Plus de 420 millions de dollars transférés depuis 2015 : Cet argent des Algériens siphonné vers le Canada

Plus de 420 millions de dollars transférés depuis 2015 : Cet argent des Algériens siphonné vers le Canada

La moyenne par transfert unitaire, qui avoisine les 405 195 dollars, soulève la question de l’identité  des auteurs de ces mouvements de capitaux.

Il n’y a pas que l’effet hirak : le transfert de devises depuis l’Algérie vers le Canada a pris de l’ampleur depuis au moins 2015. Voire, avant. Des sommes anormalement élevées sont transférées au pays de l’Érable sans qu’on soit fixé sur l’origine des fonds ou leurs détenteurs.  Selon des chiffres obtenus auprès du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (Canafe), plus de 421 millions de dollars ont été transférés par des Algériens vers le Canada depuis 2015. À titre d’exemple, pour la seule année 2015, plus de 151 millions de dollars ont été acheminés au Canada depuis l’Algérie.

Ces valeurs de téléversement ont été faites en 403 déclarations unitaires, selon la même source. Les transferts ont connu une chute drastique avec 71 millions de dollars transférés en 2016 et 52 millions l’année d’après, avant de connaître une légère hausse pour atteindre, en 2018, quelque 68 millions de dollars. Le nombre de déclarations durant cette période oscille entre 331 et 381 opérations. Contacté par Liberté, le Canafe, organisme chargé de surveiller les téléversements de fonds de plus de 10 000 dollars en provenance de l’étranger, n’a pas voulu s’étaler sur le sujet.

“Le mandat du Canafe est de faciliter la détection, la prévention et la dissuasion en matière de blanchiment d’argent et de financement des activités terroristes”, s’est bornée à rappeler Renée Bercier, porte-parole du Canafe. Mme Bercier précise néanmoins que, pour les sept premiers mois de l’année en cours, les sommes transférées ont cumulé à plus de 78,6 millions de dollars pour un nombre total de déclarations qui a atteint 194. Et rien n’indique que le phénomène ne s’est pas amplifié.

Depuis 2015, le Canafe a enregistré 1 671 déclarations pour des transferts dépassant les 421 millions de dollars. La moyenne par transfert unitaire avoisine les 405 195 dollars. Un pactole qui, il va sans dire, n’est pas à la portée des petites bourses, ni du dernier manifestant du hirak.

Ce qui soulève la question de l’identité des auteurs de ces transferts. D’aucuns soupçonnent en effet des proches du pouvoir d’être derrière ces transferts de fonds. Relancée sur la question, la porte-parole du Canafe soutient que ces données, telles que présentées, “sont les seules que le Canafe peut fournir publiquement”, suggérant par là que la loi interdit à cet organisme de formuler des commentaires sur ses fonds de données.

En sa qualité d’unité du renseignement financier du Canada, le Canafe “analyse l’information qu’il reçoit et communique des renseignements financiers aux organismes d’application de la loi pour les épauler dans leurs enquêtes concernant des activités de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme”, souligne notre interlocutrice, qui tente d’expliquer la méthodologie de travail de l’organisme.

“Les déclarations mentionnant le Canada et les pays concernés ont été relevées en fonction de l’emplacement des institutions qui envoient ou qui reçoivent les instructions sur les télévirements, et non pas en fonction de l’emplacement des clients impliqués dans ces opérations. En utilisant l’emplacement des institutions (qui reçoivent ou qui expédient des télévirements) au lieu de l’emplacement des clients, le Canafe peut mieux décrire les mouvements de fonds à partir des instructions”, détaille Mme Bercier.

Spéculations immobilières 
Si l’on ignore pour l’heure l’identité des auteurs des transferts, des sources affirment que cet argent, du moins une partie, est investi dans des transactions immobilières au Québec. Interpellé sur le sujet par un député fédéral, le ministre canadien des Finances, Bill Morneau, avait indiqué que les transactions immobilières suspectes ne sont pas rendues publiques, car soumises à “une surveillance particulière”.

Il convient de préciser que ces 421 millions de dollars ont été transférés par le circuit légal. Or, selon un expert financier de Revenu Québec, beaucoup d’argent prend des chemins détournés. Des membres de la communauté algérienne échangent leur argent sans qu’il y ait transfert de devises en Algérie.

“Quand quelqu’un veut changer ses dollars en dinars, au lieu de prendre cet argent avec lui en Algérie, il le donne à un compatriote qui, lui, se charge de transférer l’équivalent en dinars au bled”, relève notre interlocuteur. Autrement dit, celui qui a acheté la devise se retrouve détenteur d’un fonds qui n’a pas transité par le circuit officiel ni en Algérie ni au Canada.

Des collectifs de la diaspora algérienne au Canada ont saisi le Premier ministre fédéral sur cet enjeu du siphonnage de l’argent de la collectivité nationale. L’on se demande si des actions de rétention de cet argent peuvent être envisagées dans la perspective de le restituer au peuple algérien si jamais il s’avère que ces fonds sont mal acquis. “Le Canafe n’est pas en mesure de répondre à cette question qui ne relève pas de son mandat”, s’excuse Mme Bercier.
Y. A.