“Celles et ceux qui rejettent la phase de transition au profit de l’élection présidentielle sont la feuille de vigne des turpitudes de l’état-major”, a estimé Saïd Sadi, samedi, dans une conférence animée à Montréal (Canada).
Dans une salle archicomble où l’on pouvait distinguer beaucoup de cadres, notamment des femmes et des jeunes, l’ancien président du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) n’a pas mâché ses mots pour dénoncer la contre-révolution “managée” par le pouvoir de fait, non sans livrer son analyse sur la révolution du 22 février avec toujours la pédagogie qui caractérise ses interventions publiques. “Toutes les annonces lancées avec la bénédiction de l’état-major réfutent la transition préparant le changement pour aller vers une élection présidentielle avec les prérogatives constitutionnelles actuelles, ce qui revient à désigner un nouveau dictateur”, a martelé le conférencier, saluant au passage le refus de la rue de céder sur l’avènement d’un État civil, un rêve des pères fondateurs de la Révolution du 1er Novembre 1954. Pour lui, l’histoire bégaie.
“Quand des affidés autoproclamés ‘représentants de la société civile’ condamnent la transition démocratique pour appliquer la feuille de route des militaires qui veut régénérer le système par une présidentielle qui a vocation à désigner un autre potentat, je revois les organisations de masse du FLN lancées derrière nos revendications pour en déformer la nature et la portée”, a-t-il dénoncé. La révolution en cours aura à affronter les mêmes problèmes qui ont fait avorter le projet démocratique de la Soummam renié en 1957 au Caire, a anticipé l’orateur, pour qui c’est le même courant militaro-populiste et quasiment les mêmes soutiens extérieurs qui “étaient en opposition de l’État soummamien qui sont vent debout contre la révolution démocratique de 2019”, avant d’oser ce questionnement : “La révolution de 2019 est-elle un moment orphelin dans notre Histoire ou est-elle la résonance de ses rêves étouffés ?” Pour étayer son propos, Sadi a rappelé cette image de la sœur de Larbi Ben M’hidi manifestant dans les rues d’Alger avec cette pancarte qui résume l’impasse historique algérienne : “Retour à la Soummam.
Primauté du politique sur le militaire”. Une revendication phare qui fédère tout le peuple algérien. “Depuis maintenant cinq mois, les Algériens (…) manifestent pacifiquement pour exiger un État civil et non militaire avec comme préalable le départ du système qui sévit depuis 1962”, a-t-il ajouté, précisant que ce rejet, “préalable à toute solution, est inlassablement martelé par un vigoureux et constant ‘Système dégage’.” Pour l’ancien leader de l’opposition démocratique, s’il y a une leçon à tirer de la révolution du 22 février, c’est qu’“un peuple qui honore sa mémoire ne sort jamais de l’Histoire”. D’où cette conviction chevillée au corps chez Saïd Sadi que la révolution du 22 février n’est pas tombée du ciel.
“Elle est la résonance massive et nationale des audaces de 1949, de la ferveur de 1954, de la vision républicaine de 1956, de l’insoumission de 1963, de l’innovation d’Avril 1980, du cri d’Octobre de 1988, du sacrifice de 2001 et tous les murmures des humbles trop faibles pour se faire voir mais trop fiers pour renoncer”, a conclu l’invité du Congrès des Kabyles du Canada (CKC).
Sadi salue la position d’Ottawa
Profitant de son passage dans le pays de l’Érable, Saïd Sadi a salué la position du Canada relative à la révolution du sourire.
“Mon remerciement s’adresse aux autorités canadiennes qui ont été les seules à délivrer un message de soutien à la révolution que mène le peuple algérien”, a soutenu le Dr Sadi pour qui la position d’Ottawa ne fait que prolonger “une vieille tradition de solidarité avec les causes justes inaugurée par René Lévesque pendant la guerre de Libération nationale”. L’étendue du territoire, la composante sociologique et les ressources premières du Canada ne sont pas sans rappeler la physionomie et le potentiel algériens. Ce qui a suscité un intérêt et une réflexion chez la génération d’Avril 1980 soucieuse, selon l’intervenant, d’avoir d’autres repères que le modèle jacobin français. Et à Sadi de conclure : “C’est la refondation nationale qui est posée par la révolution du 22 février.” Saïd Sadi devait animer, hier, à Ottawa, une seconde conférence sur les perspectives de l’insurrection citoyenne.
Salah Amrane