Qa’ada au cœur de la médina, de Abdelmadjid Ibn Tchoubane: Sur les pas d’une mémoire vive

Qa’ada au cœur de la médina, de Abdelmadjid Ibn Tchoubane: Sur les pas d’une mémoire vive

«Qa’adâ au cœur de la médina»(*) est l’intitulé de l’ouvrage qui vient de paraître aux éditions Anep, dont l’auteur, Abdelmadjid Ibn Tchoubane,  nous invite à une escale dans la mythique Cantera aux remugles pieds-noirs, le lieu-dit Laayoûn et son officiante de bilad essoudâne ; Saint-Eugène et son stade mascotte ; la Qasbâh avec ses icônes-artisans, ses mythes, sa plèbe gitane et ses Bambaras ; Notre-Dame d’Afrique et l’insouciance des joyeux drilles ; le quartier Nelson et son complexe Algeria Sport, avant de déborder sur l’enchanteur village de Chréa…

Avec une plume alerte, le récit s’ouvre sur «Le débrayage», qui décrit le climat qui régnait quelques jours avant la fameuse grève des huit jours (28 janvier – 4 février 1957). Entre autres scènes pittoresques, on a celle, très vivante, où l’on croise une vieille mégère pied-noir asséner des injures racistes à un paysan du fahs (campagne) algérois. Portant quelques coqs à vendre au marché, le pauvre homme avait eu la déveine de frôler la tenue chic de la mémé avec le plumage des gallinacés.

Outragée, la rombière le traite de «sale Arabe». Le vieux rural indigène accuse le coup, ravale sa rancœur, passe son chemin sans rien dire, puis, n’en pouvant plus, il revient sur ses pas, rattrape la vieille peau raciste et lui crache au visage la monnaie de sa pièce : «Madame ! lui hurle-t-il en bon français, si nous sommes sales, c’est à cause de vous et si vous êtes propre, c’est grâce à nous et viendra le jour où nous ferons la grande lessive.» Interloquée, la dame ramasse ses jupons et s’en va, dare-dare, se fondre dans la masse…

La guerre de Libération nationale occupe également une place de choix dans la matière du livre : les activités extraprofessionnelles de quelques militants du FLN, dont «Vanovan» – sobriquet désignant le regretté Abdelmalek Temmam ; l’identification et l’élimination spectaculaire à Bab-el-Oued, le 29 avril 1957, du si longtemps insaisissable bourreau d’Alger, Justin Daudet, tenancier de bar à la rue Tanger dans la vie civile, coupeur de têtes de moudjahidine à l’heure du laitier dans la prison de Barberousse (Serkadji) ; la capture et la liquidation physique, en mai 1962, dans les monts de Chréa, du Chacal, sinistre collaborateur de l’armée coloniale, opération qui causa un terrible grabuge dans la région ; les horribles méfaits de l’OAS dans la rage meurtrière de sa politique de la terre brûlée…

L’auteur dévide plus loin des souvenirs sur l’école «Petit-Séminaire Saint-Augustin», nichée sur les hauteurs de Notre-Dame d’Afrique, un établissement scolaire qui a marqué des fournées de jeunes potaches, au même titre d’ailleurs que l’école «Les Salésiennes» et l’ambiance qui caractérisait cette enceinte pédagogique.

Dans la foulée, l’auteur narrateur tient à mettre en évidence, une manière de rendre hommage à des figures icônes de l’ancienne médina, des personnages qu’il a côtoyés peu ou prou dans un atelier d’ébénisterie à la rue Ben’achîr — qui fait face au premier Cercle du Mouloudia —,  un lieu qui voyait défiler des hommes de culte, des  artistes, animateurs de radio et de télévision, artisans, militants d’obédiences diverses et autres cols blancs qui, l’espace d’une qaâda (retrouvailles), devisaient autour de sujets consensuels, parfois houleux, mais qui ne fâchaient pas…

En somme, à travers des instants furtifs, adossés à une foule de dialogues et volés au détour d’une enfance post-indépendance, des lambeaux de mémoire d’un patrimoine matériel et immatériel sont dépliés dans un rythme de récit chronologique (1957-1969), estampillé de flashbacks et de flashforwards (saut en avant), pour dépeindre une atmosphère et restituer un décor qui avait pignon sur rue.

Kader B.