Ces frappes confirmées par le Pentagone témoignent d’un changement radical de la situation en Libye où seraient concentrés, selon des estimations recoupées, entre 5000 et 6000 éléments de l’EI dont un grand nombre d’exfiltrés de Syrie et d’Irak.
Les milices issues des villes de l’ouest libyen et ralliées au gouvernement d’union nationale, notamment celles de Misrata, sont parvenues hier à s’emparer d’un quartier important, au centre de la ville de Syrte, bombardé lundi par l’aviation américaine, à la demande de Tripoli. «Nos forces ont pris le contrôle total du quartier al-Dollar après l’assaut lancé dimanche», annonce le bureau médiatique des forces pro-GNA sur sa page Facebook, ajoutant que «la nouvelle ligne de front s’établit désormais dans le secteur situé entre le quartier al-Dollar et le centre de conférence de Ouagadougou», quartier général des éléments de Daesh à Syrte, 450 km à l’est de la capitale.
Ce regain d’affrontements avec l’EI qui a fait de Syrte son bastion en Libye aurait causé cinq morts dans les rangs des forces loyalistes, affirme un bilan du commandement militaire. Enlisées depuis bientôt deux mois dans un centre-ville où Daesh tente de se maintenir coûte que coûte, les milices d’Al Sarraj ont réussi une percée inattendue, au lendemain même des frappes aériennes menées par les Etats-Unis. Ces frappes, annoncées par le Premier ministre Fayez al-Sarraj et confirmées par le Pentagone, témoignent d’un changement radical de la situation en Libye où seraient concentrés, selon des estimations recoupées de plusieurs services de renseignements, entre 5000 et 6000 éléments de l’EI dont un grand nombre d’exfiltrés de Syrie et d’Irak.
Entrées le 9 juin dernier à Syrte après une offensive menée tambour battant depuis le 12 mai, les forces du GNA assiègent les groupes terroristes qui, contre toute attente, opposent une farouche résistance tout en ripostant avec des contre-attaques et des attentats-suicide à la voiture piégée. Depuis le début des opérations, plus de 300 membres des forces gouvernementales ont été tués et plus de 1500 blessés, selon des sources médicales à Misrata (200 km à l’est de Tripoli), siège du commandement de l’opération pour la reprise de Syrte.
C’est dans ce siège que M.Sarraj s’est rendu lundi. Dans une déclaration diffusée sur la page Facebook du gouvernement, il a promis de «mettre tous les moyens à la disposition» des forces combattant l’EI à Syrte pour vaincre le groupe jihadiste. C’est chose faite, semble-t-il, avec l’entrée en scène des Etats-Unis qui, sans rompre avec leur stratégie éprouvée en Irak et en Syrie de non-engagement au sol, apportent un soutien stratégique au GNA pour tenter de réduire la résistance de Daesh à Syrte.
Sauf que cette nouvelle donne risque d’être lourde de menaces pour l’ensemble de la région. La stratégie des groupes terroristes, d’ailleurs mise en oeuvre à Syrte pour tenter de desserrer l’étau, consiste à disperser leurs forces, aussi bien à travers le territoire libyen dont le désert offre des refuges multiples et divers, que dans les pays frontaliers comme la Tunisie et l’Algérie.
C’est dire si l’alerte est rouge et si la Tunisie a beaucoup à craindre, quelque 2000 ressortissants tunisiens composant la masse des jihadistes de l’Etat islamique. Mais l’Algérie n’est pas à l’abri pour autant quand on connaît la propension aux infiltrations et les connexions, voire les ramifications, dont se sont toujours prévalu les mouvances terroristes. Cette inquiétude n’est pas nouvelle, elle a déjà été exprimée, en moult occasions, par l’Algérie, notamment lors des rencontres de Rome ou de Vienne, et plus récemment encore, à la faveur de la visite de trois jours à Alger du secrétaire d’Etat adjoint américain, Antony Blinken. Abdelkader Messahel, en Italie et aux Etats-Unis, Ramtane Lamamra, à Paris comme à Moscou, n’ont pas cessé de réitérer la position et l’analyse de l’Algérie sur la poudrière libyenne et les dangers qu’elle comporte pour l’ensemble de la région maghrébine et, tout particulièrement, les Etats membres du Groupe des pays voisins (Algérie, Egypte, Tunisie, Tchad et Soudan.
En clair, Alger qui a toujours milité contre toute intervention militaire extérieure n’a jamais cessé de dire combien Daesh représente «une menace croissante et imminente» en Libye et dans la région et que toute action militaire pour combattre cette menace doit se faire sur la base d’une demande explicite du gouvernement d’union libyen, conformément aux principes de la charte de l’ONU.
Si tel est bien le cas pour les raids des Etats-Unis à Syrte, la présence militaire française dans l’est de la Libye, à Benghazi plus exactement, aux côtés des forces du général Khalifa Haftar qui conteste avec le Parlement de Tobrouk l’autorité du gouvernement Al Sarraj, a suscité l’ire du Premier ministre libyen au point qu’il a réclamé à la France «des explications officielles du gouvernement français». Paris a tenté hier de minimiser le différend avec Tripoli, assurant Al Sarraj et le GNA de son «plein soutien», saluant opportunément sa décision «de faire appel à l’aide internationale qui se traduit notamment par des frappes américaines sur des cibles terroristes à Syrte». L’incident de cette «ingérence inacceptable» semble clos mais la menace de l’EI reste, quant à elle, inquiétante dans une Libye toujours livrée aux milices armées et minée par les luttes de pouvoir et les violences dont se nourrit le groupe terroriste.