Par Hasna YACOUB
À titre d’exemple, il est fait état d’un montant de 300 milliards de dinars pour le non-remboursement des entreprises économiques de leurs crédits.
L’institution de l’avenue Ghermoul semble revenir à la vie, après plusieurs décennies. Dans les bureaux, c’est la reprise des activités. Les magistrats de la Cour des comptes, revigorés par la révolution du 22 février dernier, ont décidé de sortir véritablement de leur léthargie et de participer à la construction de la nouvelle République en mettant fin à l’ère de l’impunité des corrompus et corrupteurs. Les magistrats ont ainsi remis des rapports explosifs à la justice portant sur la gestion des deniers publics sur les 10 dernières années. Les rapports donnent une idée très claire sur l’ampleur des dégâts: des centaines de milliards de dinars de fraude fiscale, des irrégularités à la pelle dans les dépenses de l’argent public et de graves défaillances en matière de gestion au niveau de nombreux départements ministériels.
A titre d’exemple, il est fait état d’un montant de 300 milliards de dinars pour le non-remboursement des entreprises économiques de leurs crédits. Ce qui annonce un défilé de hauts responsables devant le juge instructeur. Il ne s’agira pas uniquement de chefs d’entreprises publiques, de cadres d’un ministère ou de ministres, mais il faut s’attendre à ce que les anciens Premiers ministres soient convoqués. Car, aujourd’hui que le mur de la peur est brisé, la convocation d’un Premier ministre ne sera pas une première. Ahmed Ouyahia est bien auditionné actuellement dans une affaire de corruption. Les dossiers de la Cour des comptes vont donc être décortiqués par les enquêteurs des juridictions spécialisées avant l’ouverture des enquêtes. Outre les comptes rendus détaillés, les rapports de la Cour des comptes ont enregistré d’innombrables «trous financiers» au niveau des budgets d’équipement de certains ministères que la Cour attribue à des «surfacturations abusives» et le recours régulier à des dépenses accessoires pour finaliser l’exercice financier.
De telles enquêtes vont permettre de lever juste un peu le voile sur les milliards de milliards de dépenses qui ont vidé les caisses du pays. EIles permettront également de revenir sur les scandales qui avaient défrayé la chronique durant les 20 dernières années et de connaître enfin, les complices politiques dans ces affaires de dilapidation, dont les noms ont toujours été tus à l’époque. Cela va être possible grâce à la décision de la Cour des comptes de transmettre enfin les rapports à la justice. Des dossiers jusqu’ici cachés dans les tiroirs. En effet, puisque selon la loi, la Cour des comptes depuis sa création est tenue d’établir un rapport annuel qu’elle adresse au président de la République, mais elle est tenue également de le publier totalement ou partiellement au Journal officiel ainsi que de transmettre une copie à l’institution législative. Sous l’ex-président Abdelaziz Bouteflika, la Cour des comptes n’a rien fait de cela. Elle était dans une léthargie totale et cela même après une soi-disant réactivation en 2010. Les rapports annuels de la Cour des comptes n’ont donc jamais été publiés.
Ils ont par contre, sûrement été préparés pour rester au fond des tiroirs. Ils sont aujourd’hui dépoussiérés pour permettre au pays de lutter efficacement contre la corruption. Et c’est la meilleure chose à faire car le travail des magistrats de la Cour des comptes est très important. Ces derniers sont dotés d’une noble fonction. Celle de contrôler les finances publiques nationales de tous les organismes publics de toute nature. Pas seulement les administrations donc, mais également les entreprises publiques et les entreprises mixtes dont l’État, les collectivités locales où les organismes publics détiennent une partie du capital social. Le travail des magistrats de la Cour des comptes peut nous révéler bien des surprises sur la gestion menée ces deux dernières décennies, la dilapidation des deniers publics, l’abus de biens sociaux, le délit d’initié… et tous ces fléaux qui ont saigné comme jamais auparavant l’économie nationale et sapé le moral de la nation, à l’ombre du silence complice des institutions de l’Etat, notamment les assemblées élues.