Le salon E3 se termine comme il a commencé : sur un duel au sommet entre Sony et Microsoft… sous l’oeil détaché des éditeurs.
Délicatement, l’immense toile griffée du logo Playstation et de son nouveau slogan « Greatness Awaits » (« l’excellence attend ») se détache de la façade du centre de conventions de Los Angeles. Le salon mondial du jeu vidéo, l’E3, vient de fermer ses portes, jeudi 13 juin. Pendant trois jours, il a été le théâtre d’un duel sans merci entre les deux géants Sony et Microsoft qui ont présenté leur nouvelle console de jeu.
Le Japonais et l’Américain lorgnent tous deux sur la même place : le salon. Avec la Playstation 4 et la Xbox One, chacun entend être LA boîte sous le téléviseur, afin de jouer bien sûr, mais aussi d’accéder à tous ses contenus multimédia (musique, photos, films, voire télévision).
L’enjeu est de taille. Si le secteur du jeu vidéo est en repli, il devrait tout de même représenter plus de 75 milliards d’euros de chiffre d’affaires mondial d’ici deux ans. Les deux constructeurs espèrent récupérer la plus grosse part du gâteau, tandis que de nouvelles concurrences pointent : les télé connectées, les box internet, les tablettes tactiles…
La place de leader est à prendre. Pour la précédente génération, la Playstation 3 et la Xbox 360 sont au coude-à-coude avec environ 70 millions d’unités vendues (4,5 millions et 3,1 millions en France), toutefois loin de la Wii qui caracole à plus de 100 millions d’exemplaires (6,2 millions dans l’hexagone). Seulement, Nintendo vit « une transition difficile » avec sa nouvelle Wii U, lancée en fin d’année dernière, qui ne s’est écoulée qu’à 3,5 millions de machines dans le monde (160.000 en France). Un score en deçà des prévisions qui pourrait laisser de la place à Sony ou Microsoft. Les deux fabricants ont donc décidé de lancer leur nouveau fleuron au même moment. Et dans ce duel, tous les coups sont permis.
Pour 100 euros de plus
Sony a été le premier à porter un uppercut à son adversaire. Lors de sa conférence pré-E3, le Japonais a raillé les nouvelles obligations imposées par la Xbox One, à savoir connexion à internet toutes les 24h, et limitation des prêts et reventes de jeux. « Avec la PS4, notre objectif est de fournir une bonne expérience de jeu », plaide Jim Ryan, président de Playstation Europe. « Au-delà de ça, nous ne voulons pas mettre de barrière au marché de l’occasion, ni imposer une connexion internet… » Lire entre les lignes ne s’avère pas bien difficile.
Les scuds ont continué sur internet où Sony s’est fendu d’ »un guide vidéo pour prêter un jeu à un ami » où la seule étape est de… « prêter un jeu à un ami ». Carton assuré. La dizaine de secondes a été vue plus de 11 millions de fois sur YouTube.
Autre atout revendiqué par le Japonais : le prix. L’annonce d’une Playstation 4 lancée à 399 euros a fait l’effet d’une bombe. Un peu plus tôt, Microsoft a dévoilé un prix de 499 euros pour sa Xbox One. Un écart d’une centaine d’euros non négligeable. Surtout que Sony a habitué les joueurs à des taris élevés avec sa PS3 lancée au tarif astronomique de 600 euros. « D’accord, il y a 100 euros de différence, mais maintenant il va falloir comparer et juger sur pièce », ironise le directeur de Xbox France, David Dufour, au « Point ».
Il est vrai que la Xbox One livre en standard son capteur de mouvements et de reconnaissance vocale Kinect. Et dans les allées de l’E3, il se murmure d’ailleurs que la Playstation 4 sera vendue « à partir de 399 euros », et qu’un pack avec une deuxième manette et la caméra Eyetoy sera commercialisé à 499 euros. « La valeur des choses se mesure à la qualité et à la profondeur du service, pas seulement à un prix d’appel »,tacle Chris Lewis, directeur de Xbox Europe. Microsoft espère faire la différence avec le Xbox Live, son service pour jouer en ligne.
« Nous n’avons jamais cessé d’innover sur Xbox 360 en enrichissant de façon permanente le Xbox Live et avec Kinect… », poursuit David Dufour. « Aujourd’hui, on poursuit dans cette direction. En regardant la concurrence, j’ai plutôt l’impression que c’est le statu quo. C’est ‘moins je change, plus les gens apprécient’ », lâche-t-il, agacé par les commentaires sur son concurrent.
Les jeux, nerfs de la guerre
Outre la guerre de com’, Sony et Microsoft doivent batailler pour proposer un maximum de jeux, si possibles exclusifs, au lancement de leur console. « La règle d’or de ce marché, c’est de proposer un large choix de titres », souligne Stéphane Bole, directeur de Nintendo France. « Ce sont les jeux qui font des consoles, pas l’inverse. Et des jeux exclusifs font orienter les joueurs vers une console plutôt qu’une autre », poursuit-il.
A qui a la plus grosse exclu, la Xbox One devance largement sa rivale. D’ailleurs, l’ensemble de la conférence Microsoft a été consacrée à la présentation de jeux, en grande partie exclusifs à la console (une quinzaine de titres). Mais si la Playstation 4 fait pâle figure, elle peut compter sur quelques studios affiliés à Sony, comme Naughty Dog ou Quantic Dream, qui livreront à coup sûr des fournées de jeux.
De plus, le concept même de « jeu exclusif » semble avoir vécu. A l’E3, « Metal Gear Solid V » a fait l’ouverture de la conférence Microsoft, et le studio Bungie (à l’origine de « Halo ») prépare un « Destiny » dévoilé d’abord sur Playstation 4. Deux choses impensables il y a une dizaine d’années. Mais désormais des budgets jusqu’à 50 millions de dollars sont engagés pour le développement d’un jeu. Plus l’enveloppe grimpe, plus le seuil de rentabilité s’éloigne. « Mieux vaut partir sur des budgets raisonnables pour avoir une chance de toucher des royalties derrière », confirme David Cage, directeur de Quantic Dream dont le budget du prochain « Beyond » avoisine les 20 millions de dollars.
Ainsi, pour espérer vendre plus de titres, mieux vaut miser sur un maximum de consoles, et dire adieu à « l’exclu ».
Relancer tout un secteur
Du côté des éditeurs, on regarde de loin la bataille Playstation 4 vs. Xbox One. Le réservé patron d’Ubisoft, Yves Guillemot, ne se mouille pas : « Elles sont toutes les deux fantastiques. » Même chose chez Activision : « Les deux consoles sont des bêtes technologiques », estime Michael Sportouch, responsable européen des jeux « Destiny » et « Skylanders ». « Il y a eu beaucoup d’effets d’annonce sur le salon, mais in fine ce sont les joueurs qui décideront qu’elle est la meilleure. C’est pas un sprint, ça va être un marathon », philosophe-t-il.
Dans les coulisses de l’E3, les professionnels sont partagés entre l’avantage de la PS4 en matière de communication et l’avantage de la Xbox One dans son catalogue de jeux. « Mais au final, ça ne nous change pas grand chose, les deux consoles se ressemblent », confie-t-on chez un éditeur japonais. « Ce qui compte, c’est que le marché reparte à la hausse. »
Le marché du jeu vidéo « traditionnel », c’est-à-dire sur consoles et vendu en boîte, se repli. Depuis 2009, il affiche une baisse de 15 à 20% à l’échelle mondial, de 17% pour la France. Et les nouvelles ventes de jeux en téléchargement et l’arrivée de jeux sur mobiles ne compense pas cette chute, ce marché du « physique » pèse encore pour plus de 50% du chiffre d’affaires global du jeu vidéo. « On espère que ces nouvelles consoles vont redynamiser le marché du jeu, qu’elles vont amener de nouveaux joueurs », lance Michael Sportouch.
Les spécialistes tablent en tout cas sur une reprise en flèche du marché « traditionnel » à partir de l’an prochain, avec la prévision de résultats supérieur à 13 milliards d’euros d’ici 2015, soit plus du double qu’actuellement.
Playstation 4 et Xbox One acceptent volontiers la mission, mais ne sont pas pour autant prêtes à coopérer. Le duel est encore loin d’être terminé. D’ici les fêtes de fin d’année, les deux vont continuer les tacles dans l’espoir de séduire les premiers acheteurs, c’est-à-dire les joueurs. La prochaine Gamescom à la fin août sera une occasion en or pour poursuivre le match. En garde !