REPORTAGE. Incendies en Kabylie : voyage au bout de l’enfer

REPORTAGE. Incendies en Kabylie : voyage au bout de l’enfer

« Le fléau n’est pas à la mesure de l’homme, on se dit donc que le fléau est irréel, c’est un mauvais rêve qui va passer. Mais il ne passe pas toujours et, de mauvais rêve en mauvais rêve, ce sont les hommes qui passent, et les humanistes en premier, parce qu’ils n’ont pas pris leurs précautions ».

Albert Camus, La Peste.

Dans les grandes catastrophes, on fait toujours face à une part d’abstraction et d’irréalité. Mais quand cet irréel, cette abstraction, se personnifient et se mettent à vous tuer, il faut commencer à s’en occuper plus sérieusement, pensait encore Albert Camus. Ce raisonnement s’applique à l’Algérie, qui fait face aux incendies chaque année, mais qui n’a apparemment tiré aucune leçon des expériences précédentes. Encore des civils, des militaires ainsi que des pompiers, ont été jetés, démunis, sans appui, pour faire face, seuls, à un véritable enfer. Cette fois-ci, il y a eu mort d’hommes. Serait-ce le déclic ? Ou bien seulement le début d’une descente aux enfers ?

Un vent de malheur

Des nuits d’horreur ont été vécues par beaucoup de citoyens dans plusieurs régions du pays, notamment en haute Kabylie, ou les flammes ont conquis les forêts, les villages et les villes, brûlant tout sur leur passage, les arbres et les maisons, et ôtant la vie à bien des hommes et des femmes.

Le ciel s’est assombri ce jour-là d’un épais nuage noir et menaçant, qui le jour cachait, et la nuit faisait flamboyer un ou plusieurs bûchers meurtriers. Des vents de malheur soufflaient, et transportaient des braises criminelles, alimentant ainsi, pendant des heures interminables, les feux de forêts, mais aussi les craintes et les angoisses des habitants. On pouvait apercevoir, tard la nuit, l’apocalypse, brillante d’effarement, nichée dans les pupilles des enfants.

Les images sont choquantes, insoutenables. À Larba Nath Irathen, Ath Yenni, Michelet, Ath Ouacif, et dans d’autres localités, les cris des femmes se mêlaient aux craquements des oliviers en feu, les sirènes des pompiers et des ambulances, quant à elles, ne trouvaient pour seul écho que les appels des villageois qui se sont reconvertis en véritables soldats du feu. En un clin d’œil, les flammes passent de la menace au pillage, et de la terreur au meurtre. Ce sont certes des nuits infernales, mais même au milieu de l’enfer, l’espoir pouvait encore renaître.

Le cauchemar aurait pu être pire

Dans la nuit du 9 août, à Ath Ouacif, les hauts parleurs lançaient des appels confus et incompréhensibles qui se mélangeaient aux rafales des vents et aux sirènes des pompiers. Les citoyens de la ville ont pu cependant desceller une note de panique. Il s’agit en effet d’un appel à l’aide. Leurs frères dans les villages touchés par les incendies ont besoin, entre autres, d’être évacués.

En un clin d’œil, des cortèges de véhicules se sont constitués. Des familles entières ont été sauvées des flammes. Elles ont été ensuite logées, dans l’urgence, dans les mosquées, à la maison de jeunes et dans l’enceinte d’un centre de formation. Mais cela n’avait pas suffi. Les citoyens ont donc ouvert leurs portes à leurs frères réfugiés.

Outre ceux des Ouacifs, de LNI, de Michelet, ou de Ath Yenni, les jeunes de toute la Kabylie se sont Mobilisés comme un seul homme pour faire face au drame. Les villages kabyles ravagés par les flammes deviennent, en peu de temps, l’arène d’une bataille sans fin, dont les héros sont, sans aucun doute, les citoyens du village lui-même, mais aussi des volontaires étrangers, qui se sont spécialement déplacés, munis de matériel rudimentaire, pour prêter main forte aux habitants.

Armés seulement de pelles, de haches, de courage, de volonté et, dans le meilleur des cas, de citernes d’eau, ces jeunes ont pu sauver des villages entiers des flammes, et des centaines de vies humaines d’une mort certaine. Grâce à eux aussi, les éléments de la protection civile, dépassés par le nombre et l’ampleur des incendies, ont pu retrouver leur détermination et reprendre un peu leur souffle.

Des visages noircis par les cendres se faufilaient dans la fumée, coupant une branche ou abattant un tronc en feu par ci, éteignant à coup de pelle un lopin de terre enflammé par là, ou bien, si par chance une citerne d’eau arrive enfin, tous se disputaient un mince tuyau pour s’aventurer plus près des grandes flammes. Les moyens sont dérisoires, les pompiers sont dépassés, l’eau coupée, et le matériel manquait cruellement. Cependant, le courage et la détermination étaient là, et ils ont pu, à maintes reprises, mais hélas pas toujours et partout, venir à bout des flammes infernales avant qu’il y eût des victimes.

Une mobilisation nationale

Le lendemain du drame, sur les routes sinueuses qui mènent aux villages kabyles sinistrés, des véhicules, dont les matricules revoient à la capitale Alger, à Boumerdes, à Bouira, mais aussi a Djelfa, à Bordj Nous Arreridj, traçaient leurs chemins dans la fumée qui émanait des forêts encore en feu. Chargés principalement d’eau et de nourriture, ces convois de solidarité sont seulement la partie saillante d’une campagne de mobilisation d’ampleur nationale. Des couvertures, des médicaments, des vêtements ainsi que de l’argent, ont été collectés en un temps record.

Dans la capitale Alger notamment, de Hydra à Bab L’oued, les Algérois se sont montrés hautement solidaires avec leurs voisins en Kabylie. Des collectifs se sont instantanément formés, traçant ainsi la voie pour que fuse la générosité de citoyens.

Tard la nuit, dans le noir alimenté par l’absence de l’électricité, les sinistrés pouvaient apercevoir de loin, sur la route de Tikjda, reliant les villages de Bouira a ceux de Tizi Ouzou, les phares des véhicules solidaires qui ne cessaient de former des cortèges interminables de générosité. Les portes des maisons des Bouiris ont été également ouvertes pour accueillir les familles sinistrées des Ouacifs et des Ath Yenni. Des citernes d’eau et des aides innombrables ont également été envoyées. La route de Tikjda a été le témoin d’une mobilisation salutaire qui souligne le caractère fraternel qui lie les citoyens.

Les réseaux sociaux sont devenus quant à eux des véritables réseaux d’aide aux régions touchées par les incendies, se transformant sur le terrain, et naturellement, en des semi-remorques, des camions, des camionnettes, des tracteurs, ainsi que de plus petits véhicules, qui ont formé des interminables convois de denrées alimentaires, de matériel de lutte contre les incendies, ainsi que de couverture et de vêtements. Ces cortèges, émanant de plusieurs wilayas, ont déjà pris la route vers les régions sinistrées. Le peuple algérien fait encore preuve d’humanisme, et fait face à la crise comme un seul homme.

La mobilisation, et bien que saluée de partout, manque encore d’organisation, il faut hélas le souligner. En Algérie, il devient salutaire d’apprendre à coordonner, et certains l’ont vite compris, en témoignent des groupes sur les réseaux sociaux qui tentent de mettre un peu d’ordre dans l’acheminement des denrées aux victimes. Ce genre d’initiatives se doit d’être encouragé, et ce, afin de se préparer à de prochains moments difficiles, que l’on ne souhaite pas certes, mais contre lesquels on devrait se prémunir.

Un encadrement éviterait également des débordement dangeureux et regrettables. Comme celui ou le Jeune Djamel a perdu la vie. Ce crime atroce, cet assasinat lache et méprisable, ce lynchage qui ne peut faire honneur qu’à des betes enragées, ne pourra, en aucun cas, effacer l’humanisme dont a fait preuve tout le peuple algérien. Ceci dit, il s’agit d’un « traumatisme national », que tous regrettons, mais avec lequel nous devons tous tristement vivre.

L’hécatombe.

« On dirait qu’ils pleurent », a lancé un vieil homme qui écoutait ses oliviers centenaires pousser des craquements alors qu’ils étaient entrain d’être dévorés par les flammes. Impuissant, dans ses yeux se lisait le désespoir. Une partie de lui mourait avec ces arbres robustes et emblématiques. Plus 3 000 hectares de tissus forestiers ont été réduits en cendres. Un massacre qui a mis à nu l’impuissance des services compétents.

Si certains pleurent leurs oliviers, beaucoup, hélas, enterrent leurs morts. Qui aurait pensé que cela pourrait bien arriver un jour ? Mourir encerclé par les flammes est une image que la raison ne peut accepter facilement. Pourtant, cela est bel et bien arrivé. Plus de 75 personnes ont perdu la vie dans ces incendies. Une hécatombe qui aurait pu être évitée.

Les parents et proches des victimes sont inconsolables. Rien, ni la mobilisation citoyenne, ni le retour au calme, ni encore moins le deuil national ne pourrait leur rendre ceux qui leur sont chers. Bien plus que du chagrin, c’est un véritable volcan de haine qui les habite. Une seule question les hante désormais. À qui la faute ?

Des incendies aux quatre coins du globe

Il n’y a pas de doute. L’Algérie manque de moyens. Nos forêts, et même nos vies ne sont plus à l’abri des incendies. Ces derniers se sont déclarés dans plusieurs pays, mais aucun de ces derniers ne déplore autant de morts que l’Algérie. Ceci dit, ces incidents, d’origine criminelle soient-ils ou bien naturelle, ont le mérite d’attirer notre attention sur un phénomène qui menace désormais notre avenir et celui de nos enfants. Le réchauffement climatique.

Tout comme la forêt de Yakouren, la forêt amazonienne a été conquise par les flammes ces derniers jours. La fumée a pu atteindre le pôle nord. Du jamais vu. La blancheur immaculée de la banquise prise d’assaut par les sombres nuages des feux ravageurs. Selon les spécialistes, la vitesse avec laquelle les choses évoluent est plus inquiétante que ce qui a été prédit par le pire des scénarios. Il est désormais du devoir de chacun de prendre cette question au sérieux. Les responsables de cet état de fait ne reculeront que sous une pression citoyenne d’ampleur mondiale.

Suite à un rapport très attendu, établi par des spécialistes des questions liées au réchauffement climatique, et publié il y a de cela trois jours seulement, le secrétaire général de l’ONU a confié qu’il s’agit d’un véritable « code rouge pour l’humanité ». La température à la surface du globe a augmenté de 1,09 °C au cours de la décennie 2011-2020 par rapport à la décennie 1850-1900. Les cinq dernières années ont été les plus chaudes jamais enregistrées depuis 1850. C’est un véritable règne du feu qui menace désormais nos habitudes pas toujours saines et réfléchies.