Il existe des salons internationaux du livre dans les pays du Maghreb, mais leurs littératures respectives s’y trouvent quelque peu diluées parmi la présence massive de livres en provenance des quatre coins du monde.
En déambulant dans les salles de l’Hôtel de ville de Paris qui abritait le 23e Maghreb des livres (les 18 et 19 février), je faisais, certes, le constat d’une bonne santé de la littérature nord-africaine, de l’Égypte au Maroc, en passant par l’Algérie et la Tunisie. La nouvelle génération d’écrivains côtoyait des auteurs émérites à la réputation internationale établie. Des échanges d’idées et d’informations diverses s’effectuaient lors des rencontres organisées durant cette manifestation. Les éditeurs, libraires et autres acteurs de l’industrie du livre traitaient des incontournables aspects commerciaux tout en tissant des réseaux pour l’avenir.
Dans tout cela, il m’est resté un goût d’inachevé, une sorte de frustration diffuse que j’ai mis du temps à exprimer : pourquoi les professionnels maghrébins du livre doivent-ils attendre de se rendre à Paris pour se rencontrer, vendre leurs ouvrages, échanger des idées et des expériences, parler de la littérature de leurs pays et de son avenir ?
Il existe certes des salons internationaux du livre dans les pays du Maghreb, mais leurs littératures respectives s’y trouvent quelque peu diluées parmi la présence massive de livres en provenance des quatre coins du monde. C’est à la fois utile et bénéfique, mais l’expression littéraire des préoccupations d’un Algérien, d’un Marocain, d’un Tunisien peuvent n’avoir que de lointains liens avec celle d’un Italien, un Allemand ou un Canadien. Le Maghreb, c’est un fond historique, civilisationnel, sociologique et culturel commun, avec des diversités qui le rendent encore plus riche. Ce socle partagé justifie amplement le rêve d’un futur immédiat à construire et à vivre ensemble, dans la complémentarité et la solidarité.
C’est dans cette logique que s’impose la nécessité de créer un espace littéraire maghrébin, certes ouvert sur les autres cultures, mais qui s’intéresse en premier aux intérêts des auteurs, éditeurs et libraires des pays du Maghreb. Nous avons demandé à des écrivains de Tunisie, du Maroc et d’Algérie de s’exprimer sur ce sujet.
Les écrivains séduits par la création d’un Salon maghrébin à Alger, Tunis ou Casa
Pour Abdelkrim Allagui, écrivain, historien et professeur à la Faculté des sciences humaines et sociales de Tunis, “le problème est avant tout commercial. Le livre se vend mal dans les pays du Maghreb. Les gens se distancient des livres. Il faut d’abord les réconcilier. Cela ouvrirait ensuite un chemin logique pour l’institution d’espaces littéraires spécifiques au Maghreb”. Pour son compatriote Tahar Bekri, poète né en 1951 à Gafsa, qui a publié une vingtaine d’ouvrages dont certains ont été traduits dans plusieurs langues et qui enseigne à l’université Paris X-Nanterre, l’urgence du moment est “de faire circuler librement le livre entre les pays du Maghreb, et un salon maghrébin des livres n’en sera que l’aboutissement”.
La rencontre suivante va avoir lieu avec un nouveau venu à la littérature, mais avec déjà du succès et des idées plein la tête. C’est pourtant accessoirement qu’il vient à la littérature. Reda Sadiki est médecin spécialiste, plus précisément chirurgien en urologie qui officie à l’hôpital de Tétouan, au Maroc.
Il a été lauréat du Prix Grand Atlas 2016 pour son roman Le cahier de Zahir qui raconte l’histoire d’un jeune Marocain dont le rêve est d’émigrer en Italie. “Un salon maghrébin du livre serait une excellente réalisation. Les peuples le souhaitent, mais les initiatives se heurtent aux aspects politiques qui créent des barrières psychologiques. Quant à l’essor de la littérature maghrébine, il est aussi tributaire de l’alphabétisation du plus grand nombre d’habitants et de la promotion de la lecture dans les espaces publics et privés. Celle-ci n’est hélas pas le souci premier des gens, y compris dans les couches aisées de la population”, a-t-il confié. Et de renchérir : “Quand vous demandez à quelqu’un de parler du dernier livre qu’il a lu, il y a des chances qu’il soit gêné. Il faut inciter les enfants à lire dès l’école, les adultes aussi naturellement, et à avoir des livres chez eux”.
Qui ne connaît Akli Tadjer ? Romancier algérien dont le dernier ouvrage La reine du tango, publié en 2016 aux éditions Lattès, raconte l’émouvante histoire d’une femme qui veut devenir une grande danseuse de tango, comme le fut sa mère, et qui va réussir à force de ténacité. À l’idée du salon maghrébin des livres, lui qui aime les formules répond : “Pour être lu, il faut être vu”.
Sur ces entrefaites, est apparu un homme de grande taille, à l’élégance naturelle rehaussée par chapeau de bonne facture qui laisse couler la tignasse soignée des intellectuels qui opposent le sourire à l’âge : c’est Waciny Laredj, écrivain algérien de langue arabe dont les livres sont également traduits dans d’autres langues.
À propos de ce salon, il a indiqué : “Pour élargir nos perspectives, nous allons au Moyen-Orient comme les écrivains francophones viennent ici à Paris. On a tenté dans un lointain passé un espace maghrébin de littérature à Alger, mais il a vite disparu. Maintenant, il y a un repli sur soi. Les considérations commerciales ne sont pas à négliger. Mais, une telle perspective n’est pas exclue à l’avenir”.
En quittant les lieux, malgré les réserves des uns et la prudence des autres, je me dis que tout compte fait, l’idée séduit plus qu’elle ne dérange. Alors, je me suis mis à m’imaginer déambulant à travers les stands du futur Salon maghrébin des livres d’Alger, de Tunis, de Casablanca…