En 2014, pour la première fois depuis des décennies, le montant des importations a dépassé celui des exportations, ces dernières étant constituées à 99% des hydrocarbures et de leurs dérivés. En date du 8 novembre 2015, le ministre du Commerce a affirmé que “les opérations de surfacturation représentent environ 30% du montant des importations annuelles, soit 20 milliards de dollars de transfert illicite de devises à l’étranger” et ce, uniquement pour l’année 2014.
Ce montant, estimé, dépasse le montant total consacré aux transferts sociaux pour l’année 2014 (1 609 mds DA). Il représente même 7,73 fois le montant de la totalité des subventions aux prix des produits alimentaires tant décriées (213 mds de DA).
Le débat sur le projet de loi de finances 2016 aurait dû être l’occasion pour une évaluation sans complaisance de cette hémorragie et pourquoi il aura suffi de quelques mois de baisse des prix du pétrole pour mettre en évidence la fragilité des équilibres macroéconomiques du pays malgré des recettes cumulées qui dépassent les mille milliards de dollars ces dernières 15 années. Pourquoi chercher puisque le bouc émissaire est vite trouvé ? Ce sont les dépenses sociales tirées par la boulimie de l’Algérien lambda qui “coûte très cher” à l’État et qui doit se préparer à supporter le fardeau d’une austérité qui ne veut pas dire son nom.
Cette austérité a été inaugurée par la loi de finances complémentaire 2015, dictée par l’oligarchie, qui a décidé de financer ses cadeaux fiscaux par la population laborieuse puisque la rente pétrolière s’amenuisait avec la chute des prix du pétrole. Malgré la chute des revenus du pays, la LFC-2015 n’a pas manqué d’octroyer de nouveaux cadeaux fiscaux au patronat et aux riches. De nouvelles exonérations fiscales (TVA) et réductions des taux (IBS et des droits de douanes) avaient été décidées. Le taux d’imposition de l’impôt sur le patrimoine avait été relevé à 100 millions de dinars (En 2013 ce seuil avait connu un premier relèvement de 30 MDA à 50 MDA). Une amnistie fiscale partielle appelée pudiquement “Mise en conformité fiscale volontaire” avait été décidée pour les auteurs de malversations financières tandis que les fraudeurs de la sécurité sociale en défaut d’affiliation ou de paiement voyaient leurs pénalités effacées. Pourtant, les dizaines de milliards de pénalités effacées, annoncées par la presse, ne se sont pas répercutées par des nouvelles affiliations à la SS selon les prévisions de clôture 2015 de la Cnas établies après l’échéance accordée aux fraudeurs. Mais le plus beau cadeau a été la réduction de 2 à 1% du taux de la taxe sur l’activité professionnelle (TAP) qui, il faut le rappeler, constitue la ressource principale des budgets des collectivités locales. Et pour compenser le manque à gagner pour ces budgets suite à cette réduction, on a décidé d’imposer davantage le pauvre citoyen y compris les smicards habitant les logements sociaux ou précaires : augmentation des droits de timbres fiscaux pour tous les documents administratifs, augmentation de la taxe foncière, doublement des tarifs de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères et augmentation des taux de la taxe d’habitation. Cette dernière taxe, en plus de sa hausse, est dorénavant généralisée à toutes les communes (jusqu’à 2015 cette dernière était perçue uniquement dans les communes chefs-lieux de daïra pour les wilayas autres qu’Alger, Oran, Constantine et Annaba).
Avec le projet de loi de finances 2016, l’oligarchie passe la vitesse supérieure dans le but d’accaparer des richesses nationales quitte à ne laisser derrière elle que précarité, pauvreté et désolation.
1- En plus de reconduire toutes les mesures impopulaires de la LFC-2015, ce projet prévoit, à son tour, d’instaurer, au profit du patronat, d’autres réductions (taxe de publicité foncière) et exonérations fiscales (annulation de l’obligation de réinvestir une partie des bénéfices réalisés grâce aux avantages fiscaux…).
2- Mais le plus grave nous vient de cette OPA sur le patrimoine public, qui vise la privatisation totale des entreprises publiques, l’annulation du droit de préemption, l’ouverture aux financements extérieurs, la remise en cause de la règle 51/49%, la mainmise sur le foncier…). Ne dit-on pas que l’appétit vient en mangeant !
3- Et comme les prévisions ne semblent pas annoncer un relèvement des prix du pétrole, on a décidé que c’est au pauvre citoyen de supporter le fardeau. Les prix de l’électricité, de l’eau et des carburants vont connaître des augmentations. Ces augmentations toucheront de plein fouet 80% de la population en érodant davantage son pouvoir d’achat déjà entamé par la dévaluation du dinar (-40 % de sa valeur à ce jour). La dévaluation du dinar se répercutera sur les prix des produits de consommation au trois quarts importés) et l’augmentation des prix énergétiques et de l’eau vont se répercuter sur le reste, plus particulièrement les produits agricoles et le transport.
La généralisation de la précarité guette 80% de la population et non uniquement le premier quintile (les 20% les plus démunis soit 8 millions) comme veulent nous le faire croire les décideurs et les experts néo-libéraux. En Algérie, le gouvernement lui-même a reconnu qu’il y a 12 millions de personnes auxquelles il arrive de ne pas trouver quoi manger ou faire manger leurs enfants en annonçant qu’en 2015, 1,7 million de ménages avaient bénéficié du couffin de Ramadhan (selon l’ONS 2014, un ménage des premiers quintiles est constitué de 7 personnes en moyenne). En réalité le nombre des démunis est supérieur à 12 millions car beaucoup de pauvres, par dignité, refusent de subir l’humiliation imposée par les procédés de distribution des couffins de Ramadhan.
Le taux des Algériens qui vivent dans l’extrême pauvreté, la pauvreté ou la quasi-pauvreté, dépasse 80%. Les dispositions de ce PLF 2016 conjuguées aux effets de la dévaluation du dinar s’apprêtent à faire basculer dans la pauvreté ou la précarité les 4/5es de la
population. Autant dire que c’est la fracture
sociale qu’on continue à vouloir provoquer à un moment où la nécessité de la construction d’un front intérieur est une nécessité de
survie pour le pays afin de faire face à l’appétit vorace de l’impérialisme et à la montée du danger terroriste aux frontières et à l’intérieur du pays.
Au sujet des subventions de l’électricité et des carburants
Tous les pays du monde ont recours aux subventions dans les différents domaines, mais, curieusement, 90% des études menées par ces institutions au niveau mondial sont consacrées aux pays en voie de développement et leur recommandent de supprimer ces subventions qui seraient la cause de la surconsommation de l’énergie, du réchauffement de la planète et des déséquilibres budgétaires. De plus, ces subventions profiteraient 7 fois plus aux riches qu’aux pauvres.
Ainsi, l’inondation du marché mondial par l’Arabie saoudite (11,505 millions de barils/jour en 2014, presque 2 fois son quota) qui fait chuter les prix du pétrole de 120 $ à 46 $/baril est encouragée par le capital international pour qui cette surproduction ne provoquerait ni surconsommation ni augmentation des gaz à effet de serre, qui seraient plutôt l’œuvre du goinfre algérien qui gaspillerait l’énergie subventionnée et polluerait l’environnement.
En Algérie, les transferts sociaux et les subventions jouent un rôle important dans la lutte contre les inégalités et la pauvreté. Ils représentent une composante majeure de la protection sociale car les prix internationaux élevés pour la nourriture et l’énergie sont hors de portée des revenus de la population. Les salaires en Algérie sont très faibles.
Même avec les subventions les prix à la consommation ne sont pas aussi bas pour un Algérien. Selon les statistiques françaises (UFC-Que choisir-2014) le prix d’un litre d’essence super à la pompe représentait le salaire moyen de moins de 5 minutes de travail pour un Français alors qu’à la même année un Algérien devait travailler 6 min 20 sec pour s’acheter un litre d’essence. Pour se procurer un litre de lait Il fallait 30 secondes de travail à un Français contre 7 min à un Algérien, 14 minutes à un Français contre 40 min à un Algérien pour un litre d’huile, 5 min contre 6 heures 25 min pour un kg de viande de bœuf. Pour s’acheter une paire de chaussures à bas prix il fallait 1 heure de travail à un Français contre 10 heures à un Algérien et enfin pour consulter un médecin généraliste, un Français devait travailler 1h 24min alors que l’Algérien devait le faire pendant 5 heures.
Au sujet des prix de l’électricité et des carburants
Les antisubventions affirment que les montants des subventions économisés peuvent être orientés vers la santé et l’éducation. Pourtant, dès qu’on leur parle santé, ils nous assènent que les soins coûtent très cher à l’État et qu’il appartient au citoyen de mettre la main à la poche ou que la quantité n’a pas donné de résultats dans l’éducation et qu’il faut cibler la qualité maintenant en instaurant une sélection (par l’argent s’entend).
Le FMI, la Banque mondiale, les spécialistes locaux, certains politiques et le gouvernement pour justifier l’augmentation des prix de l’électricité et des carburants nous balancent que “tous les pays abandonnent les subventions, le Koweït les a supprimées, les Émirats arabes ont fait de même ainsi que les USA”. Or qu’en est-il en réalité ?
En octobre 2014, le Koweït a triplé le prix du diesel et du kérosène, carburants qui sont très peu consommés, en les portant de 19 cents de dollar à 59 cents par litre, mais a maintenu intacte la subvention de l’électricité et de l’essence qui est le carburant le plus utilisé dont le prix à la pompe est toujours à 0,22 cent de dollars le litre. À titre comparatif, en 2014, le litre d’essence coûtait 0,27 cent de dollar le litre. En Arabie saoudite le litre d’essence coûte (0,16 cent de dollar) et au Venezuela 0,08 cent de dollar le litre.
Mais le plus important est que les “subventions d’énergie” représentent une très grande part dans le revenu des Algériens comparativement à ces pays qui ont des salaires autrement plus élevés qu’en Algérie.
Faut-il cibler les transferts sociaux ?
Le gouvernement a déclaré vouloir supprimer les transferts sociaux et les remplacer par des transferts ciblés.
Les sociologues suédois, Walter Korpi et Joakim Palme, ont identifié ce qui est connu sous le vocable du paradoxe de la redistribution qui stipule que “plus les programmes sont ciblés vers les pauvres, plus leur qualité et leur taille s’amenuisent, jusqu’à ne plus permettre de réduire véritablement la pauvreté et l’inégalité” (1998). Amartya Sen a noté, pour sa part, que “les bénéfices destinés exclusivement aux pauvres finissent souvent par être
de pauvres bénéfices” (Sen, cité dans Mkandawire, 2005).
En 2012, un rapport de l’OCDE, organisme qui a pourtant toujours défendu le ciblage, notait que dans les pays où les transferts ne sont pas universalistes mais ciblés “les inégalités du revenu disponible des ménages comme le taux de pauvreté sont nettement supérieurs à la moyenne de l’OCDE” (OCDE-2012).
En 2014, l’OCDE va plus loin en affirmant que “lorsque les systèmes de transferts sociaux sont fortement ciblés, les baisses des dépenses sont davantage susceptibles de nuire aux plus démunis” (OCDE : panorama de la société 2014).
On le voit, le ciblage ne vise qu’à réduire la protection sociale et ne fera que creuser les inégalités et augmenter la pauvreté.
Mais où trouver l’argent pour financer le budget de l’État ?
• Bien sûr, relancer la croissance par la relance de l’investissement productif et la lutte contre les compradores.
• La création de l’emploi et l’augmentation du taux d’activité surtout des femmes qui, avec 15%, est l’un des plus faibles au monde.
• La lutte contre la corruption, l’instauration de la démocratie, de la transparence et de la justice sociale, gages de la mobilisation et de la cohésion de la nation.
• En 2013, les exonérations et autres réductions fiscales se sont élevées à 1 150 milliards de dinars (chiffres du ministère des Finances), soit l’équivalent de 14,74 milliards de dollars sans contrepartie réelle pour l’économie.
• Le rapport de la Cour des comptes pour l’exercice 2011 fait ressortir un montant édifiant de restes à recouvrer (RAR) de l’ordre de 7 937 milliards de dinars au 31 décembre 2011.
• Tous les spécialistes évaluent l’évasion fiscale au bas mot à 300 milliards de dinars.
• En 2013, 6 349 000 occupés sur un total de 10 788 000 relevaient du secteur privé dont 3 millions de salariés et 3 millions 349 000 de non-salariés (ONS 2013). Le nombre de travailleurs salariés non déclarés à la sécurité sociale était de 4 578 000. Par statut, trois salariés sur quatre (75,5 %) du secteur formel n’étaient pas affiliés contre deux indépendants sur trois (69%) pour le secteur informel. Autrement dit, c’est dans le secteur formel que la plus grande fraude est enregistrée.
Calculée sur la base du salaire national moyen du secteur privé (ONS 2014), le montant de l’évasion sociale pour l’année 2014 est estimée ainsi à 650 milliards de dinars soit pratiquement l’équivalent de la totalité des pensions de retraite servies par la CNR et la Casnos cette année. La moitié de cette évasion relève du secteur privé formel.
En conclusion, les députés de la présente APN resteront dans l’histoire quel que soit leur vote. Ils seront les représentants du peuple qui ont dit non au bradage du patrimoine national et qui ont su préserver la cohésion de la nation ou ceux qui ont légalisé son bradage.
N. B.
nbouderba@yahoo.f