Liberté : Le feuilleton des dégâts causés par les précipitations saisonières ne semble pas prendre fin à Tamanrassat qui a vécu encore une tragédie la semaine dernière. Les pouvoirs publics
doivent se pencher sérieusement sur la question pour en finir avec la politique du bricolage adoptée dans la réalisation de plusieurs projets. Qu’en pensez-vous ?
Saliha Benmessaoud : Les dernières crues qu’a connues la ville de Tamanrasset ont permis de mettre à nu un problème majeur lié à la planification de l’urbanisation de la ville de Tamanrasset. Les dégâts occasionnés ont permis de révéler de véritables lacunes dans ce sens.
Il est certainement clair que les pouvoirs publics doivent mettre en œuvre les moyens techniques de réflexion afin de repenser les projets urbains et architecturaux projetés pour les années à venir. L’État engage régulièrement des études d’élaboration et de mise à jour du Pdau (plan directeur d’aménagement et d’urbanisme) dont les orientations et recommandations doivent préciser clairement les zones urbanisables et celles non urbanisables ainsi que les vocations de chaque zone. Cependant, au moment de la réalisation des projets, la majorité des administrations ne se réfèrent pas à cet instrument d’urbanisme important et procèdent — dans une approche très souvent précipitée — au choix des assiettes de terrain aléatoirement et sans prise en compte des directives dictées par le Pdau. Il faut aussi préciser que l’urbanisation de la ville de Tamanrasset a connu une forte accélération depuis les deux dernières décennies et l’on n’a malheureusement pas accordé le temps et l’importance nécessaires aux études d’urbanisme qui devaient déterminer les zones à urbaniser, les zones tampons aux abords des deux grands oueds qui traversent la ville, à savoir oued Tamanrasset et oued Sersouf ainsi que les prescriptions techniques spécifiques à des réalisations devant se situer dans ce périmètre.
L’architecture de la ville ne répond plus aux normes eu égard aux pertes enregistrées notamment sur les bâtisses érigées aux abords des oueds. À qui incombe la responsabilité à votre avis ?
Le constat est amer, l’architecture de la ville de Tamanrasset est agonisante, elle tend à disparaître au vu de l’approche adoptée par les différents acteurs du secteur.
D’abord, il y a une véritable déperdition des éléments constitutifs du patrimoine architectural de la ville. C’est-à-dire que non seulement on n’a pas introduit la dimension patrimoniale dans certains projets urbains et architecturaux qui devaient s’inscrire dans une approche patrimoniale fortement exprimée, sans pour autant s’abstenir d’innovation et de création contemporaine. Mais en plus, nous avons détruit de grands symboles et tissus patrimoniaux de la ville. La responsabilité incombe à tous les acteurs, aussi bien l’administration que les architectes. Certes les bureaux d’études d’architecture subissent une forte pression de la part de l’administration, dans le sens où les temps accordés aux études sont toujours très restreints, l’intervention des architectes est devenue une simple procédure formelle et les architectes sont souvent confrontés à des dispositions administratives et financières qui contraignent la réflexion et l’innovation.
Cependant, cela n’exclut pas la grande responsabilité des architectes, qui, aujourd’hui, doivent revoir leur façon de faire, améliorer la qualité de leurs prestations et exiger une bien meilleure considération de leur tâche, car partie prenante du développement de la ville. Les dégâts des dernières crues ont également dévoilé la médiocrité de l’exécution de certains projets, et là je souligne les grandes défaillances auxquelles nous faisons face en termes de qualification de la main-d’œuvre sur les chantiers. La majorité des entreprises exerçant à Tamanrasset manquent de personnel qualifié. Plusieurs facteurs sont responsables de ce fait dont la formation dans ces domaines qui visiblement peinent à attirer nos jeunes et bien d’autres facteurs administratifs et financiers auxquels font face les entreprises locales.
Les compétences locales sont-elles consultées ou associées aux projets réalisés localement ?
Nous sommes dans un contexte où l’Ordre des architectes ne jouit pas totalement de ses prérogatives notamment dans le domaine de la planification. L’Ordre n’est jamais consulté dans les études de planification et de programmation des projets urbains et architecturaux.
Avec un groupe de confrères, nous avions d’ailleurs travaillé sur plusieurs projets d’aménagement de secteurs urbains et soumis nos propositions à certaines administrations qui ne les ont pas retenues.
En votre qualité d’architecte, membre de l’Ordre des architectes, quelles sont les mesures à entreprendre pour rendre à la ville son lustre d’antan et préserver ses valeurs patrimoniales plus que jamais menacées par la malfaçon qui a largement gagné du terrain dans l’Ahaggar ?
Ces malheureux dégâts devraient nous servir de leçon et nous amener à une concertation globale entre les différentes parties et composer une commission consultative dont l’objectif principal serait l’élaboration d’une stratégie de développement de la ville. Elle devrait être constituée de différents spécialistes, mais également de représentants de la société civile, conscients de la nécessité de l’implication de la population dans la gestion des différents aspects de la ville. Cette commission sera chargée de relever dans le détail, les déficiences constatées après les dégats et veiller à y remédier.