Séminaire au Parlement européen ,Les dérives du Printemps arabe, les islamistes et la démocratie

Séminaire au Parlement européen ,Les dérives du Printemps arabe, les islamistes et la démocratie

Quelle est la situation de la presse dans les pays arabes, particulièrement ceux sortis des dictatures au printemps 2011 ? L’influence des réseaux sociaux est-elle aussi forte dans la région, qui enregistre un faible taux de pénétration d’Internet ? C’est essentiellement autour de ces questions que s’est articulé le débat aux deux dernières journées du séminaire “Le Printemps arabe, deux ans après”, organisé au Parlement européen.

“Dans les pays où il y a eu le Printemps arabe, la démocratie n’a pas encore pris racine. Ils sont très éloignés de la démocratie et, donc, des médias libres.” C’est là l’analyse de Doris Pack, présidente du Comité pour la culture et l’éducation au PE. Elle a estimé que les journalistes subissent encore beaucoup de pression dans ces pays-là. En conséquence, leur liberté d’informer est entravée, tantôt frontalement, tantôt de manière plus pernicieuse. Une journaliste de Nile TV, Mona Sewilam, a justement témoigné de la pratique généralisée de la censure sous le régime de Mohamed Morsi. Elle a soutenu qu’au moment où des débats politiques sont interrompus lors des retransmissions en direct — “ce qui n’a jamais été fait auparavant”, a-t-elle précisé, des frères musulmans passent à l’antenne des chaînes de télévision publiques sans qu’ils soient programmés et sans une actualité particulière. Elle a parlé aussi de l’émergence de chaînes islamistes, dont une destinée exclusivement aux mounaqibate (femmes portant le tchador).

De fil en aiguille, l’on est arrivé à faire le procès de certains médias arabes, accusés d’œuvrer dans le sens de l’endoctrinement et de n’être que la voix de leurs maîtres. Al-Jazeera est spécialement mise à l’index pour un “traitement sélectif et péjoratif” de l’information. Ghada Oueiss d’Al-Jazeera Arabic Channel a défendu mordicus sa chaîne, en niant toute velléité de propagande nourrie par les propriétaires et les gestionnaires du groupe. Elle a certifié, en outre, qu’uniquement 5% des vidéos amateurs et des informations anonymes reçues via les réseaux sociaux sont diffusés à l’antenne après vérification. “La presse arabe ne doit pas se transformer en une presse de guerre après les révolutions”, a recommandé Khaled Bashir, un journaliste palestinien exerçant à El-Arabia. Lors de son intervention, il s’est attaqué aux Israéliens qui restreignent considérablement sa circulation et celle de ses confrères compatriotes. Entraîné par sa véhémence à raconter les nombreuses contraintes auxquelles ils sont confrontés dans l’exercice de leur métier, il a transgressé sur une autre problématique en disant que beaucoup de journalistes arabes ne savent pas d’où provient le financement des organes pour lesquels ils travaillent. Aussitôt, Mariedje Schaabe, une eurodéputée, a exprimé son indignation. “Le journaliste doit savoir qui paie son salaire”, a-t-elle dénoncé. Un journaliste de France Télévision a remis les pendules à l’heure en soutenant que du côté de la rive nord de la Méditerranée, des écarts aux bonnes pratiques du journalisme existent aussi. Il a raconté que des journalistes sont envoyés dans des zones en conflit, mais qu’on ne leur donne pas la possibilité de réaliser des reportages sur le terrain. “Ce qui compte, c’est de faire du direct. Souvent, les informations que nous devons donner sont transmises de Paris.” Édifiant.

Au troisième jour du séminaire, des bloggeurs ont exposé leurs expériences dans l’utilisation des réseaux sociaux (notamment facebook et Twitter) dans les révolutions arabes, mais aussi dans l’évolution de la situation depuis 2011. Shahira Amin, free-lance égyptienne, a attesté que c’est grâce à un tweet posté par la bloggeuse israélienne Ruth Eglash (participante elle-même au séminaire du PE) que son initiative d’interviewer le soldat israélien, Gilad Shalit, otage à Gaza de 2006 à 2011, a été comprise puis admise par l’opinion publique de son pays. Les témoignages se sont succédé, glorifiant les uns plus que les autres, le rôle des réseaux sociaux dans l’écriture de l’histoire de la Tunisie, de l’Égypte, de la Libye et autres États secoués par les troubles politiques et sécuritaires. Ce qui a naturellement fait réagir les journalistes. “Les bloggeurs ne peuvent pas se substituer aux journalistes, car ils ne sont pas du métier”, a martelé un journaliste français. Une de ses consœurs, venue d’Algérie, s’est demandée si l’on n’a pas amplifié démesurément le pouvoir des réseaux sociaux dans des pays où le taux de pénétration d’Internet est très faible. La veille, André Lange, chef du département de l’information sur les marchés et le financement à l’Observatoire européen de l’audiovisuel, a fourni, en la matière, des chiffres assez éloquents.

Dans le classement, le Liban se place en tête du peloton, alors que l’Algérie et la Libye sont à la traîne avec un taux de connexion des particuliers à Internet inférieur à 20%. Il a indiqué que dans les pays arabes, entre 10 et 20% de la population possèdent un compte facebook. Mohamed Mesrati, bloggeur libyen, a reconnu que, certes, peu de citoyens de son pays ont accès à un micro et, donc, à la Toile. “La majorité possède néanmoins des Smartphones. L’information est communiquée par les facebookers ou les utilisateurs de Twitter par Bluetooth.” Il a été relevé, par ailleurs, que les animateurs des réseaux sociaux sont anonymes, et donc source de rumeurs, parfois très dangereuse. Aucun contrôle ne s’exerce jusqu’alors sur ces canaux. “Il n’y a pas effectivement de législation européenne sur Internet”, a confirmé Doris Pack. Ce qui ouvre la voie à toutes les dérives et aux manipulations dès lors que les médias traditionnels s’approvisionnent, de plus en plus en informations, auprès de ces sources non identifiées.

S. H