Rencontres cinématographiques de Béjaïa 2019 : Musique constantinoise, huis clos et paroles féminines à l’affiche

Rencontres cinématographiques de Béjaïa 2019 : Musique constantinoise, huis clos et paroles féminines à l’affiche

La 17e édition des Rencontres cinématographique de Béjaïa (RCB) s’est poursuivie, hier, avec la projection de six documentaires dédiés à la parole cinématographique féminine, fruit de la résidence de création de l’atelier de Timimoune, sous la direction de Habiba Djahnine, lors des projections en après-midi.

Quant à celles de la soirée, elles ont été marquées par la découverte de deux nouvelles œuvres en avant-première, en l’occurrence «Touiza», un court métrage du cinéaste Karim Bengana, et «Babylone Constantina », un long métrage de Sid-Ahmed Sémiane, projetés à la Cinémathèque de Béjaïa. «Deux projets, deux sensibilités et deux thématiques que rien ne rapproche à première vue, mais qui, paradoxalement, se rencontrent et se complètent dans leur objectif visant à rendre compte des difficultés de la vie, de la détresse humaine mais aussi des espoirs qui peuvent en surgir », souligne l’APS. Ainsi, les deux trames ont ce point commun, également, de se tisser sur un sujet partagé, le terrorisme. Bengana en fait un élément central de son œuvre et Semiane, une référence de second plan. Touiza signifie en berbère solidarité. Mais dans le film, paradoxalement, il exprime l’idée contraire. Il met en scène deux personnes qui vivent ensemble mais qui ne se parlent pas. « Quand l’entraide n’est pas là, on est dans la violence », selon l’explication du réalisateur, rapportée par l’APS. Il grossit les traits en faisant évoluer ses deux héroïnes, une bourgeoise post-indépendance et sa domestique, dans un espace fermé, un vase clos, qui rend leur contact encore plus pénible. L’une et l’autre ont perdu le goût de la vie. Yasmine se réfugie dans la religion et sa patronne ne tire ses semblants de joies qu’en bichonnant sa chienne comme un bébé   envers qui elle a transféré tout son intérêt et son affection. De fil en aiguille, la domestique verse dans l’activité terroriste et finit par s’exploser sur une place publique, alors que sa patronne, par désespoir, en vient à tuer sa chienne.
Une chute terrible, voulue expressément par Bengana pour symboliser autant l’enfermement du pays durant la décennie noire que les silences qui se sont imposés alors à une large partie de la population, ostensiblement gagnée par la méfiance entre ses différentes parties.

Au coeur du jazz et du malouf constantinois
Pour Sid Ahmed Semiane, en revanche, le terrorisme, s’il a produit des drames, il n’en a pas pourtant inhibé ou bridé les rêves. Malgré les attentats et la peur, les populations ont trouvé l’énergie et les ressorts adéquats à chaque épreuve pour rebondir ou continuer tout simplement à vivre. Et quoi de mieux pour le faire que de s’embarquer dans un projet musical euphorique. Exploitant le tenue du Festival international de djazz, organisé en 2000 à Tabarka, en Tunisie, puis ramené et dupliqué à Constantine, il en profite pour filmer toutes les coulisses de l’organisation, la fièvre des artistes en répétition et leur engagement à sublimer leur art. Pour réussir son pari, Sid Ahmed Semiane a sorti les grands moyens et convoqué pour s’y produire des valeurs sûres et des artistes universels hors pairs.
Alpha Blondy, Stéphane Gaillairdo, Karim Ziad, Billy Cobhane et tant d’autres stars, invitées du festival, ont été suivies pas à pas et sa caméra à capturé leurs meilleurs passages, leurs moments de détente et leur état d’esprit. Une prouesse.
Naturellement, il n’y avait pas que les vedettes.
Tout le cru et la fine fleur de Cirta était là aussi. Les rappeurs, El aissaoua, les maîtres du malouf, dont Raymond, le père fondateur, et surtout un inénarrable Aami Ahmed, gardien de ce patrimoine millénaire, et qui préservait des bandes sonores qui dataient de l’époque de  radio Constantine en prenant soin comme de la prunelle de ses yeux. «Un voyage de folie, qui allait d’une scène à une autre, d’un genre musical à un autre, le tout compilé dans une sensation d’unicité époustouflante. Toute la magie du film est là et, visiblement, Semiane pouvait se passer d’une composition dramatique. Car tout y est dit en musique et en poésie », estime l’APS.

Regards et luttes de femmes courage
Plus tôt dans l’après-midi, ce sont les luttes des femmes algériennes à travers la projection de six films documentaires et un sonore réalisés par sept femmes, issus d’un atelier de création de films documentaires à Timimoun sous la direction de Habiba Djahnine. Il s’agit de «E’ssitar » de Kahina Zina, « Bnet El Djeblia » de Awres Wiame, « Selon elle » de Kamila Ould Larbi, « Djamila Goulili, loukan mout, kif et tridi » de Kamila Ould Larbi, « Felfel lahmar » Gacem Saadia, « Nouba » de Sonia At Qasi-Kessi. Ces films documentaires, portant sur des questions liées à la vie des femmes en Algérie, notamment le code de la famille, l’omerta sur les viols des mineures, l’amnésie  sur le lourd tribut des femmes  qui se sont sacrifiées pour l’Algérie durant la guerre de libération, mais aussi dans la construction de l’Algérie indépendante, ont été organisés en novembre 2017 par le Collectif Cinéma et Mémoire et Kaïna Cinéma. Ils ont nécessité plus d’un an et demi de formation depuis l’écriture du scénario jusqu’au montage final en passant par la réalisation. Projetés une première fois au mois de juin passé à la Cinémathèque d’Alger, ils avaient suscité un long échange avec les réalisatrices ovationnées par une salle archicomble. A Béjaïa, la projection de ces courts-métrages  a suscité autant d’engouement et  nourri les débats dont  une partie a été diffusée sur la page officielle des 17e  RCB.
L’un des moments les plus poignants des débats, qui ont suivi la projection, est le témoignage de la réalisatrice Kahina Zina qui, à la fin de son court-métrage, témoigne du viol qu’elle a subi étant enfant. Elle confie avec une voix pétrie de détermination que «nous avons longuement travaillé sur la pudeur. C’est très difficile de parler de sa condition. J’étais tétanisée à l’idée de sortir toutes ces choses de mes tripes, mais je me suis rendue compte que c’était nécessaire. Filmer le réel permet de faire avancer la cause et, pour moi, de faire mon deuil ».