En tant qu’observateur et analyste de la scène et de la vie politiques nationales, Rachid Grim évalue les conséquences de la révision constitutionnelle du 12 novembre 2008. En seulement une année, les objectifs visés à travers la révision constitutionnelle ont été presque atteints. De la présidence à vie aux pouvoirs omnipotents du président, cette loi fondamentale amendée, dit-il, a pu réduire « la vie dans le pays à l’existence d’un seul homme et de sa famille ». Cette nouvelle Constitution, ajoute-t-il, a également réussi « à vulgariser l’idée d’une probable succession du cadet des Bouteflika au frère aîné ».
– Une année s’est déjà écoulée depuis la révision de la Constitution en Algérie, le 12 novembre 2008. Beaucoup de commentaires ont été faits avant et après cette révision. Des appréhensions concernant le verrouillage définitif de la vie politique nationale ont été aussi exprimées. Cette nouvelle Constitution a-t-elle des répercussions sur l’exercice politique dans le pays ? Quelle est la nature de ces répercussions ?
Les appréhensions d’il y a une année sont toujours d’actualité. La révision du 12 novembre 2008 visait à permettre au président Bouteflika d’éliminer l’obstacle constitutionnel qui interdisait plus de deux mandats. Il voulait une présidence à vie et il l’a eu. Parce que si son état de santé pouvait lui permettre un quatrième mandat, il n’hésiterait pas à se présenter. C’était l’objectif fondamental, sinon unique de la révision : les autres réformes qui accompagnaient celle-là n’étaient que de la poudre aux yeux pour mieux faire passer la pilule et on n’a pas vu la situation de la femme s’améliorer depuis le 12 novembre. Le verrouillage du champ politique était déjà une réalité bien avant la réforme. Les deux premiers mandats du Président avaient servi à cela. La réforme n’y a rien ajouté ni retiré. Ce que la réforme a par contre ajouté, c’est le fait que tous les partis politiques, de l’opposition ou même de la majorité, ont compris qu’il n’y a réellement qu’un seul acteur majeur sur le terrain : le président Bouteflika et rien que lui. C’est lui qui décide des règles du jeu et c’est uniquement lui qui joue. Ce n’est pas pour rien, au cours de cette année, que le microcosme politique bruisse de rumeurs de préparation de la relève. Une relève qui restera dans la famille et qui protégera les intérêts du clan. Le parti de Saïd n’est pas une vue de l’esprit. Sous cette forme, ou sous une autre, le frère se prépare à la succession. Le ballon d’essai lancé il y a près d’une année commence à avoir des résultats. Même si Saïd Bouteflika ne crée pas formellement le parti qui le mènera à prendre la succession de son frère, une fois celui-ci retiré des affaires, l’idée d’une relève en famille est maintenant acceptée comme une très forte possibilité par tout ce que l’Algérie compte d’analystes.
– L’idée avancée par les pouvoirs publics en procédant à la révision de cette loi fondamentale est de réaliser un équilibre des pouvoirs et de redéfinir la nature du régime. Est-ce vraiment le cas aujourd’hui ?
Redéfinir la nature du régime, c’est avoir d’autres objectifs que ceux actuels de détention de toutes les clés du pouvoir : le Président est concrètement la source et l’aboutissement de tous les pouvoirs. Avec un président omnipotent comme Bouteflika, il n’a jamais été question d’équilibre des pouvoirs ni de redéfinition de la nature du régime algérien : il décide de tout. Il n’y a aucun contre-pouvoir à son omnipotence et n’en acceptera aucun. Ceux qui pensaient naïvement que la révision constitutionnelle de l’année dernière allait changer quelque chose en ont eu pour leurs frais.
– Avons-nous un régime clair aujourd’hui ?
Si par clair vous entendez transparent, c’est exactement le contraire. Rien n’est plus obscur que la manière dont l’Algérie est gouvernée. La seule chose qui est claire, c’est que la totalité des pouvoirs est entre les mains du Président. Même si certains pensent qu’il y a encore l’armée (ou un clan de l’armée) qui constitue, comme il y a une dizaine d’années, le pouvoir réel, la vérité est autre. Il ne semble pas y avoir aujourd’hui de pouvoir parallèle plus puissant (ou aussi puissant) que celui du Président. Même si les cacophonies dans les prises de décision politiques laissent penser qu’il y a des forces qui freinent ou bloquent la volonté du Président.
– Le régime présidentiel visé à travers la dernière révision de la Constitution favorisera-t-il l’émergence d’une démocratie en Algérie ?
Poser la question, c’est déjà y répondre. Evidemment que la réponse est négative. La révision constitutionnelle n’a fait que réduire plus encore les espaces de liberté démocratique qui étaient déjà très étroits. Le jeu politique a été encore plus fermé. Idem pour la liberté d’expression et d’opinion. L’espace de liberté de la presse par exemple s’est réduit encore plus.
– Cette nouvelle Constitution a-t-elle consacré la séparation des pouvoirs comme il a été affirmé ?
Non. Catégoriquement non ! Tout dépend du président de la République, même si la Constitution, y compris celle révisée, organisait la séparation stricte des pouvoirs, celle-ci a toujours été théorique. Il y a toujours eu le président de la République complètement omnipotent et les autres pouvoirs dépendant de lui pour fonctionner. La révision a, en sus, ajouté du pouvoir au président de la République en en faisant le chef du gouvernement (le Premier ministre créé en 2008 n’est que le premier des ministres).
– Parmi les amendements introduits dans la nouvelle Constitution, il y a celui qui évoque la promotion du rôle de la femme en politique. Pensez-vous qu’il y a des avancées dans ce sens ?
Absolument aucune avancée perceptible dans l’évolution de la condition de la femme algérienne. Rien n’est venu confirmer que la femme algérienne est enfin devenue majeure. Ce ne sera pas la Constitution révisée qui lui redonnera sa véritable place dans la société. Celle-ci ne viendra que de la lutte qu’elle mène au quotidien.
Par Madjid Makedhi