Malgré la crise sans cesse recommencée du modèle de croissance actuellement en vigueur, l’Algérie reste toujours complexée sur les questions économiques et a du mal à se départir de ses réflexes socialistes-populistes.
Depuis quelques années, les produits turcs, notamment textiles, parapharmaceutiques et agricoles, ainsi que les équipements industriels, inondent les marchés de la région Mena. Grâce à son cinéma en plein essor et son marketing de haute voltige, la Turquie pénètre aussi dans les foyers et les villes turques sont devenues des destinations de choix pour des millions de touristes de cette région. Indéniablement, la Turquie a réalisé des avancées de taille sur les plans économique et social à tel point qu’elle représente, pour nombre de pays musulmans, dont l’Algérie, un modèle à suivre. En effet, selon les dernières statistiques fournies par des chercheurs de l’Iris, les chiffres situent l’économie turque dans une posture d’excellence. La valeur ajoutée de l’industrie représente plus de 26% du PIB, les services plus de 63% et l’agriculture plus de 10%. Diversifiée et dynamique, l’économie turque puise sa vigueur dans, d’une part, la présence d’un grand marché intérieur de 75 millions de consommateurs, le taux de croissance du PIB par habitant de la Turquie étant de plus de 7% et, d’autre part, dans l’importance des investissements qui représentent plus de 20% du PIB. L’économie turque, qui était à la 111ème place à l’arrivée de Recep Tayipp Erdogan au pouvoir comme Premier ministre en 2002, est aujourd’hui la première puissance économique au Moyen-Orient, la 7e puissance économique en Europe et la 16e puissance économique dans le monde.
Il est donc normal que des pays, de surcroît musulmans et ayant des relations historiques avec l’ex-Porte sublime, y voient un modèle à suivre. Néanmoins, pour aller sur les traces d’un pays qui a réussi, il est certes nécessaire de le vouloir, mais aussi faut-il passer à l’acte, ce qui n’est pas toujours à la portée de tous. En Algérie, les objectifs et les performances réalisés par la Turquie font baver bien des hommes politiques. Les islamistes, notamment le MSP, n’ont raté aucune occasion d’appeler à aller sur les traces de l’AKP, parti d’Erdogan, notamment quand il était au pouvoir. Mais les choix n’étaient pas toujours à la hauteur, voire parfois carrément à contre-courant de ceux de la Turquie.
Selon Rémi Bourgeot, économiste et chercheur associé à l’Iris, la Turquie a choisi la voie du pragmatisme le plus décomplexé depuis plus de 30 ans. «La Turquie s’est convertie au libéralisme dans les années 1980 et a rencontré tous les problèmes classiques d’adaptation. La force d’exemple de la Turquie se situe dans la gestion des crises qui ont résulté de son ouverture» explique-t-il. De plus, la Turquie est allée chercher ses avantages comparatifs où ils étaient, à savoir dans l’ingénierie, le BTP, l’habillement, les infrastructures, l’électroménager, l’agriculture et le tourisme, et non pas en fonction d’un dogme idéologique pseudo-souverainiste. Concernant les réformes qu’elle a entreprises, la stabilisation monétaire à travers notamment la déconcentration et la restructuration, la privatisation des cinq grandes banques nationales et la mise en place d’une nouvelle Lira, une ouverture massive et unilatérale des frontières arrimée à une magnificence de l’entrepreneur que le gouvernement réformateur a érigé en «héros national», la réduction fiscale, le recentrage de l’activité économique sur l’investissement privé, les privatisations des ports, aéroports et compagnies aériennes ainsi que la «flexibilisation» des contrats de travail à travers la généralisation des CDD, en constituent les principaux éléments.
Or, l’Algérie, qui promet des lendemains enchanteurs aux Algériens à tout bout de champ, peine à se fixer un cap. Campée sur des considérations idéologiques héritées du système Boumediene, elle recule sur chaque pas qu’elle fait sur la voie libérale. Le secteur de l’énergie, qui est sous-exploité, reste monopolisé par l’Etat. Les transports maritime et aérien, qui sont les plus chers dans le pourtour méditerranéen, sont également sous le monopole exclusif de l’Etat. Le secteur des banques, dont l’Algérie enregistre un déficit criant et où la logique «créancière» domine largement l’esprit de partenariat qui devrait animer les établissements financiers, reste également fermé à l’investissement privé. L’ouverture du capital des entreprises publiques, y compris celles en faillite, est soumise à rude épreuve. La monnaie, fluctuante à merci, reste toujours en dehors des circuits d’échanges. Le Code du travail, résidu de l’époque du socialisme spécifique, érige toujours l’employé en maître au détriment des créateurs de richesse. Les établissements de formation fonctionnent exclusivement selon le seul paradigme de la quantité, comme s’ils étaient des sites touristiques. L’accès au foncier industriel est également pénible tant les zones industrielles ne sont ni aménagées, ni viabilisées. Pis encore, au lieu de se structurer autour des PME, l’Algérie tend, au mieux, à fabriquer des champions médiatiquement visibles, ce qui est contre-productif puisque cela stimule davantage l’identification que l’imitation.
En somme, malgré la tentation de plus en plus forte de la mondialisation et malgré la crise sans cesse recommencée du modèle de croissance actuellement en vigueur, l’Algérie reste toujours complexée sur les questions économiques et a du mal à se départir de ses réflexes socialistes-populistes. La Turquie est-elle un modèle économique à suivre? indéniablement, car la Turquie, pour arriver là où elle est et être membre du G20 après à peine 30 ans de politique libérale, n’a pas inventé un système nouveau: elle a appliqué une recette libérale très classique. L’Algérie ira-t-elle sur la voie libérale empruntée par la Turquie? Elle y est naturellement condamnée, surtout que la crise s’annonce dure, de l’aveu même des membres du gouvernement, mais il est une sérieuse crainte qu’elle rate encore une fois sans rendez-vous avec la raison économique.