LE CAIRE (Reuters) – Au moins 51 personnes sont mortes dimanche à travers l’Egypte, selon des sources proches des services de sécurité, lors de l’une des journées les plus sanglantes dans ce pays depuis le renversement par l’armée du président islamiste Mohamed Morsi le 3 juillet.
Ce dimanche pourrait marquer le début d’une nouvelle semaine de violences puisqu’une alliance d’islamistes, parmi lesquels les Frères musulmans, a appelé les Egyptiens à manifester à partir de mardi et à se réunir vendredi sur la place Tahrir, coeur de la révolution ayant provoqué en février 2011 la chute d’Hosni Moubarak.
Des milliers de partisans des Frères musulmans, organisation désormais interdite dont était issu l’ancien chef d’Etat, ont bravé dimanche une mise en garde des autorités contre toute manifestation hostile à l’armée en cette journée marquant le 40e anniversaire du début de la guerre du Kippour contre Israël.
Le gouvernement mis en place par les militaires avait prévenu samedi que tout manifestant serait considéré comme un agent de l’étranger.
Malgré cela, des partisans de Mohamed Morsi ont tenté de s’approcher de la place Tahrir, où se déroulait un rassemblement en souvenir de la guerre de 1973 avec passages d’avions de chasse dans le ciel et survol par des hélicoptères militaires déployant des drapeaux égyptiens, comme lors des vastes manifestations du mois de juin ayant précédé l’intervention de l’armée contre les Frères musulmans.
« L’ARMÉE EST UNE PYRAMIDE »
La police a usé de gaz lacrymogènes et de matraques pour empêcher les manifestants islamistes scandant « Le coup d’Etat, c’est du terrorisme » et « Sissi est un assassin » d’accéder à la place Tahrir. De nombreux blessés ont été signalés.
Le ministère de l’Intérieur, qui a annoncé 423 arrestations, a dénoncé une tentative des Frères musulmans de « gâcher les célébrations et de provoquer des tensions avec les masses ».
Dans une allocution prononcée en fin de soirée à l’occasion d’une cérémonie officielle, le chef d’état-major de l’armée, le général Abdel Fattah al Sissi, a déclaré: « De nombreuses personnes pensent que l’armée égyptienne peut être brisée. L’armée égyptienne est comme une pyramide mais elle est une pyramide parce que le peuple égyptien la soutient. »
A l’hôpital Ibn Sina, dans le quartier de Mohandissine au Caire, un journaliste de Reuters a vu huit cadavres enveloppés dans des linceuls bleus et blancs et baignant dans des mares de sang.
« Le ministère de l’Intérieur et l’armée ont tué mon fils », criait Sabah el Sayed, mère d’un homme de 29 ans, Rami Imam. Le père de ce dernier affirme que son fils a été pris dans des affrontements alors qu’il rentrait chez lui après son travail.
Abdelrahmane al Tantaoui, un médecin ayant amené Rami Imam à l’hôpital, dit avoir vu des policiers et des militaires postés sur un pont tirer sur des manifestants pro-Morsi. Il affirme que Rami Imam a été atteint d’une balle dans le dos.
Reuters n’a pas pu vérifier cette version auprès de sources indépendantes.
« RESPONSABLES DEVANT DIEU »
Les Frères musulmans ont remporté toutes les élections libres organisées après la chute d’Hosni Moubarak mais leur gestion du pays et l’orientation islamiste qu’ils voulaient donner à la nouvelle Constitution ont suscité un vaste mouvement de colère, sur lequel l’armée s’est appuyée pour renverser Mohamed Morsi.
Depuis, la plupart des dirigeants de la confrérie islamiste ont été arrêtés et les militaires ont rétabli l’état d’urgence en vigueur sous Hosni Moubarak et décrété un couvre-feu.
L’intervention des forces de l’ordre le 14 août contre deux campements de partisans de Mohamed Morsi au Caire s’est soldée par des centaines de morts.
La vitrine politique des Frères musulmans, le Parti de la Liberté et de la Justice (PLJ), a déclaré qu’il tenait le général Sissi et le ministère de l’Intérieur responsables des morts de dimanche. « Nous demandons à toutes les organisations de défense des droits de l’homme de condamner les crimes commis aujourd’hui », écrit le PLJ dans un communiqué. « Nous demandons une enquête internationale sur les crimes d’aujourd’hui. »
Outre Le Caire, des manifestations et des violences ont aussi été signalées à Alexandrie, à Kouloubiya dans la province du Delta du Nil, à Delga, à 300 km au sud de la capitale, à Suez ou encore à Assouan.
Le général Sissi a affirmé que l’armée ne faisait qu’appliquer la volonté du peuple. « Nous sommes responsables devant Dieu et devant vous les Egyptiens du mandat (que le) peuple égyptien a confié à l’armée et à la police pour préserver l’Egypte », a-t-il dit.
Avec Yasmine Saleh, Maggie Fick, Hadeel Al-Shalchi et Omar Fahmy; Pascal Liétout, Julien Dury et Bertrand Boucey pour le service français