Une standing ovation a salué « Nar » (feu), le nouveau film documentaire de Meriem Achour Bouakkaz, qui a ému aux larmes le public, avant-hier, à la Cinémathèque de Béjaïa, transporté par l’aboutissement et la qualité de l’œuvre projetée à l’occasion de la troisième soirée des 17es Rencontres cinématographiques de Béjaïa (RCB).
«Merci, merci, merci. Sincèrement, je ne m’attendais pas à cet accueil », confie la réalisatrice, avant de se prêter à l’exercice des questions-réponses et du débat, dont une large partie a été diffusée en direct sur la page officielle des Rencontres. « Les spectateurs ont été captivés par la force et la qualité des témoignages recueillis ainsi que la puissance de leurs propos, expliquant sans fioriture l’horreur de ces actes (immolation), les raisons qui en sont à l’origine et les douleurs familiales engendrées après coup », rapporte l’APS, qui « sans faire les doctes ni recourir au jeu de la narration, Bouakkaz, effacé dans le film, a donné libre cours à ses protagonistes, des survivants et des proches endeuillés pour dire simplement leur mal, leur désespoir. Des témoignages poignants, qui donnent froid dans le dos ». Le film s’ouvre sur le cas de Hamza, un jeune de Jijel, qui s’était immolé, en 2004, et dont la mort dans un lieu public a, non seulement marqué les imaginations, donné lieu à des émeutes. Le documentaire ne donne pas de statistiques mais certains rescapés, retrouvés dans la région de Constantine, et qui tous ont souligné leurs difficultés alors à supporter les conditions de vie extrêmes qui les caractérisaient. Un chef de famille, père d’une handicapée de surcroît, à ce titre, en a fait l’horrible expérience en s’aspergeant d’essence, lui et son enfant, avant de faire craquer son briquet dans le hall d’une agence bancaire. Il a été sauvé in-extrémis par les clients. « Pas de boulot, pas de logement, avec sur les bras une fille que je ne pouvais prendre en charge. Je souffrais terriblement », se souvient-il, expliquant que l’obtention ultérieurement d’un logement lui a rendu l’espoir. « Je vis désormais une deuxième naissance », en esquissant un beau sourire. Lui, s’en est tiré, ainsi que plusieurs autres. Mais beaucoup de jeunes aux prises à des facteurs déclenchant analogues, continuent de broyer du noir. Pas de perspectives, en proie au chômage et à la pauvreté, ne desserrant les carcans qui les engoncent qu’en allant dans les cafés ou les stades et qui ne rêvent que de harga, une autre forme de suicide.
Des étincelles et des contre-feux pour sacraliser la vie
Un film bavard, déroulé comme un cri de colère, sur les souffrances, indicibles des jeunes et surtout le silence entretenu autour de ce phénomène qui, à force de se banaliser, prend l’allure de prosaïque fait divers alors que le choix de la mort et le procédé utilisé sont des formes de violences extrêmes.
Meriem Achour Bouakkaz réussit ainsi à humaniser les victimes, au-delà des chiffres et du fait divers, en relatant dignement leur vécu et de ce point de rupture. « C’est à ce moment-là que l’on se rend compte que l’on est des êtres humains et que l’on n’est pas traité comme tels », comme que le souligne l’un des témoins dans le documentaire. Ce point de rupture est aussi une rupture avec l’espoir, avec la vie, refus de mourir dans l’anonymat. Il y a souvent un déclic, une injustice, un emploi auquel il est difficile d’accéder, une décision de justice défavorable. Les gens peuvent être victimes d’une injustice ou méprisés par les autorités.
«S’ils n’ont pas accès au minimum pour se sentir dignes et respectés, s’ils se sentent blessés dans leur dignité, ils peuvent être poussés à bout et commettre le pire. Ils s’immolent par le feu devant tout le monde», a souligné la réalisatrice
Elle explique également que le film se veut «une tentative de déchiffrer ce qu’ont voulu dire ces personnes pour que leur mort ne soit pas vaine ». Interpellé sur l’omniprésence des symboles nationalistes, à l’instar du drapeau algérien, la réalisatrice répond que «les symboles qui ont été tellement galvaudés, utilisés et souillés, qu’on a, nous-mêmes, développé comme une allergie à ces symboles-là.
Enchaînant qu’« aujourd’hui, on assiste à un processus de réappropriation qui est activé. Le drapeau national fait partie des choses qui nous appartient, dont on a été dépossédé, que l’on est en train de récupérer pour qu’il reprenne sa valeur originaire».
Meriem Achour Bouakkaz confie également aux présents, dans un message d’espoir, que «ce que dit Fouad, à la fin du documentaire, le fait qu’il y a quelque chose en nous qui n’est pas mort et qu’ils n’ont pas tué.
Ce qui se passe actuellement est l’incarnation de cette vie, qui refuse de disparaître et de mourir. Ceci est une belle déclaration d’amour aux Algériens et c’est aussi la mienne ».
Pour conclure, citons le critique de cinéma Saâd Chakali, qui avait animé le débat après la projection : «Ce qui est extraordinaire dans ce film, le fait de savoir qu’il existe plusieurs feux. Ce qui est beau, c’est que ce film multiplie les dispositifs pour capter tous ces feux qui sont comme des contre-feux. »
Il ajoute que «cela permet la proclamation que l’on exprime qu’on se fait harraga ou que l’on s’immole par le feu, c’est que la vie est sacrée. Et qu’une existence profanée, parfois, n’a pas d’autre ressource que dire : Ma vie est sacrée».