Depuis plusieurs années, les villageois constatent avec amertume que les services de sécurité laissent faire le phénomène.
Lasse d’attendre et forte de la décision de la Gendarmerie nationale de mettre un terme à la prolifération inquiétante des lieux de débauche et bars clandestins à travers les villages de Kabylie, la population passe à l’action. En plus des actions de la Gendarmerie nationale sur le terrain, les populations excédées ont réagi à travers les villages les plus reculés pour saccager les bars clandestins qui se transforment en lieux de débauche dans la majeure partie des cas. Nous nous sommes introduits au milieu de ces citoyens pour sonder les profondes inquiétudes et surtout les raisons de la colère.
Depuis plusieurs années, les villageois constatent avec amertume que les services de sécurité laissent faire le phénomène. Ils ont subi pendant longtemps le diktat des bandes de voyous qui sévissaient en toute impunité. Mais ces derniers temps, la police comme la gendarmerie se sont mises de la partie pour mettre un terme à cette descente aux enfers. Depuis 2001, beaucoup de communes sont restées sans couverture sécuritaire avec le départ des brigades de gendarmerie et ce n’est guère mieux avec la couverture sécuritaire des sûretés de daïra de la police.
Des bars clandestins démolis par les villageois
Aujourd’hui, le retour se fait encore timidement mais sûrement. En effet, actuellement, la gendarmerie ne couvre que 33% du territoire de la wilaya alors que la police, elle, estime sa couverture à 38%. Toutes les daïras sont couvertes, mais seulement 24 sûretés urbaines existent sur 67 communes.La couverture qui reste donc à améliorer a fait que beaucoup de territoires échappent à la vigilance des services de sécurité. Ce vide est vite comblé par des individus qui profitent en ouvrant des bars clandestins.
Sans provoquer trop de remous, car situés en dehors des villages, les tenanciers de ces lieux n’ont pas été inquiétés par les villageois. Mais avec le temps, la population constatait que ces lieux n’étaient pas uniquement là pour servir des boissons. Des fléaux dangereux les ont rejoints. «Au début, les villageois n’ont pas réagi considérant que chacun est libre de boire ou pas. Les Kabyles ont de tout temps respecté les libertés des uns et des autres. Mais de là à constater que ces bars clandestins se transforment en lieux de prostitution entre les mains de bandits qui exploitent des filles venues d’ailleurs, d’autres régions du pays, le pas est vite franchi. C’est inacceptable», fulmine un citoyen de Makouda après l’intervention des villageois qui ont démoli un lieu à Stita.
Ce n’est pas nouveau. Les populations sont intervenues dès qu’elles ont constaté que les bars étaient transformés en lieux de débauche. En 2012, les villageois d’Ath Mendès à Boghni ont démoli plusieurs «mahchachat».
Construits sur le territoire connu sous le nom de Tiniri, ces derniers exportaient vers les villages toutes formes d’insécurité. Aujourd’hui, appuyée par la Gendarmerie nationale, la population agit. Dans plusieurs villages, les citoyens sont passés à l’action. «Nous avons averti le tenancier. Nous lui avons demandé de fermer le lieu. Nous avons constaté qu’il y avait des voyous qui rodaient. Il n’a pas écouté», affirmait un villageois de Makouda qui a pris part à l’opération de démolition d’un bar clandestin à Agouni Hamiche. A Tarihant, dans la commune de Boudjima, c’est le comité de village qui a agi. «Après la réunion du comité de village, un groupe a été délégué pour discuter avec les jeunes tenanciers issus de la même localité. Sur les lieux, les négociations se sont passées dans un calme absolu. Les jeunes ont fini par obtempérer aux ordres du village et ont fermé les lieux.
Des fléaux inconnus jadis arrivent dans les villages
Ces actions menées avec l’initiative des villageois accompagnent les opérations menées par la gendarmerie à travers plusieurs communes. Selon un dernier bilan de ce corps, ce sont 22 bars clandestins qui ont été démolis depuis la mi-août. Onze autres ouverts sans autorisation ont été fermés. Aussi, l’espoir chez les populations est grand depuis l’annonce par la gendarmerie du lancement des opérations.
La drogue se déverse à flots sur les paisibles villages. Des jeunes se convertissent en dealers, alors qu’ils devraient être à l’école. La fréquentation de ces lieux incontrôlés est très dangereuse non seulement pour les individus mais pour toute la cellule familiale.
«Il y a des lieux où l’on peut boire et discuter paisiblement. Des bars ouverts légalement. Je ne vois pas pourquoi les gens vont dans ces lieux malpropres», s’interroge un jeune de Boudjima.
«Oui, ces lieux exportent beaucoup de délinquances vers les villages. Loin des regards des services de sécurité, ces derniers deviennent des lieux de débauche et de prostitution. Il n’y a pas trois jours, ce sont huit femmes étrangères à la wilaya de Tizi Ouzou qui ont été arrêtées à Tala Athmane pour prostitution», raconte un jeune dans un café.
Pis encore, ces lieux ont, avec le temps, donné naissance à la forme la plus dangereuse de la délinquance, le crime organisé. Il semblerait que les réseaux les plus dangereux s’organisent autour d’une table dans ces lieux.
Beaucoup de rapts et de kidnappings ont été planifiés dans ces «mahchachat», loin des regards des services de sécurité.