Petits secrets d’Histoire : quand François Mitterrand estimait que « L’Algérie, c’est la France »

Petits secrets d’Histoire : quand François Mitterrand estimait que « L’Algérie, c’est la France »

Qui aurait songé, avant mai 2012, à accoler l’adjectif  » africain  » au nom de François Hollande ? Personne, sans doute. Car, avant son élection, l’actuel président de la République était l’un des hommes politiques français les plus étrangers à l’Afrique. Depuis son arrivée à l’Élysée, il s’est pourtant inventé un destin africain.

D’abord pour prendre ses distances avec la Françafrique version Sarkozy. Puis en inventant sa propre politique africaine, mélange singulier de déclarations humanistes et d’interventions armées. . À l’aide de témoignages inédits, Christophe Boisbouvier décortique la métamorphose de François Hollande. Extraits de « Hollande l’Africain »aux éditions La Découverte

Ce qui est incroyable dans cette France des années 1980, c’est que François Mitterrand a réussi à se faire élire président sans que personne ne lui rappelle son double passé vichyste et colonialiste. Cette amnésie collective explique la double face de Mitterrand. Alors qu’il est resté nostalgique toute sa vie de la grandeur coloniale de la France, il est parvenu, au moment de la présidentielle de 1981, à se faire passer pour tiers-mondiste ! Comme beaucoup de jeunes socialistes, François Hollande a préféré s’en tenir là.

Certes, il a entendu quelques témoignages sur le passé de son « idole » : il ne peut pas ignorer par exemple la fameuse phrase que Mitterrand, alors ministre de l’Intérieur, avait prononcée à la Chambre des députés en novembre 1954 : « L’Algérie, c’est la France ! » Mais il n’a pas voulu en savoir plus. Et, pendant les trente-cinq ans de carrière politique qui suivront, jamais, à notre connaissance, Hollande ne reviendra sur le passé colonialiste de François Mitterrand.

Dans les mois qui suivent l’intervention française au Tchad, un nombre croissant d’observateurs commence pourtant à se pencher sur la politique africaine de Mitterrand. On a vu comment l’infatigable Mongo Beti avait pointé la duplicité de Mitterrand juste après son arrivée à l’Élysée. Quelque temps plus tard, en 1984, c’est au tour du chercheur Jean- François Bayart de tenter une analyse d’ensemble. Pour comprendre la politique de Mitterrand, explique-t-il, il faut se pencher sur son passé. Car celui-ci, malgré le silence qui l’entoure, est particulièrement chargé.

Bayart rappelle que, de juillet 1950 à juillet 1951, le tout jeune Mitterrand, âgé de moins de trente-cinq ans, a été ministre de la France d’outre-mer et a réussi à l’époque un « hold-up » politique : le retournement de l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny, alors compagnon de route des communistes, en faveur de son parti de centre gauche, l’Union démocratique et socialiste de la Résistance (UDSR). Si Mitterrand n’a pas rompu avec la politique des précédents présidents de la Ve République, explique Bayart, c’est parce que ces derniers n’avaient eux-mêmes pas rompu avec la politique coloniale de la IVe République, dont François Mitterrand et Gaston Defferre étaient des figures éminentes. Ministre de l’Intérieur du gouvernement Mauroy entre 1981 et 1984, Defferre a également un long passé colonial. En juin 1956, c’est lui qui, en tant que ministre de la France d’outre-mer, avait donné son nom à une importante réforme institutionnelle – la « loi cadre Defferre » – qui préparait l’indépendance contrôlée des colonies françaises d’Afrique. « On s’est gaussé, écrit Bayart, de ce que M. Mitterrand se soit placé dans la continuité de ses prédécesseurs. Il serait plus juste de dire que ceux-ci ont assumé la voie que M. Mitterrand avait ouverte en 1951, en obtenant la rupture entre le Rassemblement démocratique africain [de Félix Houphouët-Boigny] et le Parti communiste français, et que M. Defferre avait entérinée en présentant sa loi-cadre de 1956. La vraie continuité est plus ancienne que ne le dit la droite, elle va de M. Mitterrand au général de Gaulle et à ses successeurs. »