Ronan Kerdreux, urbaniste et designer au Temps d’Algérie : «L’objet n’a pas d’intérêt en soi»

Ronan Kerdreux, urbaniste et designer au Temps d’Algérie : «L’objet n’a pas d’intérêt en soi»

Ronan Kerdreux est urbaniste et designer. Il est cette semaine l’hôte  de l’école nationale des beaux arts, à l’occasion d’une résidence artistique créée avec la collaboration de l’agence algérienne pour le rayonnement culturel (AARC) et l’association marseillaise «Rivage». Ronan Kerdreux est intervenu avant-hier sur le thème «Les musées entre expérience et spectacle». Cette expérience, il l’a partagée avec un public d’étudiants très nombreux. Il en parle.

Le temps d’Algérie : C’est la première fois que vous venez à Alger. Avez-vous une idée sur les scénographies des musées d’Alger ?

Ronan Kerdreux : oui, effectivement, c’est la premiere fois que je viens à Alger. Pour l’idée, pas encore.  J’espère bien en avoir une d’ici deux ou trois jours, le temps de mon séjour à Alger.  Mais à titre de culture personnelle, je ne les connais que par images intermédiaires.

Quelle est pour vous, la meilleure des scénographies ?

Il y a plusieurs situations. Dans un musée d’art que ce soit de l’art classique ou moderne ou encore contemporain, je crois que la meilleure scénographie est celle où l’on ne voit pas que le scénographe est passé. Parce que tout va tellement bien que l’on ne voit pas de dispositif qui mette en avant une œuvre plutôt qu’une autre qui rentrerait en concurrence avec des œuvres. On a eu dans les années 1980, notamment en Allemagne, la construction de beaucoup de musées d’art moderne et contemporain. Il y avait une vraie compétition entre le travail des architectes et celui des artistes.  Je pense que cela est une très mauvaise chose. Le musée doit être au service des œuvres. J’ai parlé dans mon intervention des musées de société, d’histoires naturelles, archéologiques, des civilisations, c’est un petit peu différent parce qu’il est nécessaire de comprendre la vie qu’il y avait autour des objets, des ruines…

C’est là où vous avez introduit la notion de la perception augmentée de la réalité. Peut-on en savoir plus ?

Oui, ça fait partie justement de ces choses-là.  Il faut montrer un vestige archéologique mais il faut montrer aussi la vie qu’il y avait autour de ce vestige. La vie des gens, les bruits, les sons, les habitudes, les pratiques, les rencontres, … c’est très important.

Concrètement dans une scénographie, comment  cela se matérialise ?

La scénographie est un métier qui va de la construction des murs jusqu’à la couleur que l’on met sur ces murs  et jusqu’à la façon de montrer tel texte ou tel élément qui identifie l’objet montré, le tableau, la sculpture, en passant par la lumière. Si tout est bien fait, tout va de soi. La visite est juste agréable, claire, compréhensible et bien rythmée. La déambulation est donc aérée, il n’y a pas d’embouteillage de gens… il n’y a pas d’objet bien ou moins bien éclairé. En somme, si tout se passe bien, tout semble naturel.

D’après vous, devrait-on aujourd’hui se passer de certains supports de cartels ou autres dans le genre ?

Pour les besoins de ma démonstration, j’ai exagéré un tout petit peu. Mais pour moi oui, je rêve de musée où il n’y en est pas besoin. De cartel, de lire,  mais il y aurait plus d’œuvres à voir. Et par des moyens que je décide moi, visiteur, j’entends et pas en tant que scénographe, je peux accéder au titre d’une œuvre, d’une sculpture… mais également à ce que pense le conservateur et quand et pourquoi il a décidé de montrer celui-ci et pas un autre. Cela m’importe beaucoup dans une exposition. Un musée, une exposition d’art, n’est pas juste une liste d’objets d’art. C’est un projet de la part du conservateur ou du commissaire d’exposition.

Cela entraîne-t-il un coût dans la conception de l’exposition ? Notamment par rapport aux outils numériques que vous avez présentés comme le RFID, le Code 2D…

J’ai essayé de montrer dans mon intervention qu’il y a des choses  très coûteuses et d’autres pas du tout. Peut-être que je n’ai pas été très convaincant mais lorsque j’ai évoqué des QR codes, des 2D, … ce sont des choses  que l’on peut vraiment faire avec très peu d’argent. Relativement facile à faire. Il faut que les clients aient des smartphones. J’ai eu, en effet, ce petit problème en France d’ailleurs, dans un endroit où les gens en avaient très peu.  Mais il est possible d’avoir plein de choses très peu chères.  La RFID est une technique qui permet de repérer par exemple la langue maternelle du visiteur. Et faire en sorte que le musée, lui, parle la langue du visiteur, ça c’est relativement cher.

L’élément humain dans l’univers muséal sera-t-il remplacé par les technologies numériques ? Bientôt aussi, le visiteur n’aura plus à se déplacer dans un musée pour visiter une expo…

Non au contraire, je pense qu’il devrait être au centre de l’affaire. Mais oui, c’est vrai, il y a un projet Google que je n’aime pas du tout personnellement et qui nous montre tous les musées dans le monde réunis sur internet. Mais cela ne remplace jamais l’expérience physique, réelle. J’ai surtout parlé des visites individuelles et familiales parce que d’une certaine manière quand il y a un guide conférencier par exemple, quelqu’un qui accompagne le groupe, c’est beaucoup moins compliqué. Il y a moins de problèmes. Lui-même a l’information sur l’interprétation du tableau, sur le projet du conservateur… qu’il peut retranscrire et adapter aux personnes qu’il accompagne en fonction de la demande, de leur origine et des questions qui lui sont posées.