Olivier Lepick : «Une dizaine d’années pour détruire les armes chimiques syriennes»

Olivier Lepick : «Une dizaine d’années pour détruire les armes chimiques syriennes»

Recenser puis détruire en Syrie des agents chimiques nécessitera beaucoup de temps et d’investissements de la communauté internationale, explique au Figaro Olivier Lepick, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique, spécialiste de ce domaine.

La proposition russe de placer sous contrôle international l’arsenal d’armes chimiques syrien est-elle réaliste?

Olivier LEPICK – Elle est particulièrement habile, et même diabolique, car elle a l’apparence du bon sens et de la bienveillance. La personne qui ne connaît pas le dossier peut penser que ce processus de destruction va être immédiat et qu’il est facile à mettre en œuvre. Rien n’est moins vrai: il est certes techniquement possible de contrôler et de détruire des agents chimiques, mais il faut au minimum une bonne dizaine d’années pour conduire un tel programme.

Sait-on exactement de combien d’armes chimiques disposent la Syrie?

On sait que le programme syrien d’armes chimiques est le plus important du Proche-Orient et qu’il est sans doute le plus important du monde. Ce pays a développé l’ensemble des moyens nécessaires à la fabrication et à la dissémination d’agents chimiques. On sait que la Syrie dispose de plusieurs centaines de tonnes d’agents chimiques, et notamment de la dernière génération d’armes chimiques que sont les neurotoxiques. On sait également que ce pays a progressivement constitué un robuste arsenal de dissémination de ces agents chimiques; qu’il posséde en nombre obus, roquettes et missiles. On a connaissance de la plupart des sites de stockage syriens.

«Le programme syrien d’armes chimiques est sans doute le plus important du monde»

Olivier Lepick

Mais il n’existe aucun document officiel syrien, puisque Damas n’a pas ratifié la Convention sur les armes chimiques de 1993?

C’est vrai. La Syrie n’a jamais reconnu posséder des armes chimiques. Mais elle est en train de le faire implicitement en participant à la proposition russe. Le premier pas que devrait effectuer le régime de Damas serait d’ailleurs de ratifier cette convention interdisant la fabrication, le stockage des armes chimiques, et ordonnant leur destruction sous contrôle international.

Olivier Lepick, en 2001.

Qui est le plus à même de mener cette opération de stockage et destruction de l’arsenal chimique syrien?

L’organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC en français, OPCW en anglais), qui dispose d’un corps d’inspecteurs internationaux habilités à faire respecter les termes de la convention de 1993. Il faut leur permettre de se déployer sur le sol syrien, sans doute en compagnie de personnels des Nations unies, pour commencer à recenser l’arsenal chimique de Damas. Il va de soi que l’OIAC comme l’ONU vont exiger que les conditions de sécurité de leurs personnels soient assurées, ce qui ne sera pas facile en pleine guerre civile…

La communauté internationale s’est-elle déjà livrée par le passé au contrôle et à la destruction d’arsenaux chimiques?

Oui, les inspecteurs de l’OIAC ont une expérience en la matière, puisqu’ils ont supervisé les programmes de destruction d’arsenaux chimiques dans les pays signataires de la convention de 1993. Ce programme a notamment été conduit aux États-Unis et en Russie. Mais c’est un processus extrêmement long et complexe, qui, commencé dans ces deux pays dans les années 90, n’est toujours pas terminé.

Comment, concrètement, peut-on contrôler, stocker et détruire des produits chimiques?

Une fois l’arsenal chimique recensé, il faut construire dans le pays des usines pour détruire ces agents qui ne peuvent être transportés sans faire courir de grands risques pour la sécurité et l’environnement des populations. Les agents chimiques sont traités selon leurs spécificités, par incinération ou destruction chimique, dans les infrastructures industrielles construites à cet effet. Je le répète, l’ensemble du processus nécessite une bonne dizaine d’années.

À quoi servira-t-il de détruire le stock d’armes chimiques syriens, si ce pays continue parallèlement sa production d’agents toxiques?

Mais il est évident que si la Syrie s’engage dans ce processus, elle commencera par signer la convention de 1993, qui interdit la fabrication d’armes chimiques et autorise les inspections internationales.