Poubelles et décharges pour survivre !

Poubelles et décharges pour survivre !

Au coucher du soleil, les rues des grandes villes comme Alger connaissent un phénomène affligeant. Des enfants, adultes et même des personnes âgées fouillent minutieusement les poubelles et décharges publiques. Aliénés de la société, misérables, dépressifs ? Il y a de tout cela. Vers 18 heures, au moment où le marché de la rue de Chartres commence à se vider de ses clients, deux femmes, à la carrure chétive, commencent à fouiner dans les dépotoirs et les résidus abandonnés par les commerçants. Elles plongent dans les détritus de légumes et fruits pour « se nourrir et subvenir aux besoins de leurs familles ». Abdellah, un boucher du coin, affirme qu’elles sont « deux sœurs venues au milieu des années 90 de l’intérieur du pays pour s’installer sur les hauteurs de la Casbah ». Elles viennent tous les soirs pour « faire les courses ». Elles sont sobres et discrètes, selon le même boucher, « elles ne parlent à personne et n’acceptent pas les donations des âmes charitables ». A la rue Bouzerina, l’image d’un bonhomme qui fouillait, indifférent aux regards des autres, dans les sacs en plastique chagrine les passants. Ammi Ali n’a rien d’anormal. Vêtu correctement, il traîne avec lui un grand sac de couleur noir. Touhami (c’est le surnom qu’il a choisi) est père de trois enfants malades chroniques. Invité à prendre une assiette de fayots, Touhami paraît une personne ordinaire, seulement « le bonheur le fuit depuis belle lurette ». Au cours de la discussion, il semble avoir trop vécu et beaucoup appris de la vie. « Croyez-vous que je mène une vie ordinaire ? Suis-je un être humain ? Je n’ai jamais imaginé finir clochard mais je vois bien que j’y suis…et j’y reste. » Entre pudeur et sentiment d’humiliation, le vieil homme se ressaisit pour imputer la responsabilité à la société. « Ce n’est pas moi qui devrais avoir honte. J’ai travaillé plus de 20 ans dans un atelier de fabrication de chaussures ! 20 ans de dur labeur pour être récompensé de cette façon ». Avant de parler de ses enfants qui l’attendent chaque soir, Touhami observe, pendant un bout de temps, un silence funèbre.

ILS PRÉFÈRENT NE PAS TENDRE LA MAIN

« Si ce n’étaient pas eux (ses enfants), je ne serais jamais là. J’aurais pu être en prison ou mort », a-t-il dit en soupirant. Le mot « maktoub » (sort) est répété à plusieurs reprises. Interrogé s’il a cherché un autre travail, il dira : « Je ne peux pas travailler, je suis malade donc incapable de faire un travail pénible. Mon niveau intellectuel très bas ne me permet pas d’oser quelque chose de décent ». Ils sont nombreux comme Touhami qui se nourrissent des restes des mieux lotis. Il suffit d’être attentif pour remarquer cette scène quotidienne. Riyad, la trentaine, est victime de la déperdition scolaire. Ses gestes au milieu des sacs poubelles sont sûrs, précis et rapides : ouvrir le couvercle, déchirer les sacs, farfouiller le plus loin, le plus profond possible. Il plonge dans les boîtes à ordures des grands magasins, souvent celles des supérettes et des restaurants. « Surpris » en train de fouiller dans un sac d’où il retire une bribe de pizza, il commence à l’avaler goulûment. Indifférent aux regards des autres. Quand il finit de manger, il commence à éventrer tous les sacs poubelles entassés au niveau de la rue Charas. Riyad était un brillant élève à Tiaret. Depuis son échec au baccalauréat, il souffre d’une dépression.

Abbas A. H.