L’État semble déterminé à mettre de l’ordre dans le marché soumis au diktat des spéculateurs.C’est du moins l’objectif visé dans le projet de loi, modifiant et complétant la loi n°04-02 du 23 juin 2004, fixant les règles applicables aux pratiques commerciales, actuellement examiné à l’APN, après son adoption le 11 mai dernier par le Conseil des ministres.
Destinés à apporter les correctifs nécessaires aux dérèglements observés sur le marché, notamment les pratiques spéculatives sur les prix au détriment des consommateurs, les amendements proposés renforcent les obligations légales des agents économiques en matière de respect des marges et des prix et aggravent les sanctions applicables aux pratiques commerciales illicites.
Pour rappel, le président de la République, lors d’un Conseil des ministres, avait relevé que dans les conditions actuelles, la maîtrise de la régulation du marché a révélé ses limites, face aux effets de la libéralisation incontrôlée des circuits de distribution, aggravée conjoncturellement surtout, par des pratiques spéculatives et parasitaires au détriment des citoyens. “J’entends qu’aucune règle de liberté du commerce ne soit invoquée à l’avenir pour justifier la limitation des capacités de l’État à imposer des pratiques commerciales loyales et à réprimer les spéculations qui nuisent aux citoyens”, avait-il averti.
Rapidement, le gouvernement a traduit les orientations du chef de l’État en texte de loi. Un texte qui élargit le champ d’application (article 2), “aux activités de production, y compris agricoles et d’élevage, de distribution dont celles réalisées par les importateurs de biens pour la revente en l’état, les mandataires, les maquignons et chevillards, qu’aux activités de services, d’artisanat et de la pêche exercées pat tout agent économique quelle que soit sa nature”.
Dans l’exposé des motifs, le gouvernement explique que “ces activités se rapportent à des biens et services particulièrement stratégiques par rapport à l’approvisionnement et à la stabilité du marché et au pouvoir d’achat du consommateur”. Le texte oblige les intervenants activant dans le secteur agricole à délivrer des documents tenant lieu de factures.
Par ailleurs, une nouvelle procédure de dépôt obligatoire, par les agents économiques concernés, des structures de prix des biens et services devant faire l’objet de mesure de fixation ou de plafonnement des marges et des prix, est instituée. “Les structures des prix des biens et services devant faire l’objet de mesure de fixation ou de plafonnement des marges et des prix doivent être déposées auprès des autorités concernées, préalablement à la vente ou la prestation de service”, stipule l’article 5 du projet de loi.
Objectif : garantir la transparence et la traçabilité des prix et des marges pratiquées et permettre aux pouvoirs publics de détecter et de prévenir les manœuvre spéculatives et les ententes illicites. Dans la foulée, les pouvoirs publics interdisent, à travers le projet de loi fixant les règles applicables aux pratiques commerciales dans son article 6, les pratiques et manœuvres, tendant, entre autres, à faire de fausses déclarations de prix de revient dans le but d’influer sur les marges et les prix des biens et services fixés ou plafonnés, de ne pas répercuter sur les prix de vente, la baisse constatée des coûts de production et de réaliser des transactions commerciales en dehors des circuits légaux de distribution. Le texte prévoit, dans ce cadre, de lourdes sanctions.
La libre concurrence encadrée
Les pouvoirs publics ont aussi déposé à l’APN un projet de loi modifiant et complétant certaines dispositions de l’ordonnance n°03-03 du 19 juillet 2003 relative à la concurrence. Dans l’exposé des motifs, le gouvernement précise que les mesures préconisées “ne remettent pas en cause le principe universel de la libre fixation des prix, qui devra être préservée”.
Cependant la hausse qui affecte les prix des produits de première nécessité et les tendances spéculatives observées sur le marché intérieur interpellent les pouvoirs publics. Du coup, le projet de texte stipule qu’“il peut être procédé par voie réglementaire à la fixation, au plafonnement ou à l’homologation des marges et des prix de biens ou services ou de familles homogènes de biens et services”.
“Les mesures de fixation, de plafonnement ou d’homologation des marges et des prix des biens et services sont prises sur la base des marges et des prix proposés par les secteurs concernés et pour la stabilisation des niveaux des prix des biens et services de première nécessité ou de large consommation, en cas de perturbation sensible du marché ; la lutte contre la spéculation sous toutes ses formes”, précise-t-on.
Peuvent être également prises, dans les mêmes formes, des mesures temporaires de fixation ou de plafonnement des marges et des prix des biens et services, en cas de hausses excessives et injustifiées des prix, provoquées notamment par une grave perturbation du marché, une calamité, des difficultés durables d’approvisionnement dans un secteur d’activité donné ou une zone géographique déterminée ou par des situations de monopoles naturels.
Absence d’application des lois
Il reste maintenant à espérer que ces dispositions puissent réellement être suivies d’une application stricte sur le terrain. Le problème principal dans ce domaine est l’absence d’application des lois et règlements existants, ce qui encourage fortement la généralisation des pratiques informelles. L’institution des marges pour le ciment n’a empêché les prix de ce produit d’augmenter considérablement. Il faut relever ici les dysfonctionnements dans le secteur commercial, un secteur peu modernisé, qui connaît une “informalisation” croissante.
Certains experts évoquent une atomisation du commerce et un déséquilibre dans la répartition spatiale. On observe aussi une défiance croissante vis-à-vis de la fiscalité et une prolifération de la corruption. Plus grave encore, cette “informalisation” génère des masses de capitaux insoupçonnées qui risquent de s’ériger en obstacle sérieux à toute réforme du secteur.
Meziane Rabhi