Il est turbulent ! Il bouge trop ! Il n’arrive pas à se concentrer ! Peut-être qu’il est autiste ! Il va aller vers un échec scolaire ! Ce sont là des remarques, des phrases dites, échangées par des enseignants à propos de leurs élèves. Des constats qui s’arrêtent à ce stade dans la plupart des cas, sans réelle prise en charge. Une prise en charge que les unités de dépistage et de suivi sont censées assurer.
Les chiffres réels représentant l’étendue de l’échec scolaire ne sont pas connus. Cependant, des études non officielles évoquent des statistiques alarmantes allant jusqu’à 500 000 élèves par an.
Les parents sont en première ligne pour remédier à cette situation, avec un apport plus ou moins timide de la famille éducative. Pères et mères se retrouvent à chercher des solutions auprès des psychologues, orthophonistes et autres conseillers pour «sauver» leur enfant. « Mon fils a commencé à avoir de mauvaises notes et j’avais l’impression qu’il ne comprenait pas en classe. J’ai essayé d’en parler avec son enseignante. Cette dernière m’a vaguement expliqué qu’il n’arrivait pas à se concentrer et qu’il était distrait. Pour elle, il ne s’agirait pas de besoin de soutien scolaire. Et elle m’a laissée sans autres orientations. J’en ai parlé autour de moi, j’ai constaté que beaucoup de parents emmenaient leurs enfants consulter des psychologues. Et c’est ce que j’ai fait. J’étais choquée par le nombre impressionnant de parents qui venaient en séance avec leurs enfants. Tous avaient la phobie de l’échec scolaire. Je suis vite arrivée à la conclusion que sans aucune orientation claire, nous sommes en train de prendre nos enfants chez des spécialistes, juste sur une simple remarque ou pour une mauvaise note. Normalement, des orientations doivent être faites par des psychologues scolaires. Et sur la base de quoi, les parents sauront quoi faire. S’agissant de mon fils, en constatant que la salle d’attente était bondée, je suis ressortie. Et j’ai décidé de suivre le rythme de mon fils, de lui accorder le temps de dormir, de jouer, en somme de vivre. C’est ce que je conseille pour les autres parents, en demandant une réelle prise en charge psychologique des enfants au sein du primaire». C’est le témoignage de la maman de Ramy, 7 ans.
Nawel a eu pratiquement une expérience similaire : «J’étais persuadée que ma fille était dyslexique car elle mélangeait entre certaines lettres en arabe et écrivait le 5 et le 7 à l’envers. J’en étais persuadée au point de ne plus dormir. J’en ai parlé avec son enseignante et elle m’a dit que, peut-être, cela est dû au fait qu’elle soit en retard par rapport au reste de la classe. Elle me l’a dit avec une telle froideur que j’ai réellement paniqué. J’ai cherché le meilleur orthophoniste et j’y suis allée avec ma fille qui commençait à sentir ma peur sans comprendre pourquoi. Dès que j’ai commencé à parler avec le spécialiste, et au bout de quelques tests, il m’ a dit d’arrêter de m’inquiéter et de frustrer ma fille. J’aurais aimé être aidée au sein de l’école, avant de vivre toute cette angoisse. Il n’y a aucun soutien psychologique pour les enfants.»
Souhila, pour sa part, relève le naufrage annoncé de son fils mais sans accompagnement psychologique. «Mon fils est en échec scolaire et j’en suis tout à fait consciente. Je consacre un budget conséquent en cours de soutien, et un autre pour les psychologues. J’ai tout essayé pour qu’il se concentre en classe, toutes les méthodes imaginables, sans succès. Les enseignants et le directeur de l’école primaire l’ont aidé et lui ont même permis de passer au collège avec un rachat. Mais le problème est qu’il n’a pas changé de comportement. Et je sais que cela doit être un problème psychologique mais je ne suis pas orientée. Je suis seule, sans réelle orientation de la part du collège, hormis l’envoi des convocations. Et je pense que leur rôle ne s’arrête pas à ce stade mais va au-delà.»
«Ah bon, il y a des psychologues qui travaillent avec les enfants ? Je ne le savais pas.» Telle est la réponse de nombre de parents qui pensent que le rôle de ces professionnels se cantonne aux seules orientations et la gestion du stress. «Durant tout le palier primaire, mes enfants n’ont pas eu de relations ou de contacts avec les psychologues. La seule fois où ils les ont rencontrés, cela a été à quelques semaines de l’examen de fin de cycle. De jeunes psychologues ont fait le tour des classes d’examen pour leur donner des conseils de gestion du stress. Cela a duré au maximum une demi-heure. Car ils devaient faire le tour de tous les établissements scolaires de la commune», explique une maman.
Les UDS et leur rôle
Depuis le début des années 1990, plus précisément en 1995, des Unités de dépistage et de suivi ont été créées. Plus de 1 300 unités de dépistage et de suivi sanitaire (UDS) existent aujourd’hui pour veiller sur la santé des élèves. Ces mêmes services sont encadrés par près de 1 700 médecins généralistes, quelque 1 500 chirurgiens dentistes, 415 psychologues scolaires et 2 000 agents paramédicaux, chargés d’examiner systématiquement tous les élèves de première année, de chaque cycle, qui représentent, à vrai dire, des classes-cibles. Cependant, la prise en charge psychologique fait défaut. L’importance de la mise en place d’une stratégie nationale de dépistage précoce des troubles comportementaux et du langage chez l’enfant a été soulignée par des psychologues l’année dernière, lors d’un séminaire.
Yahiaoui Hassina a relevé, à ce sujet, que les psychologues qui exercent au sein des établissements scolaires ne sont pas suffisamment formés pour faire le dépistage de ces troubles du comportement et du langage. A cela, s’ajoute un déficit en structures spécialisées dans la prise en charge et de suivi des enfants souffrant de ces problèmes, ainsi que l’absence de réseau de prise en charge psycho-médicale des cas dépistés qui prendrait le relais après le diagnostic, ce qui fait que les parents se retrouvent livrés à eux-mêmes, à la recherche de spécialistes.
D’autres psychologues relèvent que seuls 24 enfants sont venus avec une orientation de l’UDS. Une spécialiste a estimé que «le rôle des orientations de l’UDS ne semble, donc, pas avoir un impact important sur le travail d’orientation vers les services spécialisés. Alors, on devra se pencher sur les causes qui freinent ces éventuelles orientations».
Une psychologue à l’EPSP de Draâ-Ben-Khedda a estimé dans sa conclusion : «Compte tenu de notre expérience à l’EPSP, nous avons constaté la nécessité d’un programme de dépistage multidisciplinaire et la dotation des établissements en outils psychologiques utilisés pour un meilleur dépistage en milieu scolaire.»
Sarah Raymouche