Pour beaucoup de spécialistes en finances et en droit, la récupération des fonds illicites n’est pas impossible, mais néanmoins incertaine et complexe.
L’Algérie peut-elle prétendre à récupérer les fonds mal acquis transférés illicitement à l’étranger ? La question fait en tout cas partie, non seulement des revendications légitimes portées par le mouvement populaire du 22 février, mais aussi des perspectives souvent évoquées ces dernières semaines dans le discours officiel du gouvernement.
La lutte contre la corruption “n’atteindra ses objectifs qu’après la récupération des avoirs criminels que représentent les fonds détournés et qui constituent, à l’heure actuelle, une pierre angulaire aux niveaux national et international…”, a, ainsi, déclaré, tout récemment, le ministre de la Justice, Belkacem Zeghmati.
Selon le garde des Sceaux, l’Algérie disposerait même “des mécanismes juridiques nécessaires pour récupérer les fonds détournés vers l’étranger”, tout comme elle pourra s’appuyer, a-t-il fait valoir, sur la “Convention des Nations unies contre la corruption”, qui permet notamment de renforcer la coopération avec les autres États pour faciliter la lutte contre ce fléau.
Qu’en est-il, cependant, dans la pratique ? Pour beaucoup d’experts en finances et de spécialistes en droit, la récupération des fonds illicites placés à l’étranger n’est, certes, pas impossible, mais néanmoins hypothétique, complexe et de très longue haleine. “Il est parfois impossible de faire l’inventaire des biens illicites et des infractions commises”, nous explique, en ce sens, l’avocat d’affaires Nasr-Eddine Lezzar, ajoutant que l’établissement d’un lien entre les fonds concernés et l’infraction “est une condition difficile à réaliser dès lors que les avoirs sont blanchis, convertis ou transférés”.
De plus, précise-t-il, même si de nombreux pays ont assoupli le principe du secret bancaire, “des résistances demeurent encore, notamment en France et en Suisse où atterrissent souvent les capitaux de chez nous”. Cela étant, les recherches en vue de la récupération des fonds détenus illicitement, estime notre interlocuteur, “sont possibles et il suffit pour cela de cibler les richesses subites des uns et des autres”, même si, a-t-il réitéré, les procédures qui ont le mérite d’exister en ce domaine “sont difficiles à mettre en œuvre, car elles ont un coût et exigent du temps et de la compétence”.
Évoquant en définitive des informations laissant entendre que les patrons algériens poursuivis en justice “seraient prêts à restituer des biens contre un aménagement de leurs procès ou des remises de peine”, Nasr-Eddine Lezzar estime, à ce propos, qu’une telle possibilité “permettrait à l’État de récupérer en quelques mois beaucoup plus que ce qu’il n’est pas sûr de récupérer en plusieurs années ou décennies”.
Quoi qu’il en soit, par quelque bout qu’on les prenne, les procédures de récupération des fonds illicites sont très complexes et leur mise en œuvre “risque d’être très longue”, comme nous l’explique, pour sa part, Raouf Boucekkine, professeur des universités et directeur de l’Institut d’études avancées d’Aix-Marseille (France). “Nous avons devant nous un vrai problème s’agissant de comportements criminels qui ont souvent bénéficié de techniques d’‘opacification’ redoutables par les nombreux banksters (banquiers malhonnêtes, ndlr)”, a-t-il avisé en ce sens.
Akli Rezouali