Environ 1 200 personnes ont manifesté, hier à Cannes, contre le film Hors-la-loi de Rachid Bouchareb, en sélection officielle au Festival international du film de Cannes.
Des anciens combattants de l’armée coloniale, des représentants d’associations de harkis et de pieds-noirs, des membres de l’extrême droite française, et plusieurs élus du parti UMP du président français, Nicolas Sarkozy, parmi lesquels le député-maire de Cannes Bernard Brochant et le député Lionel Luca –bref, les nostalgiques de l’Algérie française-, ont défilé dans les rues de la ville le jour de la projection du film «polémique».
D’une moyenne d’âge entre 60 et 70 ans –rapporte un journaliste de 20 minutes.fr -, ils dénoncent la «falsification» de l’histoire et se focalisent sur les séquences relatant les massacres du 8 mai 1945 à Sétif. Hors-la-loi a réveillé les vieux démons. Les défenseurs des «bienfaits de la colonisation» ne souffrent pas de contradicteurs.
Le film de Bouchareb, que le réalisateur lui-même qualifie de fiction, est politiquement incorrect à leurs yeux. C’est un film anti-français, dénoncent-ils. Les scènes qui ont provoqué la levée de boucliers, la répression aveugle des manifestants indépendantistes le 8 mai 1945 et l’assassinat de 45 000 Algériens, sont choquantes, révoltantes et révulsent.
Tout comme l’a été le colonialisme. Les détracteurs du film dénoncent l’absence d’images représentant le massacre de la centaine d’Européens aux mêmes dates.
Ils revendiquent en quelque sorte un contrepoids.
C’est «une vision hémiplégique de l’histoire», déclarait Lionel Lucas, dans les colonnes de la dernière édition du magazine français Paris Match. Vision hémiplégique contre mémoire sélective.
La France ne reconnaîtra le massacre du 8 mai 1945 qu’en 2005 et tente toujours de présenter le colonialisme comme «une mission civilisatrice». Le film de Bouchareb jette un pavé dans la mare, en dessinant de manière caricaturale le processus de civilisation.
Caricatural car, les images pour violentes qu’elles aient été, la réalité devait être encore plus rebutante. Ouvrir le feu sur des manifestants pacifiques par des forces de l’ordre coloniales avec l’aide des colons ne devait pas être beau à voir non plus.
Qu’est-ce qui dérange, en fait, ces négationnistes des crimes coloniaux ? Est-ce le fait de mettre des images sur ce sombre épisode de l’histoire de France ou le simple fait d’en parler ? Les opposants à Hors-la-loi dénoncent l’assimilation des pratiques des autorités françaises pour contrer la révolution à celles des fascistes : torture, arbitraire, exactions…
Mais que croient-ils ? A-t-il jamais existé une colonisation sympathique ? «On porte son passé, tout son passé dans sa chair et son âme, et il continue de nous miner jusqu’à la ruine», disait André Maillet.
Que dire alors des la répression de la manifestation du 17 octobre 1961 ? Cela s’est bien passé à Paris, non ? Hors-la-loi est perçu comme une falsification de l’histoire par certains Français ; pour les Algériens, c’en est une bribe car «souffrir passe. Avoir souffert ne passe pas», disait encore Louise-Marie de France.
Par Samir Azzoug