Pour un certificat de nationalité: L’enfer des hommes et des procédures!

Pour un certificat de nationalité: L’enfer des hommes et des procédures!

L’administration essaie depuis quelque temps de simplifier la vie des citoyens. Cependant, parfois, certains de nos concitoyens se trouvent dans des situations que Kafka lui-même aurait du mal à imaginer. L’obtention du certificat de nationalité fait, parfois, partie de ces incroyables casse-têtes insolubles où la raison abandonne tout simplement et la logique s’avoue incapable de saisir comment les agents de l’administration arrivent à penser.

Par le passé, Khouna, appelons-le ainsi, désirait retirer la nationalité du tribunal, et conformément aux règlements, il se présentait muni d’une carte d’identité, de son acte de naissance, celui de son père et celui de son grand-père.

Le préposé au guichet, après une brève vérification, lui signifiait que le nom de son grand-père était inscrit différemment de celui de son père. Une lettre remplacée par une autre, une lettre a sauté, une consonne doublée… etc. Dans ce cas, deux témoins suffisaient à rétablir la situation en déclarant que le père est bien le fils du grand-père et que le nom s’écrit bien de telle manière.

Depuis quelque temps, Khouna fait face à un dur problème. En effet, le nouveau règlement rejette les témoins dans ce cas précis. Il n’y a plus de «thoubout echakhsiyya» qui tienne, dit-on dans les tribunaux. Il faut corriger le nom. Après avoir essayé à gauche et à droite, résigné, Khouna se voit obligé de demander une correction. Là encore, il y a problème. C’est le nom du grand-père qui est mal écrit, mais on ne veut pas changer le nom du grand-père. C’est aux descendants de suivre les ascendants et pas l’inverse, dit-on à Khouna. En d’autres termes, il faut changer le nom du père, l’écrire avec la même faute que celui du grand-père et, de là, Khouna pourra corriger le sien en l’alignant sur celui de son propre père.

Encore une fois résigné, parce qu’il a besoin d’un papier qui prouve sa nationalité afin de constituer un dossier administratif, Khouna accepte. Problème, il ne peut pas changer le nom de son père car ce dernier est décédé et, chez nous, il ne peut être question de changer les noms des morts.

En fin de compte, notre ami Khouna se trouve définitivement coincé. Il ne peut changer le nom de son grand-père pour le rendre comme le sien car notre règlementation impose le processus inverse et il ne peut aligner le nom de son père sur celui de son grand-père car son père est décédé. Bref, il ne peut rien faire! C’est foutu! Il doit vivre avec cette incapacité définitive à prouver sa nationalité à cause d’un E à la place d’un A ou d’une mauvaise transcription lors de la traduction phonique du nom du grand-père. Sa faute à lui? aucune et tout le monde le lui reconnaît, mais personne ne peut lui venir en aide car la loi c’est la loi même lorsqu’elle n’est pas ce qu’elle doit être, c’est-à-dire aider les gens à mieux vivre comme disait Aristote à propos de la Politique. En attendant, si Khouna cherche un emploi, il doit renoncer car sans nationalité, il ne peut déposer de dossier de candidature.

S’il veut effectuer toute opération ou transaction qui nécessite un certificat de nationalité, il doit renoncer car il a compris qu’il n’a pas droit à ce certificat. Dire que la faute est à ceux qui ont mal transcrit le nom, ceux qui ont écorché les noms du grand-père, du père ou du petit-fils. Khouna se sent lésé sur plusieurs plans. D’abord, parce qu’il ne peut pas retirer son certificat de nationalité comme tout le monde. Ensuite, parce que, à cause de cela, il ne peut prétendre à tout ce qui nécessite la présentation du certificat de nationalité comme le passeport par exemple, et, enfin, parce qu’il doit payer pour les autres, ceux qui ont mal écrit le nom de son grand-père ou celui de son père.

Ce qui irrite le plus notre concitoyen c’est qu’il a, par le passé, eu recours à «thoubout echakhsiyya» à plusieurs reprises. «Est-ce normal qu’on doive prouver à chaque fois la même chose?» s’est-il emporté à un moment. «N’est-ce pas suffisant que j’aie prouvé plusieurs fois déjà qu’il y a erreur dans le nom? Je l’ai prouvé quand j’ai fait mon premier passeport, je l’ai prouvé quand j’ai fait ma carte d’identité, je l’ai prouvé quand j’ai fait mon passeport biométrique… Pourquoi dois-je le refaire encore et encore du moment que mon père est toujours mon père et mon grand-père toujours mon grand-père?»

Mais Khouna n’est pas dupe. Il sait l’extraordinaire tourbillon dans lequel, à cause d’une mauvaise écriture du nom de son grand-père ou de son père, il est entraîné. Il sait ainsi que si demain, par un quelconque miracle, il arrive à rectifier son nom, il sautera de plain-pied dans un autre monde, plus incroyable encore, celui dans lequel il devra parcourir toutes les administrations du pays et patienter trois siècles afin de pouvoir porter toutes les modifications nécessaires sur les actes de naissance de ses enfants et ceux de ses petits-enfants, sur ses diplômes, sur ses actes de propriété, sur sa carte grise, sur son acte de mariage,…etc. Il aurait été plus simple de changer le nom de son grand-père, décédé de surcroît, surtout que les morts sont peu sensibles à la manière dont on écrit leur nom alors qu’une petite erreur dans celui des vivants les propulse directement dans l’enfer des hommes et celui des procédures.

Khouna ne sait plus quoi faire. Il est venu nous voir, nous exposer son désarroi avec l’espoir que, peut-être, quelqu’un lirait ces lignes… qui sait!