Plus de quatre semaines après les inondations : Djanet croule toujours sous la boue

Plus de quatre semaines après les inondations : Djanet croule toujours sous la boue

Pendant plus de 20 jours, la ville de Djanet a été le théâtre d’importantes inondations. Les habitations installées sur les bordures de l’oued ont été englouties par les eaux boueuses. Un constat que nous avons pu observer sur place au cours d’une mission de travail qui aura duré cinq jours. Routes complètement dégradées, infrastructures endommagées, maisons effondrées, palmiers et pylônes électriques arrachés, réseau d’assainissement bouché…Tel serait le cliché auquel a assisté, impuissante, la population locale, toujours sous le choc, désarmée, se sentant délaissée, coupée du reste de l’Algérie.

Joyau du Tassili, le plus grand musée à ciel ouvert de notre pays, Djanet a été, en quelques jours, essoufflée par l’intensité des intempéries et proie à des inondations qui ont causé des dégâts matériels. Les eaux ont envahi la ville où des foyers restaient privés d’électricité durant quelques jours. Selon les témoignages vivants recueillis auprès des habitants sur place, le niveau des cours d’eaux n’a pas cessé de monter jusqu’à atteindre des hauteurs importantes. Plusieurs quartiers : Azelouaz, El-Mihane, Djazira … etc., ont été fortement touchés.

On a souvent tendance à penser que Djanet est exclusivement une destination touristique de rêve. Hélas, aujourd’hui, le constat des lieux se contraste. Pourtant la capitale du Tassili n’Ajjer recèle des richesses archéologiques vieilles de près de trois millions d’années. Aujourd’hui, et plus que jamais, elle demande plus d’attention pour défendre sa réputation touristique qui va au-delà des frontières du pays. Après un périple long de plus de 400 kilomètres, reliant Illizi à Djanet, nous arrivons, vers 18 heures, au centre ville de la pépite du Sud algérien. Un chemin parcouru de Illizi vers Djanet par le moyen d’un bus. Celui qui aura la chance de faire ce trajet, aura contemplé les paysages fascinants et éblouissants qu’offrent les vestiges archéologiques de cette localité du fin fond du désert algérien.

Une fois le pied mis au centre ville de Djanet, la conception négative ou les premières impressions du voyage s’évaporent. Petit à petit vous arriverez vite à vous acclimater avec les lieux et la chaleur humaine des populations locales. L’homme du Sud est connu pour son hospitalité et le sens de solidarité qui sont un héritage toujours aussi bien gardé. À Djanet, plus particulièrement au quartier « Beni Ousken», situé au centre ville, l’une des localités les plus touchées par les intempéries, l’isolement est ressenti et se rend visible dans les visages des habitants. Des habitations effondrées, par-ci par-là, des routes, traversant ce quartier, sont dégradées, quoique peu de véhicules y passent. Triste constat que de voir, subitement, un lieu à fort potentiel touristique d’il y a encore quelques jours, gagné en usure par la force de la nature. Chaque année, le village draine des milliers de touristes, locaux et même étrangers. Du jour au lendemain, le quartier croule sous la boue, la voierie obstruée, les trottoirs défoncés et parsemés de crevasses. Tel est le triste visage de cette localité, une oasis et un éden terrestre par excellence.

Dans l’hôtel «Tadrart», situé à Ifri, à 4 kilomètres du centre ville de Djanet, cette région, peu éclairée la nuit, il faisait une chaleur suffocante. Le lendemain matin, le cap est mis sur «Beni Ousken». À bord du véhicule 4X4 qui nous y emmène, nous avons constaté, depuis loin, l’importance des dégâts. Approchés, les habitants avaient gros sur le cœur. Dris Abdou Ali, notre guide, un imam qui officie à la mosquée «El-Ihssen» est au fait de tout ce qui se passe à Djanet. Avec Rebiai Bar, Hassen, ou encore Achraf, comme éclaireur du chemin, les témoignages recueillis reflètent l’état d’esprit des habitants qui a prévalu depuis cette nuit d’inondations qui resteront, quoiqu’à prendre comme mauvais souvenir, dans la mémoire de la population locale.

La nuit du 30 mai qui a tout changé
« Ce drame a eu lieu en plein mois de Ramadhan, le 30 mai dernier précisément. Juste après la prière d’El-Asr, le temps était nuageux, plus pluvieux encore après la prière d’El-Maghreb», se rappelle, la tête levée vers le ciel, un résident de ce quartier. «Des pluies diluviennes se sont abattues sur la région. Les eaux avaient inondé les rues… A ce moment là, les gens ne savaient pas quoi faire ou comment doivent-ils réagir devant une telle situation délicate», témoigne-t-il.
En effet, d’autres habitants qui se sont rapprochés de nous, apportent leurs versions des faits. «Les pluies diluviennes ont provoqué des crues comme un tsunami sur terre. Ces crues ont charrié tout sur leurs passages : gravats, ordures ménagères. Des déchets jonchent les routes, trottoirs, caniveaux et places publiques inondées. La poussière s’accumulait sur les vitres des maisons. C’était effrayant ! Après le passage des intempéries, notre ville est devenue morne et triste», ont-ils témoigné. «Cette poussière vous aveugle la vue. Je préfère mourir plutôt que de vivre sous cette poussière», livre, pour sa part, un habitant d’un certain âge.

Des maisons rasées, d’autres menacent écroulement
Les habitants ont indiqué que des torrents d’eau ont charrié de la terre, des pierres et autres débris à l’intérieur des maisons. Les inondations ont touché plusieurs habitations et résidences appartenant à ces habitants. Ces derniers en appellent aux autorités, les exhortant d’intervenir pour réparer les dégâts. Se sentant isolés et délaissés, ils tentent, par tous les moyens, de communication d’attirer l’attention des autorités locales pour leur venir en aide.
«Il faut envisager des mesures pour éviter la répétition d’une telle catastrophe. Plus précisément, faire en sorte qu’une catastrophe de ce type, si elle advenait une nouvelle fois, n’aurait pas des effets aussi graves sur la vie et les biens des habitants. Cette catastrophe a révélé la mauvaise gestion des eaux pluviales et l’inexistence des plans pour ce genre de situations critiques», nous révèlera, Abdelkader, un villageois du même quartier. Et de poursuivre, «comme vous voyez, les niveaux des dégâts sont différents d’un quartier à un autre. Ils sont de l’ordre de 100%, 80%, 75 % …etc.»

Notre interlocuteur ajoutera: « Oui, nous avons entendu parler des dernières opérations d’indemnisations de tous les citoyens sinistrés et leur prise en charge, annoncée par le Premier ministre lors d’un Conseil interministériel. Espérons que cela se concrétisera dans les plus brefs délais», a-t-il tenu à souligner.
Sur un autre volet, la perturbation de l’approvisionnement en eau potable est ressentie par les habitants. Ces inondations ont induit en effet interruption d’une canalisation de distribution de l’eau. Plus que cela, il y a risque de cross-connexion, sinon infiltration des eaux usées dans les conduites d’AEP. «Certains utilisent des fosses pour se débarrasser des eaux usées», fera remarquer un résident. Tout en déplorant l’insalubrité, des habitants de la région de Djanet se plaignent, eux aussi, du manque de moyens de vie mais surtout de l’isolement dont ils se sentent victimes. Le manque de moyens de transport accentue, selon lui, l’état d’enclavement. La situation est plus grave encore lorsqu’il y a nécessité d’évacuation de malades ou personnes en danger.
«Nos localités souffrent de l’insuffisance des moyens de transport, aussi bien les bus que les taxis », dit Salah, un jeune étudiant. Il fait savoir qu’il est dur, très dur même, de rejoindre son école en temps de pluie. «Vu ces difficultés, certains enfants ne vont plus carrément à l’école», a-t-il illustré la situation. Tout compte fait, les habitants, parmi ceux rencontrés sur place, ont du mal à cacher leur colère face à la dégradation de leur cadre de vie.

Les séquelles de ces inondations sont encore visibles sous les yeux. De la terre et de la boue couvrent les routes et les trottoirs de plusieurs quartiers de la capitale du Sud. Des palmiers et des poteaux d’électricité sont tombés sur les routes. «Certaines bâtisses imposantes, ne concordant pas à l’architecture de la ville, installées au bord de l’oued, ont croulé sous les inondations», nous confie Abderrezak, rencontré entre deux séquences photo du quartier inondé. Il estime qu’il est urgent de procéder à la réhabilitation de ces habitations, notamment celles menaçant ruine. De même, il n’a pas cessé de réclamer la réalisation de passerelles permettant l’évacuation des eaux stagnantes. «Ceci pour éviter une autre catastrophe naturelle », suggère-t-il.

L’Aïd passé sous un toit es ruines
Abdelkader nous a fait part de ses difficultés lors de ces dernières inondations : « Je n’arrivais pas à me déplacer à la ville pour faire mes courses. Les commerces ont fermé», regrette-t-il, ajoutant : «Ici il n’y a que peu de commerces et ils vendent trop cher».  De leur côté, certains habitants ont connu des problèmes à se déplacer vers d’autres localités: «Les pluies qui se sont abattues sur la ville de Djanet ont provoqué la fermeture de plusieurs axes urbains et des inondations dans différents quartiers », ont-ils poursuivi. Billel, un jeune du quartier, témoigne. «Ces intempéries ont causé l’isolement de plusieurs villages, sis aux alentours de la ville de Djanet, notamment, Haï Djazira, Azelouaz… etc.»
Pour un autre, «Nous avons passé l’Aïd el Fitr très difficilement au milieu de ces habitations en ruines», ceci, sans parler des dégâts occasionnés aux cultures agricoles et les fermes d’élevage d’animaux.

Les décombres menacent la vie des habitants
Des enfants qui badinent devant une maison au quartier «Beni Ousken» lancent un appel aux autorités. «À tout moment, on risque de mourir ensevelis sous les décombres», regrette d’un ton puéril un enfant. « Nous vivons un drame, nous sommes abandonnés et sinistrés», lui emboîte le pas un autre.  D’autres quartiers encore, tel le «Haï 50 Meskan», souffrent d’une pénurie d’eau potable. Cette insuffisance a poussé les habitants à parcourir des dizaines de kilomètres pour ramener de quoi étancher leur soif. Certains se rabattent carrément sur les fardeaux d’eau minérale, nous confiera un habitant de la région. «Cette catastrophe a occasionné d’énormes dégâts. Les conduites d’eau sont complètement bouchées ou cassées», estime un habitant de ce quartier.

En plus, la rupture de l’eau potable persiste depuis l’Aïd El-Fitr. « Cette crise a paralysé notre quotidien, surtout avec cette chaleur terrible. Nous ne pouvons pas subvenir à nos besoins élémentaires en eau », dira t-il encore, tout en exigeant impérativement de procéder à une solution de ce problème, de surcroît pour un produit vital qu’est l’eau ! «Rien n’a été fait pour améliorer notre quotidien», souligne un autre citoyen. «Comme vous voyez, la population locale, majoritairement targuie, vit dans une profonde misère sociale», a-t-il déploré. En tout état de cause, Djanet, plus de 20 jours après le drame, reste dans l’expectative de plus d’attention de la part des autorités. Déjà victimes d’un éloignement dont ils ne se plaignent jamais, les habitants lancent un véritable cri de détresse aux pouvoirs publics.

Reportage réalisé par M. Isikioune