Dix ans après l’entrée en vigueur de la Loi sur les hydrocarbures, le puissant groupe français Total qui opère en Algérie décide d’attaquer en justice les autorités algériennes en engageant une procédure d’arbitrage auprès de la Cour internationale d’arbitrage à Genève, qui dépend de la Chambre de commerce internationale.
Par cette procédure éprouvée par d’autres compagnies avant lui, comme l’américain Anadarko ou le danois Maersk en 2012, le groupe français escompte récupérer l’argent payée, un peu plus de 500 millions de dollars, dans le cadre de la taxe sur les superprofits imposée par la Loi de 2006. D’après le journal Le Monde, dès que le prix du baril dépasse 30 dollars, ce qui est largement le cas au milieu des années 2000, les compagnies étrangères doivent acquitter un impôt supplémentaire variant entre 5 % et… 50 % de la valeur de la production. Pour avoir signé des contrats avec Sonatrach antérieurs à la Loi, lesquels devait lui assurer une stabilité fiscale, Total reproche dès lors au gouvernement algérien une modification unilatérale et rétroactive de leurs contrats après la révision de la Loi sur les hydrocarbures. «On a essayé de se mettre d’accord à l’amiable, on n’y arrive pas, alors on va en arbitrage», a déclaré samedi le PDG de Total, Patrick Pouyanné dans des propos repris par l’AFP. «La vie des contrats, la vie du business, fait que quand on n’est pas d’accord, il y a des clauses d’arbitrage et on les active. Il ne faut rien voir de plus que la relation entre une entreprise et une partie prenante qui est (la compagnie pétrolière d’Etat algérienne) Sonatrach. On n’est pas d’accord sur l’interprétation d’une clause, eh bien on va en arbitrage », a-t-il relativisé. Reste que la question que d’aucuns se posent est de savoir pourquoi le groupe a attendu tout ce temps pour réagir. Peut-on croire raisonnablement que les négociations ont duré tout ce temps ? A vrai dire, Total semble subir les contrecoups de la chute des prix du pétrole. A partir du moment où les prix étaient élevés, il ne voyait aucun inconvénient à payer la taxe, mais dès que les prix ont chuté, les conséquences se sont fait ressentir sur les équilibres financiers du groupe. « En faisant ainsi pression, les dirigeants espèrent pousser les Algériens à négocier un accord », croit savoir le journal Le Monde. Et les conséquences politiques d’une telle décision sur les relations algéro-françaises lorsqu’on sait que Total est considéré comme le « bras armé de la diplomatie française » ? Même si Patrick Pouyanné se défend d’avoir agi sans accord des autorités françaises, il est difficile de ne pas y voir le feu vert du Quai d’Orsay. «Je ne demande pas au gouvernement si j’ai le droit d’aller en arbitrage. C’est une décision qui appartient à l’entreprise, nous sommes une entreprise privée. (…) Total prend ses décisions tout seul », s’est-il défendu. Mais selon le Monde «le gouvernement français, consulté, n’y a pas mis son veto ». Intervenant dans un contexte de regain de tension entre les deux capitales, après le fameux tweet de Manuel Valls et des révélations de Panama Papers, cette décision de Total risque d’envenimer davantage les relations entre les deux pays. A moins que l’objectif recherché est d’influer sur les arrangements en coulisses qui visiblement préparent la succession d’autant qu’à Paris on a interprété le retour de Chakib Khellil, un allié des américains, comme un chantage brandi par Alger. Que fera Alger ? Concèdera-t-elle à rembourser comme elle l’avait fait en 2012 pour Andarko à qui elle a versé plus de 4 milliards de dollars ? Le sujet risque de s’avérer explosif.