Polémique à Bouira sur un vestige archéologique: Tombeau berbère ou guérite romaine?

Polémique à Bouira sur un vestige archéologique: Tombeau berbère ou guérite romaine?

Par 

N’en déplaise à certains, ce site peut être tout, sauf la tombe de Massinissa, de Jugurtha ou Tacfarinas.

40 millions de dinars, c’est la somme allouée à la réfection d’un site archéologique qui se trouve dans la localité d’El Hakimia, une dizaine de kilomètres au sud-est de Sour El Ghozlane. Rien d’anormal si ce n’est cet amalgame autour de ce vestige. Présenté comme le tombeau de Massinissa, le mausolée ressemble plus à une guérite romaine qu’à un tombeau de roi numide. Même la bonne dame venue expliquer le conteneur du projet n’avait aucun argument historique prouvant qu’il s’agit de la tombe de Mass N’ssene (leur Monsieur, Massinisa, Ndlr) nom du roi numide qui a farouchement combattu les Romains.

La raison qui laisse croire à une guérite romaine de surveillance découle de ce résumé historique concernant l’ex-Auzia, capitale centrale romaine en Afrique du Nord. Il s’agit d’une ville habitée depuis la préhistoire, la première ville fondée en province romaine dans le centre de l’Algérie profonde, une forteresse romaine, mais à l’origine, une ville numide. Sa construction date de l’an 33 av. J.-C. sous le règne de l’empereur Auguste. Auzia devint vite une cité puissante, capitale des régions des Hauts-Plateaux, ce qui relègue à un rôle secondaire l’importance stratégique de la cité romaine de Djemila, l’antique Cuicui, dans la wilaya de Sétif en raison de son éloignement des centres de pouvoir romain.

C’est du moins ce que disent les historiens. Cette capitale avait besoin de postes avancés pour sa sécurité. La distance qui sépare le site du centre-ville de l’actuelle Sour El Ghozlane, quelques kilomètres à vol d’oiseau, laisse croire que ce vestige construit en hauteur était là pour informer des mouvements des populations aux alentours.

«Vers l’an 17 apr. J.-C., Tacfarinas, qui avait servi dans les troupes romaines avant de déserter pour prendre la tête de tribus révoltées, souleva les Gétules, fédéra les tribus berbères et leurs voisins maures qui avaient pour chef Mazippa, ainsi que les Cinithiens, contre l’armée romaine. L’insurrection, fondée sur la tactique du harcèlement (guérilla contemporaine), s’étendit de la Petite Syrte, à l’est, jusqu’en Maurétanie, à l’ouest, et dura sept ans. Le proconsul Cornelius Dolabella termina la guerre en assiégeant le fortin de Tacfarinas, situé vraisemblablement à Auzia, en l’an 24 apr. J.-C.», racontent les mêmes historiens. Cet harcèlement aurait-il poussé les Romains à faire sortir leur surveillance hors des murailles? Cette option justifierait alors la présence de ce site bâti sous forme d’un point de surveillance avec une chambre et des petites entailles sur les quatre cotés. «La ville était peuplée par une population de plus de 12 000 à 13 000 habitants, qu’elle serait la plus grande cité romaine de l’Algérie centrale, plus importante que Tipasa…».

Cette qualité de cité moderne que l’on peut se faire d’Auzia, attirait les habitants de toutes les tribus, ce qui avait entraîné une démographie galopante qui incita les autorités romaines à fonder une autre ville dans la région, en priorité pour défendre Auzia des attaques répétées des Maures dans un lieu protégé, comme un enclos fortifié. Ce fut l’origine de la fondation de Castellum Auziens (actuelle Aïn-Bessem) située à moins de 16 km au nord-ouest de Sour El Ghozlane» peut-on lire. La version du tombeau de Massinissa est contredite historiquement par la présence d’un autre vestige dans la commune d’El Khroub à quelques kilomètres de Cirta, la vraie capitale où a régné jusqu’à un âge avancé 88 ans, le roi berbère Massinissa. «Vers la fin de sa vie, il projeta de s’emparer de Carthage pour en faire sa capitale. Les Romains, qui redoutaient qu’il n’acquière une puissance encore plus grande que celle des Carthaginois et qu’il ne se retourne contre eux, étaient opposés à ce dessein. En revendiquant la région agricole des Grandes Plaines (153 av. J.-C.), il provoque les Carthaginois qui réagissent en prenant les armes. Malgré son âge avancé (88 ans), il participe au siège d’Oroscopa (150 av. J.-C.). Ce fut de nouveau la guerre en Afrique et, après d’âpres combats, Carthage fut livrée aux flammes, puis au pillage.

Les survivants furent réduits en esclavage et la ville fut entièrement rasée (146 av. J.-C.). Massinissa, mort quelque temps plus tôt, n’assista pas à la chute de la ville convoitée. Ses sujets, qui l’aimaient, lui dressèrent un mausolée, non loin de Cirta, aujourd’hui Constantine (Algérie), sa capitale, et un temple à Thougga, l’actuelle Dougga, en Tunisie», lit-on dans les livres d’histoire. Au lieu de consentir en ces temps de disette autant d’argent à ce vestige n’est-il pas plus opportun de faire d’abord les recherches pour déterminer la nature réelle de ce vestige et d’affecter l’argent à des projets plus utiles? N’en déplaise à certains qui à un moment ont voulu imposer l’idée d’une tombe du roi berbère, ce site peut être tout sauf la tombe de Massinissa, de Tacfarinas ou de Jugurtha. Les 40 millions peuvent permettre la réfection de cette salle de soins, la construction d’un stade engazonné demandé par les jeunes de la localité, la réfection des écoles de la localité. Le message des citoyens s’adresse au ministre de la Culture.