Le bijou d’argent des Ath-Yenni, un héritage ancestral, continue à résister aux aléas du temps et au «diktat» commercial pour faire la fierté des habitants de cette commune et représenter son symbole le plus distinctif.
«Le bijou d’Ath Yenni, héritage ancestral et exigences d’aujourd’hui».
C’est par ce slogan que les visiteurs de cette commune, à 35 Km au sud-est de Tizi-Ouzou, ont été accueillis, à l’occasion de la denière édition de la fête du bijou.
Il s’agit d’une manifestation qui met à l’honneur la spécificité première de cette région de haute Kabylie, le raffiné et authentique bijou d’argent qui fait depuis si longtemps la notoriété et l’attrait de celle-ci. Aussi, ce rendez-vous est-il une précieuse opportunité pour faire connaitre ce patrimoine ancestral et unique en son genre, indissociable de l’identité de la femme kabyle mais néanmoins, confronté à de multiples menaces de disparition.
Un patrimoine séculaire
Différentes versions racontent l’origine de ce bijou, dont celle qui la renvoie à l’an 1492, lorsque la reine d’Espagne chassa de son royaume ceux qui refusaient de se convertir au catholicisme, juifs et musulmans qui ont été contraints de s’exiler dans les pays du Maghreb, dont l’Algérie.
Certains artisans juifs se seraient retrouvés ainsi à Béjaïa, apportant avec eux cet artisanat qu’ils auraient transmis progressivement aux habitants de la ville.
Parmi ces derniers, ceux qui finiront, des décennies plus tard, par s’installer à Ath Yenni.
A l’époque, la commune était réputée pour sa production de fausse monnaie, qu’elle faisait écouler sur les marchés locaux pour, disait-on, porter atteinte à l’empire turc dominant. Cette pratique aurait pris fin lorsqu’elle fût découverte par les espions du Dey, ce qui aurait contraint les habitants d’Ath Yanni à se tourner vers la confection du bijou d’argent.
Une autre version se réfère à la famille Allam -de la tribu des Ath Abbas, probablement en référence à la Kalâa des Ait Abbés à Bejaia- qui, une fois installée à Ath Yenni, des décennies auparavant, aurait transmis cet art aux habitants locaux.
Les alliances contractées avec des familles d’Ait-Larbâa, l’un des sept villages composant cette commune, expliqueraient la concentration de ce dernier en plus grand nombre d’orfèvres. Mais quelle que soit la provenance originelle de ce précieux patrimoine, un fait indéniable : il est la résultante de brassages et d’échanges entre des cultures distinctes, avant que le processus de l’histoire ne les fasse se croiser et fusionner l’une dans l’autre.
Les bijoux kabyles, connus pour leur fascination et attrait, ont vu leur réputation transcender les frontières de l’Algérie, pour conquérir une renommée internationale véhiculée, depuis des décennies, par les touristes étrangers qui affectionnent particulièrement cette partie de la Kabylie, d’une part.
D’autre part, par la communauté kabyle établie à l’étranger, en France notamment.
Les techniques de fonte et de moulage de l’argent, courantes dans toute l’Afrique du Nord et remontant à l’antiquité, n’ont pas tellement évolué. La fabrication restant ainsi le plus souvent traditionnelle, les articles sont confectionnés au moyen d’une minuscule enclume alors que la technique de l’émaillage est réalisée en prenant soin de délimiter les parties à teindre et en soudant des fils en argent.
Fruit de l’alliage de trois matériaux : l’argent, le corail et l’émail, le bijou d’argent, localement appelé L’fetta, requiert une précision, une dextérité et une habileté extrêmes de la part de l’orfèvre.
Autant de critères indispensables qui donnent naissance à des produits finement ciselés, filigranés, rehaussés de jolies pierres de corail serti.
Un corail provenant du bassin méditerranéen alors que l’argent est extrait en Algérie, traité en France avant d’être réimporté.
L’émail est, quant à lui, importé de la ville française de Limoges.
Un bijou typique
C’est ce processus qui explique la cherté, conjuguée à la rareté de ces matières premières qui, assemblées et travaillées, consacrent la particularité de ces bijoux qui différent de ceux de la basse Kabylie (Béjaia), plus proches des bijoux d’argent des Aurès, en ce qu’ils sont dépourvus d’émail et sobrement rehaussés de discrètes pierres aux diverses couleurs.
Les bijoux kabyles d’Ath Yenni sont déclinés sous différentes formes, selon les usages qu’en font leurs propriétaires : l’on retrouve ainsi les bracelets «Ddah ou Ameshlukh», les chevillières «Ikhelkhalen», les fibules «Avruch» qui se fixent sur l’étoffe par un ardillon à l’intérieur duquel coulisse un anneau. Il en existe de nombreux types, tels que les «Idwiren» (ronds) et les «Taharaht» qui sont de petites tailles. Les «Tibzimin» sont, quant à elles, des fibules de grandes tailles alors que les «Ibzimen» sont de forme triangulaire.
Les «Abzim» sont présentés comme étant la pièce maîtresse de la parure kabyle, car se portant sur la poitrine de la femme.
Il s’agit d’une grande fibule de forme ronde et richement décorée par de nombreux filigranes, des boules d’argent et une multitude de coraux.
La panoplie de bijoux comporte également «Taessavt», un diadème tout aussi joliment ornementé d’émaux, de gros cabochons de corail ainsi que de boules d’argent.
A ces bijoux, s’ajoutent les incontournables «Thimengouchine» ou «Thaloukine», à savoir les boucles d’oreille sans lesquelles aucune parure d’argent ne saurait être complète.
Celles-ci sont de plus en plus variées, mais les plus anciens modèles demeurent les plus appréciés. Parmi lesquelles on peut retrouver «Letrak», une sorte d’anneau oval orné à l’extrémité par des sertissages de corail et d’émaux.
«Thigwedmatin» est un autre type de boucles d’oreille, composé d’anneaux ornés de corail aux extrémités, celles-ci étant agrémentées de plaques rondes émaillées et pourvues de pendeloques allongées.
Une fonction sociale
Au-delà de l’aspect strictement esthétique, le bijou d’Ath Yenni revêt également une dimension hautement symbolique et a une fonction sociale : indissociable des robes kabyles, également propres à la région, il tient une place essentiel dans le quotidien de celle-ci.
Réduite à sa plus simple expression, la parure d’argent accompagne la femme kabyle durant ses journées ordinaires alors que cette dernière tend à arborer la majorité de ses précieux ornements lors des occasions festives, lui procurant autant d’élégance que de fierté.
Jadis, les femmes kabyles ne se séparaient jamais de leurs bijoux, y compris lorsqu’elles s’affairaient à leurs besognes ménagères.
Le plus souvent, les bijoux s’héritent de mères en filles et sont jalousement préservés : de par leur valeur, autant symbolique que marchande, ils ne sont vendus à autrui qu’en cas d’extrême nécessité.
Ces bijoux sont si liés à l’identité de la femme kabyle que toute mariée se doit de les posséder et les prévoir, en priorité, dans son trousseau.
Pour ce faire, les mères s’attèlent, des années durant, à économiser le coût nécessaire à leur achat, s’engageant pour certaines d’entre elles à s’endetter en cas de difficultés de payement. Dans l’usage social de la région, il serait «mal vu» qu’une famille ne dote pas ses filles de ces ornements incontournables, aussi onéreux soient-ils.
Et pour qu’une parure soit complète, elle doit impérativement être composée de bracelets, de chevillères, de boucles d’oreille, de colliers et du diadème.
Objet d’orgueil et constituant la référence par excellence des Ath Yenni, l’artisanat d’argent est aussi le meilleur prétexte pour faire découvrir cette commune rurale caractérisé par un relief constitué d’une succession de collines au piémont de la chaîne montagneuse du Djurdjura, lequel en constitue la limite septentrionale.
Déjà sortie de l’anonymat grâce au roman de l’écrivain Mouloud Mammeri «La Colline oubliée», dédié à son village natal, Taourirt-Mimoun, la commune a bâti une réputation à travers le savoir-faire de ses artisans orfèvres, dont la majorité vit de cet artisanat traditionnel qui gagnerait à être davantage soutenu pour assurer sa promotion et sa pérennité.