Avoir 20 ans et vivre dans un village de Kabylie, est toute une histoire avec ses moments de joie et de bonheur, mais aussi de dégoût et de ras-le-bol. Une réalité que seul un jeune de cette région peut raconter dans le détail.
Les premiers jours de juillet annoncent une saison estivale chaude, bouillonnante et agitée. Une saison qui se singularise par l’organisation des fêtes de mariage et un Ramadhan qui s’annonce pour les premiers jours d’août. Une situation qui se reproduira encore quelques années. Les décibels des disc-jockeys nous parviennent dès l’entrée du village. Il fait chaud.
Dans ce décor plein de paradoxes, les émigrés marquent, comme chaque année, leur présence en Kabylie. Une présence qui se manifeste par plusieurs aspects dont le dénominateur commun reste l’euro. Un villageois vient à notre rencontre. C’est Hamid, un jeune bourré de diplômes. Il travaille comme… maçon à Ath Mahiou. Un métier qu’il exerce provisoirement, mais qui illustre tout le désarroi des jeunes diplômés de la région. Des années à l’université pour en arriver là. Mais l’espoir est permis. On fait avec ce qu’il y a en attendant des jours meilleurs.
L’état des lieux du village fait ressortir un tableau sinistre de la situation de nos jeunes. Alors que d’aucuns perdent l’espoir et sont happés par divers fléaux sociaux et que d’autres s’acharnent contre leur propre sort et vont à contre-courant de ce qui doit se faire et, en fin de parcours, s’épuisent sans avoir rien bâti si ce n’est accumuler d’autres blessures qui risqueraient de plomber leurs perspectives. Avoir 20 ans à Aït Mahiou, c’est penser chaque seconde à partir. C’est aussi résister et trouver ses repères pour bâtir un avenir avec le meilleur et le pire. Hamid a choisi de rester. Nous l’avons suivi. Il se dit enterré vivant dans les fins fonds de cette montagne glorieuse de Kabylie.
Tifra, juillet 2010. La chaleur est insupportable. Il est presque 13 heures. Avec Hamid on se rend directement à la mosquée du village d’Aït Mahiou. Aux abords d’une ruelle du village, une femme se tenait accroupie sur le seuil baisser de sa maisonnette. D’un geste machinal, elle chasse les mouches qui l’empêchent de faire sa sieste. «Bonjour Na Addouda! Ça va bien aujourd’hui?», l’interroge Hamid qu’elle reconnaît seulement par la voix, car sa vue a beaucoup baissé ces dernières années.
«Ça va, mon fils el hamdoulillah», répond-elle sans ajouter un mot. Elle vit seule. Tous ses enfants sont mariés et vivent ailleurs, nous expliquait Hamid en se dirigeant vers la mosquée du village. Plus exactement dans le «darbe», le sous-sol de la mosquée fortement prisé par les jeunes pour plusieurs raisons dont la fraicheur qu’il procure durant ces journées suffocantes. «C’est ici que nichent les sans-emploi, les oisifs du village», nous indiquait-il. Sur place, quatre jeunes bavardent de tout et de rien. C’est un lieu réservé uniquement aux jeunes.
Le repos du maçon
Parfois des vieux y vont, histoire d’échanger quelques mots avec la jeunesse ou encore par curiosité. En effet, les bruits ont couru sur la consommation de l’alcool et de la drogue dans cet endroit. Alors les sages s’y rendent parfois pour en dissuader quelques-uns. «Il arrive que des jeunes se partagent des joints et des bières ici», confirme Hamid, «mais c’est rare et cela se passe généralement la nuit», ajoute-t-il.
Deux mondes sont séparés par une seule dalle en béton. Ceux qui prient en haut et les autres en bas. Ici, il n’y a point de discrimination. Les pratiquants et les autres se sont toujours considérés comme des enfants d’un même village. La tolérance est de mise même si les jeunes venant des villes tentent d’imposer leur diktat, mais c’est compter sans la détermination des locaux pour la protection de la pratique religieuse telle que léguée par les ancêtres.
Hamid n’a pas travaillé ce jour-là. «Le ciment manque et je profite pour me reposer». La porte d’entrée du «darbe» donne directement sur l’unique ruelle qui traverse le village. «C’est par là que tout le monde passe».
Un lieu donc stratégique. Il permet de s’informer sur tous les mouvements dans le village. Ce qui intéresse les jeunes, nous le découvrirons rapidement. Une jeune fille vêtue en robe kabyle arrive. Elle est visible de loin. Un long silence s’installe et tous les regards sont braqués sur elle. Le regard baissé, la jeune fille avance en se déhanchant et les compliments fusent de partout.
«C’est une Algéroise la plus désirée pour l’instant, cet été», informe Hamid. C’est provisoire car d’autres arriveront bientôt. Ici les filles les plus convoitées sont les émigrées avec le double avantage, fuir sous d’autres cieux.
Pour cette catégorie de femmes on se soucie peu de la beauté. Ce n’est pas le cas de Hamid. Lui, cherche une fille intellectuelle qui va l’aider dans la vie et partager avec lui le meilleur et le pire. Pour l’instant, il ne pense pas au mariage. «Tant que je n’ai pas déniché l’emploi pour lequel j’ai été formé, l’idée de me marier ne me frôle même pas l’esprit». La fille a déjà disparu de notre vue. Un jeune manquait à la liste. Il a quitté le «darbe» pour tenter sa chance. Dans un village de Kabylie, la drague existe mais elle se fait en toute discrétion.
On aborde la fille au coin de la rue tout en ayant les yeux partout, mais les moments préférés ce sont les fêtes de mariage. Les cérémonies de mariage en Kabylie sont pratiquement l’unique moment de joie. On y chante, danse et on y fait même des connaissances. Avant l’été, on a déjà compté le nombre de mariages et tout ce qui y est inhérent.
Hamid vient au «darbe» quand il ne travaille pas.
Parfois il se rend au café que gère un fils du village. C’est un lieu situé en bas du village au bord de la route communale juste en face d’un arrêt de fourgons qui assurent la liaison entre le douar d’Ikedjan et la ville de Sidi Aïch. La café est aussi très fréquenté, non pas parce qu’on y sert du bon café, mais pour les opportunités qu’il offre «pour se rincer les yeux», une expression propre aux jeunes de la région. Les jeunes ne trouvent plus d’espaces de rencontre et de détente.
Ils n’ont, par contre, à leur disposition, que le café, les coins d’ombre des ruelles et la mosquée. Sur la porte d’entrée du café, une affiche fait part des problèmes de l’assemblée générale de l’association du village. Dans presque chaque village de Kabylie il y a une association qui travaille pour l’intérêt de la communauté. Cette forme moderne de gestion vient en appui au comité de village de par son caractère légal. Hamid en est le trésorier. «Nous nous sommes réunis récemment pour mettre un peu la pression sur le maire de la commune qui nous a trop oubliés», souligne Hamid qui fait de l’association son autre activité. Dans le café, on parle du Mondial. On joue aux dominos tout en sirotant un café.
Soudain on frappe à la porte…
Farid a presque tout chez lui. Une télé, un lecteur DVD, une petite bibliothèque occupe le coin de sa chambre. «Je suis souvent fatigué pour lire» dit-il en saisissant un livre que lui avait offert un cousin. Ici, c’est son lieu intime. Il y reçoit des amis, d’anciennes connaissances de l’université de Béjaïa. Bien que son père soit un ancien émigré, cela ne l’empêche pas de bricoler. Farid est trop fier pour accepter d’être pris en charge par son père.
D’ailleurs, il ne cesse de dénoncer l’attitude des autres jeunes du village qui profitent du bien de leur père, mais pas dans le bon sens. «Ils achètent des voitures et dépensent sans réfléchir, du coup c’est chaque jour les disputes», commente-t-il. Soudain on frappe à la porte. C’est la mère de Hamid qui lui annonce que Saïd l’attend en bas pour aller manger du couscous chez Arezki qui se marie. C’est parti pour une soirée au couscous, chants et danses. Saïd adore ce genre de fêtes.
«C’est pratiquement les meilleurs moments de l’année», nous dit-il. Saïd n’a jamais connu la ville, exception faite de celle de Sidi Aïch et c’était son père qui l’y emmenait avant son décès. Aujourd’hui, il n’ose même pas y aller. Saïd a quitté l’école en 6e année. Depuis, il a toujours travaillé et fait divers métiers. Il élève des animaux. C’est sa principale activité. Avec Hamid, il s’entend bien même, s’ils n’ont pas le même niveau d‘instruction. Arezki, le marié arrive. Il salue tous ses invités. Lui aussi est chômeur. «Mais de luxe», précise Hamid. C’est grâce à l’argent de son père qu’il a pu se marier. Un peu comme tous les jeunes du village qui ont eu à le faire.
La manne parentale est l’unique source pour de nombreux jeunes du village. Il y en a qui en font bon usage comme Arezki, mais d’autres non. Le couscous était bon. La suite ne sera que meilleure. La fête ne fait que commencer. Elle durera presque trois jours, soit jusqu’à l’arrivée de la mariée. Le village s’anime, mais ne fait pas pour autant oublier la situation des jeunes. Vivre dans un village et avoir 20 ans reste supportable l’espace d’un été, d’une rencontre, d’une fête et puis c’est la galère. Le génie de l’homme fait qu’il arrive toujours à s’adapter à toutes les situations. C’est le cas des jeunes villageois d’Ath Mahiou.
Arezki SLIMANI