Les travailleurs sont convaincus que la relance de leur entreprise n’arrange pas certains milieux qui font tout pour déstructurer davantage l’entreprise.
Le débrayage de huit jours des cheminots n’a pas été vain. Ils ont obtenu gain de cause.
La page est tournée. Mais l’est-elle définitivement ? Nos différents entretiens et discussions avec de nombreux travailleurs à la SNTF, tout au long des huit jours de tension, nous ont donné des éléments de réponses.
Si les mouvements de contestation sont liés uniquement au salaire et autres indemnités et que l’engagement d’y remédier a mis fin à la tension, il est fort à parier que la paralysie du trafic ferroviaire relèvera désormais du passé.
Cependant si ce même cheminot se soucie également, sinon beaucoup plus, du devenir de son outil de travail, nous pouvons dire qu’une nouvelle menace de grève n’est pas à écarter.
Il est vrai que la contestation des travailleurs de la voie ferrée a éclaté pour des raisons salariales. Mais le débrayage a fait remonter en surface ce qui se cachait sous les rails.
La SNTF était mise à nu. Les cheminots qui en avaient gros sur le cœur ont profité du débrayage pour tout dévoiler.
Tous avaient une histoire à raconter. Les mêmes histoires revenaient d’un cheminot à l’autre, et ce, quelle que soit la wilaya où il exerce.
Au début de la grève, on se demandait d’où puisaient les cheminots toute cette énergie à mener leur combat jusqu’au bout faisant fi d’une décision de justice et d’un appel à la reprise de la DG de l’entreprise et du SG de la Centrale syndicale.
Mais au fil des jours et des révélations, nous avons compris que le jusqu’au-boutisme des cheminots s’expliquent par l’accumulation de nombreuses difficultés depuis de longues années.
Quand les cheminots parlent de l’amour du métier des innombrables problèmes, injustice et pression auxquels ils font face, toutes les précédentes questions se dissipent pour ne laisser place qu’à une seule : comment font-ils pour supporter cette situation ?
Un déficit prémédité et planifié
L’entreprise est déficitaire et ne peut supporter les dépenses financières liées à la revendication salariale. C’est l’argument tant ressassé par les responsables de la DG de la SNTF pour signifier une fin de non-recevoir aux grévistes. Argument fallacieux, rétorquent les travailleurs.
Même si l’entreprise souffre d’une santé financière fragile, la question qui se pose est de savoir à qui incombe la responsabilité du déficit de la SNTF ? Les cheminots répondent tout de go : “C’est la gestion catastrophique des responsables qui enfonce la SNTF.” Les cheminots refusent de payer les frais d’un “déficit prémédité et planifié”.
Selon les travailleurs, “les responsables de l’entreprise ne font rien pour la redresser”. Ils en veulent pour preuve les innombrables et inutiles dépenses colossales engagées.
Ils citent entre autres le recours à des entreprises privées pour assurer des prestations “à des frais exorbitants”.
Des prestations que la SNTF avait toujours prises en charge au niveau de l’entreprise à des coûts beaucoup plus bas.
C’est le cas pour le transport du personnel, la maintenance des équipements, l’entretien des rails tel que l’arrachage des herbes qui provoquent des déraillements. Le transport du personnel par un privé coûte, à lui seul, près de 5 milliards par an. Les langues se délient. Des cheminots parlent de certains ex-cadres dirigeants de la SNTF ayant créé leurs propres filiales et qui proposent leurs services à l’ex-employeur qui ne les refuse guère en dépit de leurs coûts élevés.
Le transport de marchandises cassé par les propriétaires de camions
Les responsables de la SNTF axent leur politique de redressement du rail sur le transport des usagers au détriment de celui de la marchandise qui pourrait générer des entrées d’argent assez conséquentes. C’est ce qui est prévu d’ailleurs dans le plan de redressement approuvé par les pouvoirs publics.
Cependant, à en croire les travailleurs, rien n’est fait dans ce sens. Mis à part trois ou quatre conventions avec l’OAIC, ArcelorMittal et Pherphos, la SNTF ne courtise pas les entreprises en vue de leur proposer ses prestations.
La raison ? Casser le transport par rail en vue d’ouvrir la voie du transport routier à des barons qui ont investi dans ce créneau. Le phénomène est beaucoup plus perceptible du côté de l’est du pays et des régions qui souffrent de trafic de carburant, confient les cheminots venus de l’est et l’ouest du pays.
“Les camions-citernes transportant du carburant et les semi-remorques chargés de diverses marchandises pullulent sur nos routes provoquant des embouteillages monstres et détruisant les chaussées”, révèle un cheminot d’Annaba.
Et de poursuivre : “C’est ce qui explique le fait que les lignes minières ne connaissent pas un grand trafic, alors que le transport par rail est plus rapide, plus économique et plus écologique.”
L’autorail pour meubler les gares
Annoncé en grande pompe, l’autorail qui a nécessité des milliards de dinars est loin de connaître un trafic énorme. “La plupart des lignes desservies ne connaissent pas le grand flux espéré à l’inauguration. Des autorails font de longs trajets avec pas plus de cinq voyageurs en locomotive”, témoignent plusieurs conducteurs.
Question : pourquoi boude-t-on l’autorail pourtant plus rapide et plus confortable ? La réponse ne se fait pas attendre : les tarifs appliqués ne sont pas à la portée de tous les usagers. 800 DA par personne est la somme que doit s’acquitter le voyageur optant pour l’autorail M’sila-Constantine. Il payera presque la moitié en prenant un autre moyen de locomotion.
Dans la même foulée, les cheminots révéleront que pas moins de 95% des trains circulant notamment en banlieue ne sont pas contrôlés et beaucoup d’abonnements gratuits sont offerts à des organismes qui peuvent s’en acquitter.
Les révélations des cheminots se résument en quelque sorte à des critiques sur les dépenses qu’ils considèrent faramineuses et inutiles pour la SNTF et qui sont beaucoup plus importantes que les recettes de l’entreprise.
La relance du transport ferroviaire dérange des intérêts occultes de certains cercles fortunés qui ne cessent de mettre des bâtons dans les rails pour empêcher le développement de la SNTF. Qui s’en soucie ?
MALIKA BEN