De nos jours, certaines personnes, pleines de conviction et de détermination ont recours, après avoir été déçues par leur médecin, au talisman (kteb) rédigé par les mains habiles d’un «taleb» dont la dextérité des propos tenus pleins de paroles ubuesques, ne sont plus à démontrer.
Pourtant, l’affluence que connaissent ces «écrivains» est grandissante et leur impact n’est pas des moindres. Ils se veulent rassurants et prêts à tout afin d’endiguer le mal et vider bien-entendu, l’escarcelle. Si vous n’êtes jamais allé pour «une consultation » ou un entretien, l’endroit où crèchent ces «tolba» est modeste, simple facile à reconnaître car le voisinage les connaît. Dans la wilaya, ils sont nombreux et leur réputation est reconnue et indiquée, colportée de bouche à oreille. Certains «tolba» se contentent d’une vieille maisonnette en pisé «toub» aspergée de chaux dont l’intérieur est éclairé par une lumière timorée.
D’autres, plus nantis, disposent d’un logement spacieux équipé d’une salle d’attente où le thé est servi par des jeunes filles. Une fois admis à l’intérieur, vous vous déchaussez et saluez le personnage assis en tailleur dont la tête recouverte d’un «chech», ses yeux pivotent dans tous les sens, vous intriguent, essayant sans doute de déceler la faille qui lui permettra de se lancer dans un discours qui finira par vous faire valdinguer et vous donner le tournis.
La première chose qu’il vous demande est votre prénom, suivi de celui de votre mère. Alors selon le motif pour lequel vous êtes venu, il existe plusieurs formules. Si c’est pour conjurer le mauvais sort, le mauvais oeil, un Louis en or est placé sur votre front, puis quelques versets coraniques sont psalmodiés, histoire de vous impressionner.
Si dans le cas contraire, le motif est autre, le moyen le plus évident de percer le secret du visiteur est d’ouvrir un livre à la couverture en cuir, qui renferme plusieurs tableaux et formules qui permettront indubitablement à notre «taleb» de toucher la corde sensible pour ensuite rédiger son talisman. Le plus souvent, le visiteur est bombardé de questions du genre : tu dois avoir beaucoup d’ennemis, même au travail, ils sont jaloux de toi, tu dois t’en méfier et t’en prémunir ; je dispose de «l’outil» idéal afin de parer à toute éventualité.
De petites feuilles blanches, habilement découpées, font l’objet d’une calligraphie que le commun des mortels ne saurait déchiffrer. Parfois, la transcription est faite d’encre «smeck», encre noire, parfois celle-ci est teintée de safran. Sur le talisman, on peut retrouver, soit des tableaux, soit des symboles dignes des hiéroglyphes égyptiens. Revenons à notre taleb, dans sa demeure, se trouve une table sur laquelle sont disposés divers objets hétéroclites, un Louis d’or, un petit rétroviseur, deux livres dans lesquels figurent d’étranges inscriptions, un coffre en bois, deux canapés destinés aux éventuels visiteurs.
L’air frais est brassé par un ventilateur timoré qui commence par rendre l’âme. Après avoir pris connaissance des deux prénoms, un regard furtif est jeté sur le rétroviseur en vue de percer le secret et le mystère du visiteur intrigué par toute cette mise en scène dont le but est d’impressionner et d’influencer pour plus tard débourser la somme demandée.Puis commence un enchaînement de questions et de réponses qui débutent généralement par : le mauvais oeil vous guette, les langues bifides aussi, je saurai leur faire face ! Ensuite survient une avalanche de paroles appropriées qui vous désarçonnent, qui concernent le stress, les tracasseries et les difficultés de la vie quotidienne. Bref, tout un répertoire appris et récité qui fait mouche chez l’intrus et le novice dont l’unique souci : être délivré de ce mal.
L’entretien ne dépasse guère les dix ou quinze minutes, temps durant lequel le «taleb» transcrit avec dextérité quelques formules suivies de paroles incantatoires psalmodiées pour la circonstance. Notre visiteur est conquis et il faut passer maintenant aux choses sérieuses : l’argent, une somme rondelette qui varie entre 1000 et 10.000 DA voire plus. Notre «taleb» a réponse à tout et quand une personne se présente afin de retrouver l’objet volé (véhicule par exemple) là, elle est saignée à blanc. Les billets défilent à vive allure.
Comble de l’ironie, ces endroits ne désemplissent pas et le bouche à oreille fonctionne à merveille et il n’est pas rare de voir des gens déambuler du Nord comme de l’Est. Souvent, les femmes désespérées dont le mari a fui le domicile familial ou dont le divorce va être annoncé car le divorce est considéré «comme l’autopsie d’un mariage défunt» sont des victimes et des proies de premier ordre pour notre «taleb» qui saisit cette opportunité, promettant monts et merveilles et notre fugueur ne tardera pas à revenir au bercail, ce qui n’est pas toujours le cas. Pour l’anecdote, on raconte que le «taleb» avait traité un cas similaire : il avait dit à la malheureuse de lui ramener un vêtement de son mari.
La bonne femme s’exécute et on lui explique la marche à suivre. Au bout de quelques jours, quelqu’un vient sonner à la porte, un Australien à qui appartenait la chemise en question que son mari avait achetée de la friperie. Et les gens, désabusés, continuent d’y croire et de se rendre régulièrement chez ces «hommes» sans scrupule afin de retrouver le bonheur perdu, la fortune souhaitée, la femme désirée ou la destruction d’éventuels ennemis.
C’est dans la tête de l’individu que ça se passe et c’est le fruit de son imagination car l’imagination est plus importante que la connaissance car la connaissance est limitée et l’imagination vous offre la liberté de pensée ainsi que l’évasion. Attention à l’arnaque de la plume des ‘tolba’.Un homme averti en vaut deux !
Safi A.T.