Dans le cadre du 27e Salon International du Livre d’Alger (SILA), deux spécialistes de l’histoire coloniale, Malika Rahal et Hosni Kitouni, ont animé une conférence intitulée «Les historiens et la révélation des crimes coloniaux.»
Cette rencontre a permis de revisiter le passé colonial de l’Algérie et d’évaluer les efforts pour documenter les abus subis par la population algérienne pendant cette période.
Un travail de mémoire à travers les témoignages et archives
L’historienne Malika Rahal a mis en avant l’importance de documenter l’histoire coloniale algérienne par le biais de témoignages, notamment en recueillant les récits de familles de disparus.
Rahal a ainsi partagé son travail avec son collègue français Fabrice Riceputi, spécialiste des questions post-coloniales, dans le but de redonner voix aux victimes oubliées de cette époque sombre.
Ensemble, ils ont découvert dans les archives françaises des documents inédits et sous-exploités : des fiches remplies par les familles signalant les disparitions de leurs proches, enlevés par les parachutistes français durant la guerre d’indépendance.
Ces fiches détaillant des informations précises telles que le nom, la date et le lieu de l’enlèvement des disparus.
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Afin d’enrichir cette documentation, Rahal et Riceputi ont lancé un appel à témoins en ligne, encourageant les familles à partager leurs histoires. Cette initiative a rapidement généré une réponse massive, avec des centaines de lettres et témoignages.
En rassemblant ces données sur une plateforme numérique, les deux historiens créent une archive unique, offrant une perspective jusque-là absente dans les archives officielles.
« À partir de ces dossiers individuels, nous avons pu reconstituer une partie de l’histoire de cette période », souligne Malika Rahal, insistant sur l’urgence de collecter davantage de témoignages.
Définir la colonisation au-delà des crimes
Hosni Kitouni, chercheur et auteur, a apporté une réflexion complémentaire en critiquant la focalisation exclusive sur les crimes pour définir la colonisation.
Pour lui, réduire la colonisation à des massacres et à un génocide ne suffit pas. Selon Kitouni, « le concept de génocide, avec son caractère juridique, n’est pas rétroactif et ne peut pas s’appliquer à la colonisation. »
Il appelle les historiens à explorer l’impact plus large de la colonisation, notamment en matière de dépossession des terres, de déplacements forcés de populations, de transferts d’enfants et de destructions culturelles.
Kitouni invite à incriminer l’État colonial lui-même pour les souffrances causées, plutôt que de chercher à étendre les termes juridiques modernes comme « génocide » aux crimes commis.
« La colonisation a non seulement détruit des vies, mais elle a effacé l’identité algérienne, s’attaquant aux fondements culturels et économiques de la société », affirme-t-il.
Le défi de documenter les crimes coloniaux
Malgré les efforts académiques pour documenter ces crimes, Kitouni estime que les recherches effectuées manquent encore de profondeur et de précision.
Il souligne un manque d’évaluation fiable des conséquences de ces actes sur la population et sur l’identité algérienne.
En examinant des thèses et des publications académiques, Kitouni déplore que l’histoire de l’Algérie reste souvent perçue uniquement à travers le prisme des archives françaises, ignorant de précieuses recherches anglophones.
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En conclusion, Malika Rahal et Hosni Kitouni rappellent l’importance de traiter la colonisation sous un angle multidimensionnel, au-delà des faits de violence et de déportation.
La mémoire collective doit aussi prendre en compte les conséquences à long terme de cette période sur la culture et la société algérienne.
Grâce à des efforts de recherche et à la collecte de témoignages, ils espèrent contribuer à la préservation d’une histoire plus complète et sincère, respectueuse des voix qui l’ont vécue et des blessures qu’elle a laissées.