Après avoir été taxé de salon des importateurs, le Sila a voulu se professionnaliser et devenir un salon de l’édition. Mais ce n’est pas encore le cas pour l’instant, car les éditeurs étrangers sont les grands absents. Toutefois, chapeau bas aux visiteurs qui n’ont renoncé devant rien et même traversé le pays, pour prendre part à ce grand rassemblement du livre.
Le vœu des organisateurs de cette 14e édition du Salon international du livre d’Alger n’a malheureusement pas été exaucé. Au cours des éditions précédentes, l’expression “salon des importateurs” revenait de manière récurrente. Avec le changement de statut du Sila (devenu festival), le changement d’organisateur (de l’Anep au ministère de la Culture) et sa délocalisation (de la Safex au complexe Mohamed-Boudiaf), les ambitions étaient grandes. Les organisateurs promettaient même de faire du Sila un Salon de l’édition, où il aurait été question d’achats de droits, de ventes de droits et de rendez-vous entre éditeurs. Rien de tout cela ne s’est produit pourtant. Malgré l’engouement du public qui a été plus qu’à la hauteur, le Sila n’a pas encore trouvé sa vocation. À 48 heures de la fin du Sila, nous avons posé “la question centrale d’un Salon du livre” aux éditeurs algériens : qui a acheté les droits et à qui ? Les réponses sont malheureusement similaires et négatives. “Il n’y a pas d’éditeurs, il y a des représentants ou des commerciaux”. Boubeker Zemmal, le président de l’association El-Beyt pour les arts et la culture, nous a déclaré à propos de la question des achats de droits : “Nous nous sommes rapprochés d’une maison d’édition égyptienne qui expose au Sila pour savoir si l’on pouvait leur acheter les droits d’un ouvrage fort intéressant, ils ont refusé. Ils nous ont proposé de l’acheter si on le souhaitait”. D’autres éditeurs n’ont pas tenté d’essayer de faire une approche dans la mesure où il n’y a pas de responsables d’édition, et qu’il n’y a pas de livres intéressants. Le stand des éditions Gallimard est d’une tristesse absolue, celui d’Actes Sud est presque inintéressant. Pourtant, ces deux noms sont des références dans l’édition en France, et leurs ouvrages, qui se vendent d’ailleurs dans toutes les bonnes librairies algériennes, sont fort enthousiasmants.
D’autres maisons d’édition à l’exemple de Dar Saqi — un éditeur très intéressant avec un catalogue riche et subversif à la fois — n’ont pas fait partie des exposants de cette édition. Tous les éditeurs algériens questionnés à propos des achats et des ventes de droits se sont accordés à dire que le Sila n’est pas un salon professionnel, c’est une foire où l’on achète et où l’on vend des livres. Certains de ces éditeurs nous ont également fait part de leur agréable surprise quant à l’engouement et l’intérêt du public, qui s’intéresse réellement à la littérature algérienne du dedans. En effet, les visiteurs ont la note complète, pour leur intérêt et leur engouement. Cela est sans doute dû au fait que le site du Sila soit proche de plusieurs pôles universitaires, et puis Chevalley est quand même un carrefour important. Tous les chemins mènent à Chevalley !
La nage dans l’approximation
Mais ces mêmes visiteurs ont dû subir les frasques de la désorganisation des files interminables, et ce, même pour les sanitaires, une conférence annulée, et des invités qui ont brillé par leur absence, notamment Cheikh Hamidou Kane, Bios Diallo ou encore Aminata Traoré. Quant au programme d’animation, il n’a pas été de tout repos, mais il a donné cette impression de remplir un vide. Les conférences et les rencontres donnaient cette fâcheuse impression qu’elles ont été programmées pour le fun ; qu’elles le sont juste pour faire de l’animation. Les thèmes sont à la fois génériques et souvent trop vastes, à l’exemple de la conférence tenue le 1er novembre dernier sur la Palestine entre la réalité et les perspectives. C’est une manière de faire sombrer les gens dans l’approximation, mais c’est également une preuve que les conférences n’ont pas été pensées et réfléchies. En outre, des hommages ont été rendus, notamment à Francis Jeanson, M’hamed Boukhobza, Omar El-Bernaoui et Kateb Yacine. Pour ce dernier hommage, ce sont toujours les mêmes experts qui s’expriment sur Kateb Yacine.
Ils ont également répondu à une chronologie très linéaire : Kateb Yacine est né telle date, il a découvert l’amour et la révolution à telle date, la littérature à telle autre date, et il est décédé en 1989. Pourtant, les nouvelles plumes, qui ont émergé ces dernières années, auraient pu évoquer Kateb Yacine, avec un regard plus frais, en expliquant entre autres l’influence de celui-ci sur leur(s) écriture(s) et leurs questionnements. Le Sila, c’est aussi l’humidité qui a fait (et fait encore, selon les dires de certains éditeurs) rage. En effet, plusieurs livres ont été abîmés et malgré les dispositions prises par le commissariat, l’humidité continue à faire des ravages. Par ailleurs, le slogan, le Roi livre, ne veut strictement rien dire, il est d’ailleurs banal et basique ; au lieu de faire penser au Roi Lear (la pièce de Shakespeare) comme le souhaitaient les organisateurs, les gens pensent généralement au Roi Lion, le chef-d’œuvre de Disney. Que retiendrons-nous à 24 heures de la fin de ce salon ? La fatigue qui se fait sentir sur les visages, l’engouement des visiteurs qui montrent surtout le manque d’espaces publics pour sortir en famille, les agents de sécurité au niveau du stand des éditions Casbah, et la rencontre des éditeurs avec les lecteurs, mais aussi et surtout celle des lecteurs avec les auteurs. Ce n’est malheureusement pas encore un salon des éditeurs, mais on ne peut s’attendre à des miracles,
parce qu’après tout, ce n’est que la première édition des organisateurs. Il reste encore du chemin à parcourir, et l’avenir est devant le Sila, qui doit à présent s’affirmer et, surtout, se professionnaliser. Le Sila s’imposera sans doute, mais gardons les pieds sur terre, et surtout évitons les comparaisons à tort et à travers, notamment avec celui de Frankfort, car les professionnels étrangers du livre ont réellement manqué.