N’y a-t-il plus d’hommes pour que Saïd Bouteflika abuse de l’Algérie ?

N’y a-t-il plus d’hommes pour que Saïd Bouteflika abuse de l’Algérie ?

Il faut être dupe ou simple d’esprit pour croire que le président Abdelaziz Bouteflika est capable d’assumer  ses fonctions depuis son AVC du 27 avril dernier. L’application de l’article 88 de la Constitution s’imposait d’elle-même. Mais vu l’état dans lequel se trouve, aujourd’hui, l’Algérie après un règne sans partage de Bouteflika, il s’imposait aux décideurs de laisser le mandat actuel du président arriver à son terme.

Cependant, laisser Bouteflika aller au bout de son mandat ne doit pas signifier qu’il doit léguer à son frère cadet les clés de la maison Algérie. C’est de notoriété publique : Saïd Bouteflika, très porté sur l’alcool et les stupéfiants, n’a aucun sens de la responsabilité pour qu’il se substitue à son frère aîné.
Pour avoir enquêté sur le personnage au Maroc, à Paris et à Genève dans le cadre d’un ouvrage consacré aux 15 ans de bouteflikisme, j’ai pu recueillir tous les éléments nécessaires qui indiquent que cet individu est indigne d’agir au nom de l’Algérie ou de s’impliquer dans la gestion des affaires du pays. D’ailleurs, son implication dans les scandaleuses affaires de corruption et de détournements de deniers publics n’est plus qu’un secret de Polichinelle. Sa complicité avec Chakib Khelil, qui bénéficie d’une inexplicable impunité, est plus qu’évidente.
L’action de cet individu qui s’est autoproclamé prince dans une république ne se limite pas aux affaires scabreuses qui lui permettent de s’assurer une retraite dorée à l’étranger une fois le mandat de son frère arrivé à échéance. Insatiable ou peut-être soucieux d’assurer ses arrières une fois son frère éloigné du pouvoir, il cherche à jouer un rôle qui ne lui sied guère. Il s’improvise décideur politique en choisissant le successeur de son frère qui lui garantirait l’impunité et pourquoi pas une place au palais d’El-Mouradia comme conseiller de l’ombre. Une façon de poursuivre son œuvre destructrice. C’est pourquoi il foule aux pieds toutes les lois de la république et les institutions, y compris le conseil de l’Etat pour parvenir à ses fins. C’est ainsi qu’il s’est permis de détruire l’un des symboles de la libération du pays, le Front de libération nationale, en menant en son sein une scission où des voyous payés à 10.000 DA la journée ont transformé les réunions du Comité Central en arènes de combats où les cailloux et l’arme blanche étaient de la partie.
Après une trêve de huit mois imposée par la maladie de son frère, Saïd Bouteflika revient à la rescousse et organise une réunion du comité central selon sa propre conception en foulant aux pieds les décisions du conseil de l’Etat. Tout ça pour imposer l’un des symboles de la corruption qu’ont engendré les quinze années de gouvernance de Bouteflika. Un ancien agent de sécurité dans une station d’essence, joueur de derbouka sans morale et sans aucun niveau d’instruction, occupe par la grâce de Saïd Bouteflika la plus haute fonction du parti fondé par les héroïques Benboulaïd, Boudiaf, Ben M’hidi, Bitat et leurs compagnons.
Quelle guerre de clans ?
Pourquoi toutes ces misères faites à l’Algérie ? Comment cet individu se permet-il d’abuser de tout un pays et de ses symboles sans que personne ne lève le petit doigt ? N’y aurait-il plus d’hommes en Algérie pour rappeler à l’ordre ce triste individu qui doit savoir qu’être frère du président ne lui confère aucun droit de se substituer à lui dans la gestion des affaires du pays ?
Certains simples d’esprit invoquent la guerre des clans au pouvoir pour expliquer les agissements de Saïd Bouteflika. Quelle guerre des clans ? Et quels sont ces clans qui se font la guerre ou plutôt qui est ce clan qui fait la guerre aux Bouteflika ?
Si vraiment cette guerre des clans existait, Saïd Bouteflika n’aurait pas eu le courage de faire le dixième de ce qu’il a fait jusqu’ici. Dans une guerre il y a action et réaction. L’action vient de Saïd Bouteflika qui passe tel un rouleau compresseur sur tout ce qui entrave son chemin. Il dégomme l’ambassadeur d’Algérie à Paris et le remplace par un autre alors que tout le monde sait que le président qui se trouvait aux Invalides était incapable de signer le moindre document ni de prendre pareille décision qui ne semble pas relever de la priorité des priorités. Il se joue des institutions de la république et de ses symboles comme expliqué plus haut. Il instrumentalise la justice à sa guise pour jouer au tyran au point où il emmène l’Algérie tout droit vers une condamnation par la commission des droits de l’homme de l’ONU sans se soucier du préjudice moral qu’il lui cause. Et j’en passe. Face à toutes ces actions qui mettent en péril la sécurité et la stabilité de l’Etat tout en se jouant de la crédibilité de ses institutions, y a-t-il eu réaction ? Celui qui en a vu une, qu’il lève le doigt.
Où est-il ce clan opposé à celui de Saïd Bouteflika pour qu’on puisse parler de guerre des clans ? Certains parlent du DRS et de son patron, le général de corps d’armée Mohamed Mediène dit Tewfik.
Pourquoi ce dernier entrerait-il en guerre contre Bouteflika ou ce qu’on appelle le clan présidentiel mené par Saïd ? Pour l’observateur avisé de la scène politique algérienne, le général Tewfik était parmi les plus fervents partisans de la candidature de Bouteflika en 1999 quand elle avait été proposée par feu Larbi Belkheir aux décideurs de l’époque.
Il penchait pour cette candidature selon l’un de ses proches car, comme beaucoup d’officiers de l’ALN, il gardait encore de Bouteflika l’image du brillant compagnon de feu Houari Boumediene, bâtisseur de l’Algérie moderne.
En 2004, alors qu’une partie du cabinet noir s’était retournée contre Abdelaziz Bouteflika pour lui barrer la route d’un second mandat, le général Tewfik avait joué la carte de la loyauté en se rangeant du côté du président sortant en soutenant que le service qu’il dirigeait a pour mission de veiller sur la sécurité et la stabilité du pays. Des arguments mal digérés par feu le général Mohamed Lamari, venu le solliciter pour soutenir la candidature d’Ali Benflis contre Bouteflika.
En 2009 et alors que Bouteflika procédait de manière illégale à l’amendement de la Constitution pour se permettre de briguer un troisième mandat, le général Tewfik, qui aurait pu jouer la carte de la légalité en torpillant la manœuvre illégale du président de la République, a laissé faire en préférant, toujours, jouer la carte de la loyauté.
Le général Tewfik est-il un homme de clans ?
Cette attitude du général Tewfik reflète parfaitement sa personnalité. Alors qu’au début des années 1990, une véritable guerre des clans faisait rage dans les arcanes du pouvoir et qui a été marquée par les événements d’octobre 1988 et le déclenchement d’une guerre civile qui a duré plus d’une dizaine d’années, j’avais interrogé feu le général Lakehal Ayat, l’ancien patron de la Sécurité Militaire, sur le rôle que jouait le général (à l’époque il était colonel) Tewfik dans cette guerre que livraient les anciens sous-officiers déserteurs de l’armée française aux officiers issus de l’Armée de libération nationale et dont faisait partie le général Tewfik.
Le général Lakehal commençait par rectifier en précisant qu’il n’y avait pas seulement deux clans qui s’affrontaient, mais plusieurs. Les alliances entre les clans se faisaient et se défaisaient au gré des conjonctures. Il se pourrait que deux clans s’allient le soir contre un autre mais le lendemain matin ils se déclareraient la guerre si jamais les données de la veille changent.     « Il y a des cercles dans lesquels évoluent les clans » me dit-il. Et je demande : « Et dans quel cercle se place Tewfik ? ».
Le général Lakehal Ayat qui a bien connu le général Tewfik durant de longues années pour l’avoir eu, surtout, sous sa coupe comme sous-directeur de la sécurité de l’armée au sein de la Direction centrale de la Sécurité Militaire durant les années 1980, cernait parfaitement le personnage. A ma question, il répond en commençant par dessiner un cercle en me disant : « Dans ce grand cercle il y a des clans et dans chaque clan, il y a de petits cercles dont les pions sont interchangeables. Untel passe d’un clan à un autre selon la conjoncture, ses intérêts et son utilité pour les clans. Mais, les chefs de clans ne bougent pas. Tewfik, lui, est en dehors des cercles. Il se place au milieu. Tous les clans lorgnent vers lui et le courtisent. Personne n’arrive à évaluer sa force qui réside, en fait, dans son silence. Il ne dit jamais ce qu’il pense. Il écoute et garde pour lui la décision qu’il envisage de prendre. Tout le monde cherche à lui tendre la main. Lui, il tend la sienne au plus fort du moment. Il n’appartient à aucun clan et ne prend jamais l’initiative d’entrer en conflit. Il préfère toujours attendre. Il n’aime pas la confrontation. Il préfère la stabilité. »
Ce portrait du général Tewfik brossé par l’ancien patron de la SM est, toujours, d’actualité. Si au plus fort de la guerre des clans, le patron du DRS a su ne pas s’y impliquer, pourquoi le ferait-il aujourd’hui, surtout que celui qu’on veut lui présenter comme adversaire est en fin de parcours ? Si vraiment il était en guerre contre Bouteflika, il aurait profité de sa longue maladie pour faire appliquer l’article 88 et il s’en serait lavé les mains. Il n’aurait jamais laissé un homme sans fonction agir dans l’illégalité pour abuser de l’Algérie et de ses hommes dans le seul but d’assurer une impunité à ses actes malveillants. Toutefois, l’impassibilité du général Tewfik devant la tyrannie et les abus de Saïd Bouteflika lui fera endosser une part de responsabilité des conséquences de l’irresponsabilité du frère du président. C’est bien beau d’être loyal mais l’Algérie doit être placée au-dessus de toute considération. Saïd Bouteflika ne se soucie guère des conséquences de ses actes irresponsables. Il n’a pas la stature ni l’étoffe du général Tewfik pour que ce dernier le laisse faire sans qu’il ne réagisse.