Ce qui est important sur le plan de l’acte pédagogique, c’est comment valoriser les progrès à travers la définition exacte des lacunes relevées chez l’élève dans chaque matière en vue d’y remédier. On ne doit passer son temps à donner des notes sans qu’elles soient accompagnées d’une observation sur par exemple les progrès accomplis par l’élève au niveau de l’orthographe ou de ses lacunes dans la conjugaison.
Pour arriver à un vrai système de remédiation, nous avons mis en place des équipes de travail qui donneront leurs résultats le mois prochain. Il s’agit d’analyser les résultats de tous les examens nationaux par discipline. On prend les copies des élèves et on cherche sur quoi font-ils des erreurs, on cherche où se situe la récurrence et à quel niveau ils font des fautes.
Le système de remédiation sera construit sur l’analyse des fautes et des erreurs commises par les élèves. A partir de là, on organise la formation des enseignants au système de remédiation. Il faut que je puisse distinguer entre l’erreur, souvent d’inattention, que fait l’élève et les erreurs qui sont liées à la façon où le programme a été dispensé.
Surcharge des classes, lourdeur des programmes, manque d’enseignants… des problèmes qui ressurgissent chaque année. Qu’avez-vous prévu à ce sujet ?
Il y a également, parfois, l’usage de locaux non affectés au cycle concerné, l’utilisation d’annexes ou de salles en extension. Notre objectif, c’est de faire en sorte que l’élève dans sa classe, particulièrement dans le primaire, puisse avoir une armoire, un casier. Cela fait partie d’un confort pédagogique qui peut l’aider à être à l’aise. C’est notre ambition et notre rêve.
Pour ce qui est de la surcharge des programmes, le problème est directement lié à l’organisation. Les parents voyaient que les programmes ne s’adaptaient pas au rythme scolaire et au calendrier. Quand des grèves durent entre trois et quatre semaines, il est quasi impossible de rattraper le retard, à moins qu’on fasse dans le bourrage. Ce n’est pas ce que nous cherchons. Car un enseignement s’approprie. Il y a un temps de maturation. Il y a des limites au niveau des capacités de l’élève à être attentif.
L’enseignant a tendance, en s’appuyant sur le manuel scolaire, à faire l’ensemble des exercices, ce qui est erroné. Certes, vous avez une ligne directrice mais je peux rester plus longtemps sur ce cours parce qu’il n’a pas été bien assimilé et je vais plus vite sur un autre. Le maître dans la classe reste l’enseignant, et un enseignant formé sait, même en ayant un manuel scolaire, que sur ce cours les élèves ont les informations nécessaires, donc il ira plus vite que sur d’autres. L’enseignant doit être formé à identifier ce que maîtrise l’élève et ce qu’il ne maîtrise pas pour pouvoir organiser par la suite une remédiation.
Quant à la problématique de la lourdeur des programmes, pour nous, elle ne se présente pas. Nos enfants ne sont pas moins handicapés que les autres. Le programme s’appuie, si on prend les mathématiques, sur des références internationales. L’Unesco a identifié des invariants et pour aller vers ces invariants, il y a une progression et une évolution qui sont pensées et réfléchies à travers la question du curriculum. Nous ne faisons pas plus que les autres. Pour ce qui est du manque d’enseignants, c’est exceptionnel pour deux raisons.
La première, certaines directions de l’éducation, qui souffrent du manque d’enseignants statutaires, ont les moyens d’avoir des contractuels. Il se trouve que les nouveaux enseignants fraîchement recrutés ne rejoignent pas leurs postes de travail, particulièrement pour les écoles extrêmement éloignées.
La réglementation accorde un délai de quinze jours pour rejoindre ces postes avant de se voir remplacer par une autre recrue. Je précise que ce délai était d’un mois, mais nous avons réussi à le réduire à quinze jours. J’ai dit aux directeurs d’éducation que c’est inadmissible de rester sans solution de rechange. Nous ne pouvons pas trouver toutes les formules. Ce n’est pas un problème d’indisponibilité d’enseignants, car l’université en regorge, mais ils ne veulent pas aller dans des lieux éloignés. Les Algériens sont habitués à des situations de confort. Nous avons des postes à offrir, mais il faudrait d’abord trouver des solutions. C’est intolérable que l’élève reste sans enseignants.
Vous avez installé un groupe de travail pour dégager des solutions pratiques au phénomène des cours particuliers. Concrètement, comment allez-vous procéder pour lutter contre cette pratique ?
Effectivement, nous avons mis en place un groupe de travail qui est composé des syndicats. Notre réflexion est la suivante : nous disons que si nous améliorons véritablement le niveau de formation des enseignants, les parents seront plus satisfaits puisqu’ils verraient le résultat sur leurs enfants et seraient moins stressés et moins inquiets, et par voie de conséquence, ils vont diminuer les cours. Notre inquiétude aujourd’hui, c’est de voir que des familles sont en train de donner des cours privés à leurs enfants qui sont au primaire. C’est catastrophique.
Nous sommes en train d’ins ister sur la problématique de la formation. Il est vrai que depuis un certain nombre d’années, nous recrutons des universitaires sans qu’ils passent par un circuit de formation. Aujourd’hui, les écoles normales supérieures produisent mais elles ne répondent pas à nos besoins qui sont nettement supérieurs. Alors nous avons recruté des licenciés qui bénéficieront de formation durant les vacances ainsi que les mardis et les samedis. Mais nous sommes conscients que c’est toujours insuffisant.
A travers le nouveau dispositif que nous avons mis sur pied, à savoir le collège inspectoral, nous insistons sur le rôle de l’inspecteur dans l’accompagnement de l’enseignant et de sa pratique pédagogique. La mission de l’inspecteur n’est pas seulement de noter l’enseignant ou de le promouvoir. Nous avons besoin de retourner aux journées pédagogiques des enseignants dans lesquelles d’autres enseignants donnaient des cours modèles. Cette manière de faire aide à parfaire les niveaux.
Ce qui explique aussi l’augmentation de ces pratiques, c’est qu’aujourd’hui les parents veulent le meilleur pour leurs enfants. Par le passé, un passage au palier supérieur les contentait. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Les parents sont devenus exigeants. Il y a une évolution sociétale. Les parents savent que si leur enfant n’a pas un 16 au bac, il ne pourra pas faire ce dont il a envie.
Reste que l’objectif de ces cours est commercial…
Marché ne veut pas dire anarchie. Pourquoi ne pas l’organiser ?
Quelles sont les mesures prévues pour assurer la sécurité des écoliers ?
Vous avez insisté sur l’importance de réorganiser les examens de fin d’année, notamment la 5e et le baccalauréat. Comment comptez-vous procéder ? Y a-t-il du nouveau pour cette année ?
Vous avez qualifié d’historique la signature de la déclaration d’intention de la charte d’éthique et de stabilité du système éducatif. Peut-on dire que la ministre a réussi son pari d’instaurer la stabilité dans le secteur ?
Y aura-t-il du nouveau pour les régions du Sud, particulièrement en matière d’organisation de l’année scolaire ?
Quelles est votre vision concernant l’école privée ?