Quand la loi interdit aux libanaises de porter un short

Quand la loi interdit aux libanaises de porter un short

Si la loi au Liban était appliquée au pied de la lettre, des centaines de femmes se verraient infliger uneamende pour le simple fait de porter un short .

La législation du pays reste en effet émaillée de textes considérés comme archaïques par certains.

«Des lois n’ont pas été abrogées depuis plusieurs dizaines d’années, comme si rien n’avait changé», affirme à l’AFP le juge John Azzi, en référence au système juridique libanais largement inspiré du droit ottoman et du Code civil français à l’époque du mandat sur le pays (1920-1943). Ainsi, «une loi pénale spéciale» datant de 1941 interdit aux femmes de porter le short.

Elle s’applique «aux Etats soumis au mandat français», soit le Liban et la Syrie, une tutelle qui a pris fin … dans les années 40. La même loi stipule que «le maillot de bain de la femme ne doit pas être provoquant», sachant que l’été au Liban est l’occasion pour des milliers de femmes de porter des bikinis plus sexy les uns que les autres.

Le texte frôle aujourd’hui le comique, l’amende étant de «250 livres libano-syriennes», une monnaie qui n’a plus cours. «Mais si vous demandez l’avis de gens conservateurs, cela ne les choquerait pas du tout», affirme à l’AFP le député Ghassan Mokhayber.

Si la législation libanaise est bien imprégnée de droit français, cela n’explique pas en revanche pourquoi certaines décisions datant du mandat portent encore les noms des hauts-commissaires français de l’époque, alors que le Liban est indépendant depuis 67 ans.

Autre point anachronique: la loi portant sur la curatelle, ou le régime légal d’assistance des majeurs en cas d’incapacité mentale.

Les législateurs n’ayant pas jugé bon d’introduire les termes «alzheimer», «parkinson» ou «coma», le juge doit se référer aux termes de «fou» et «stupide» utilisés du temps des Ottomans, pour permettre aux proches de gérer les biens du malade.

L’avocat Paul Morcos, président de l’agence de consultants juridiques Justicia note «une certaine paresse» en matière de réforme législative même si un grand chantier dans ce domaine a été mis en place après la guerre civile (1975-1990).

Les hommes de loi dénoncent surtout l’archaïsme du statut personnel, toujours géré par les 18 communautés religieuses du pays via leurs propres tribunaux, qui s’inspirent dans des cas de la loi ottomane sur les droits familiaux de 1917. «Une autre loi absurde est celle qui reconnaît le mariage civil tout en interdisant la cérémonie elle-même sur le sol libanais», affirme le juge Azzi.

Le Code pénal offre d’autres exemples: selon une loi datant de 1925, les femmes n’ont pas de droit de transmettre leur nationalité à leurs enfants et elles risquent deux ans de prison pour adultère, même sans être prise en flagrant délit, contrairement à l’homme.

Un violeur cesse d’être poursuivi s’il épouse sa victime et l’auteur d’un crime dit d’»honneur» peut bénéficier de «causes atténuantes».

«Une loi archaïque, c’est comme un médicament périmé: après la date d’expiration, ça devient nocif. La loi devient injuste», estime le juge Azzi. Parfois, l’application de la loi est elle-même archaïque.

Le Libanais est obligé de porter sa carte d’identité sur soi. Or, un jour, un juge est allé jusqu’à «sanctionner des gens qui n’avaient pas leur carte… à la plage», affirme M. Morkos. La caducité des textes touche aussi la sphère politique: le traité de fraternité conclu entre Beyrouth et Damas en 1991 organise la présence de l’armée syrienne au Liban. En 2005, la Syrie a

retiré ses troupes, mais le texte existe toujours. La société civile garde toutefois espoir: au cours des dernières années, la mention «bâtard» a été supprimée du vocabulaire juridique, la confession religieuse ne figure plus sur la pièce d’identité et les femmes ont enfin le droit d’ouvrir des comptes bancaires au nom de leurs enfants.

Par Rana Moussaoui de l’AFP