La visite programmée du prince héritier saoudien en Algérie, Mohamed Ben Salmane, n’est pas bien vue par les journalistes, après l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi dans un consulat saoudien à Istanbul.
Ils la dénoncent. Première à écrire un éditorial sur le sujet, la directrice du journal El Fadjr, Hadda Hazem, qui estime qu’il est de “notre devoir, en tant qu’Algériens, de nous opposer à la venue de Mohamed Ben Salmane”. “Après avoir été absous par Trump de tous les crimes depuis sa désignation comme prince héritier, qu’allons-nous gagner de cette visite ? Pour exécuter un ordre de Donald Trump et en protection des intérêts d’Israël, il (MBS) a fait baisser le prix du baril du pétrole de 82 à 52 dollars”, a écrit la journaliste. “Vous n’êtes pas le bienvenu, ô Ben Salmane !”, écrit-elle. La même radicalité a été partagée par le journaliste et écrivain Kamel Daoud qui a écrit sur Twitter que “Mohamed Ben Salmane est un assassin et celui qui va lui serrer la main à Alger sera son complice. Près de cent journalistes ont été tués en Algérie durant les années 90. Le 6 décembre, le prince viendra cracher sur leurs tombes”.
Pour Hamid Ghoumrassa, journaliste au quotidien arabophone El Khabar, la visite de Mohamed Ben Salmane aurait “été normale” sans l’assassinat du journaliste saoudien. Mais après cette affaire, “je suis contre sa venue malgré les tentatives du gouvernement algérien de blanchir” ce crime. L’avis est partagé par Zine Cherfaoui, le chef du service international du journal El Watan. “Avant l’éclatement de l’affaire Khashoggi, rappelle le journaliste, le discours de Mohamed Ben Salmane sur l’islamisme le rendait intéressant pour l’Algérie qui a payé le prix fort dans sa lutte contre le terrorisme. Mais avec l’affaire de l’assassinat du journaliste saoudien, son image est ternie, surtout s’il se confirme qu’il en est l’ordonnateur”. “Il devient, dès lors, un invité encombrant. Surtout que les journalistes algériens avaient payé de leur vie durant les années 1990”, indique Cherfaoui qui rappelle, néanmoins, que l’Algérie a déjà reçu des dirigeants dont les mains sont tachées de sang.
La visite du prince héritier entre dans le cadre de “son blanchiment, dans le monde arabe du moins, des suspicions qui l’accablent dans l’assassinat de Jamal Khashoggi”, fait remarquer Adlène Meddi, journaliste. “Sommes-nous en train de participer à cette opération de blanchiment ? Apparemment, c’est le cas si l’on se réfère à l’incongruité et au timing tardif du communiqué des AE concernant le crime contre le journaliste”, a-t-il ajouté. Un avis partagé par le chef de la rubrique internationale de Liberté, Lyès Menacer. “La venue de Ben Salmane en Algérie, alors que tous les soupçons pèsent sur lui dans l’assassinat de Jamal Khashoggi est une insulte à la mémoire de tous les journalistes emprisonnés ou assassinés pour avoir dénoncé les régimes totalitaires dans cette sphère qu’on appelle monde arabe et dont fait partie notre pays”, note le journaliste.
En plus des journalistes, une pétition est lancée sur les réseaux sociaux pour s’opposer à la venue du prince héritier saoudien. Des organisations de défense des droits de l’Homme, à l’image de l’une des ailes de la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme (Laddh), ont également dénoncé cette visite. Même des hommes politiques, notamment ceux issus de l’opposition, ont exprimé publiquement leur refus de voir le fils du roi Salmane fouler le sol algérien.
Ali Boukhlef